Qui de mieux qu’Hugo Bardin, alias Paloma, pour ouvrir ce mois des fiertés ? L’une des figures iconiques de Drag Race nous a parlé de sa participation à la version française, mais aussi de son rapport aux séries et à la mode. Rencontre.
Vous avez gagné la première saison de Drag Race France. Que retenez-vous de cette expérience ?
C’était une expérience de fou. Cette émission a complètement changé ma vie. J’avais déjà une carrière avant de me lancer dans cette aventure, mais je n’avais pas la même visibilité. Aujourd’hui, j’ai la liberté de faire des projets très différents, comme faire des sketchs à la télé, écrire un spectacle ou encore être jury dans un festival.
On ne compte plus le nombre de séries et de spin-offs. Quelle saison conseilleriez-vous à une personne qui n’a jamais vu Drag Race, mais qui aimerait se lancer dedans ?
La sixième saison américaine. C’est l’une des premières à être aussi fashion. Il y a des looks et de la mode, mais aussi des personnages iconiques. Elle a tout pour elle !
Avec quelles séries vous êtes-vous construit et avez-vous grandi ?
Quand j’étais gamin, je n’avais pas la télé, donc je choppais toujours des épisodes par-ci par-là. Je ne regardais pas les séries en entier, mais je me souviens que j’adorais Charmed. Sex and the City a aussi beaucoup compté durant mon adolescence. Je le regardais en cachette, chez mes grands-parents. Je leur disais que j’allais me coucher, puis je me relevais en douce pour aller voir la série.
Certains personnages vous ont-ils inspiré pour la création des tenues, du maquillage ou de la personnalité de Paloma ?
Je dis souvent que Paloma est un mélange entre Miss Fine dans Une nounou d’enfer, Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir, Endora dans Ma sorcière bien-aimée, un peu Samantha Jones dans Sex and the City, et, bizarrement, Daphné dans Scooby-Doo.
Les personnages queers ont très longtemps été stéréotypés dans les séries. Avez-vous l’impression qu’il y a une meilleure représentation aujourd’hui ?
Les choses changent notamment grâce à cette nouvelle génération d’auteurs et d’autrices qui ont envie d’en parler. Je pense aussi qu’on a fait le tour des questions hétéros dans les séries. Il n’y a plus rien d’original à écrire sur le sujet ! D’un autre côté, il y a plein de gens qui ont besoin d’être représentés et qu’on n’a pas beaucoup vus à la télévision, comme les queers ou les minorités. Il y a encore beaucoup de choses à faire, mais les Anglosaxons ont produit énormément de séries et de films sur ces questions. En revanche, ce qu’on nous propose en France est encore un petit peu maigre.
Et quelles séries vous ont particulièrement marqué ?
Je pense que Ryan Murphy est celui qui a le plus traité ces problématiques. À l’époque de Glee, il y avait déjà des personnages queers. Il a continué dans American Horror Story, ou très récemment dans Pose, qui est une production phare pour la communauté LGBT et drag. Il a mis en lumière des personnes qu’on voyait rarement à la télévision. En plus, il l’a fait d’une manière très intelligente parce que c’est un show populaire, donc la force de frappe est encore plus importante. J’ai aussi adoré Orange is the New Black, parce que les lesbiennes ont peu de visibilité et la série est très bien écrite.
Vous avez animé une conférence sur les séries et la mode à Series Mania. Si vous deviez nommer trois shows iconiques en termes de mode, ce serait lesquels ?
Sex and the City, évidemment. Ils ont tout inventé. Je dirais aussi Une nounou d’enfer. J’ai revu plusieurs épisodes pour la conférence et je voulais porter tous les looks de Miss Fine. Ce qui est génial, c’est que c’était censé être un personnage un peu vulgaire et populaire, et au final, c’est elle qui s’habille le mieux. Pour la dernière, je vais choisir Absolutely Fabulous. C’est du mauvais goût, mais pour moi, Patsy Stone est une icône de mode.
Vous avez aussi admis que vous ne portiez pas Emily in Paris dans votre cœur. Que lui reprochez-vous ?
Je n’ai vu que la moitié de la première saison avant d’arrêter, car ce n’est vraiment pas pour moi. Je pense que ça s’adresse à une audience très jeune et très américaine. En France, on ne peut pas adhérer à cette série, dans le sens où ça ne ressemble pas à Paris. C’est complètement inventé. Après, j’accepte le postulat de l’irréalisme et du fantasme, mais je trouve que les personnages féminins sont des clichés. En tant que féministe, je ne peux pas adhérer à ce qui est raconté dans ce show. Tout est fait pour rendre les femmes superficielles et bécasses.
Je trouve aussi que la mode n’apporte rien à la série. Ça devrait être l’inverse : il devrait y avoir une histoire solide, soutenue par le costume. Là, tout est fait en fonction des fringues. Ça n’aide pas à rendre le personnage crédible. Sex and the City dépassait parfois un peu les bornes en termes de réalisme, mais ils voulaient donner aux spectateurs l’envie de jouer avec les vêtements.
Il y avait des maladresses et des fautes de mauvais goût – qui étaient néanmoins crédibles. À l’inverse, on sent qu’il y a un staff pas possible qui habille les actrices de la série Netflix. Ce sont des poupées qui parlent. Je ne sens pas la patte d’une vraie personne qui se serait habillée dans son armoire. Ça me gêne, parce que la série devrait être un témoin de son époque en termes de mode, mais ce n’est pas le cas avec Emily in Paris. C’est juste un défilé.
Vous avez aussi parlé des placements de produit, en expliquant qu’ils s’étaient peu à peu invités dans les séries. Quelques créateurs le faisaient discrètement dans Sex and the City, avant que ça ne devienne un vrai business. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
À partir du moment où il y a 25 marques (de vêtements, de chaînes de restauration rapide ou des groupes de téléphones mobiles) qui mettent beaucoup de pognon à condition que tout l’épisode soit écrit en fonction de leur produit, on n’est plus dans la création, mais dans la publicité – et ça ne m’intéresse pas. Je ne fais pas de la fiction pour faire de la pub. Ou alors, je prends un gros chèque et je ne prétends pas avoir écrit une histoire. Là, je trouve ça un peu malhonnête.
Si on vous donnait la possibilité d’écrire une série, quelle histoire aimeriez-vous raconter ?
Les origines des cabarets travestis de Montmartre dans les années 1950. J’aimerais parler de Coccinelle, de Madame Arthur, de Bambi… Tous ces personnages queers, français et iconiques qu’on n’a jamais vus dans nos fictions.