Critique

On y était : le concert déjà mythique d’Arctic Monkeys à l’Accor Arena

12 mai 2023
Par Marina Viguier
Alex Turner d'Arctic Monkeys.
Alex Turner d'Arctic Monkeys. ©Christian Bertrand/Shutterstock

Mardi 9 mai, on était à l’un des rendez-vous les plus incontournables du printemps : la grand-messe des rockeurs de Sheffield. Ils affichent deux Bercy, sold-out depuis longtemps. Deux fois 20 000 places, ça en fait des fans. Retour sur ce show dément, entre élégance et fulgurance.

Il y a 17 ans, Arctic Monkeys balançait sur les ondes et Internet l’une des plus grandes déflagrations du rock des années 2000. Quatre ados blafards au style un peu ringard se hissaient à coup de riffs électriques au sommet de tous les charts. Alex Turner, chanteur et leader du groupe devient le premier amour imaginaire de toute une génération d’ados. Au lycée, tous les garçons portent la même coupe et adoptent le style baby-rockeur britannique.

En 2006 sort l’album Whatever People Say I am, That’s what I’m Not. En une semaine il se vend à 350 000 exemplaires : même les Beatles n’ont pas fait mieux. Sept albums plus tard, ils se transforment, évoluent, mûrissent… Certains fans de la première heure hurlent à la trahison sur les sonorités de crooner… En 2011, j’ai à peine 18 ans lorsque mon cœur d’ado palpite devant le live monstrueux à Rock en Seine. J’y laisse ma voix et une dévotion à la scène rock britannique qui ne me quittera plus jamais.

Alors, des albums et des années plus tard, rendez-vous à l’Accor Arena de Bercy pour retrouver LE groupe de mon adolescence. Twitter est en feu depuis le matin et Arctic Monkeys en Top Tweet. Je réécoute ces dernières semaines toute leur discographie. J’ai redécouvert la sensualité de The Car et redansé sur I Bet that You Look Good on the Dancefloor, ou encore Teddy Picker… Des riffs électriques et refrains ravageurs en boucle dans ma tête à n’en plus finir depuis des jours, il fallait que en découdre à coups de décibels à pleine oreille.

J’avais peur en arrivant. J’en ai vu beaucoup des artistes, tant aimés, qui, 15 ans après mes émois d’ado, m’ont déçue. Pour ne citer qu’Avril Lavigne, qui refait du Avril Lavigne à une époque où le langage d’ado des années 2000 ne parle ni à son ex-fanbase de plus de 30 ans ni à la nouvelle génération des éveillés.

Le tournant de la maturité termine parfois dans le fossé. La tentation est forte de rester agrippé à une époque de succès passés. Alors j’avais peur. Peur de retrouver des rockeurs ringards qui s’accrochent désespérément et avec nostalgie à d’anciens tubes. J’avais peur qu’ils envoient avec dédain leurs tubes et « terminé bonsoir ».

Mais Arctic Monkeys n’a pas choisi la voie des « OK Boomers » du rock. Au contraire, comme un bon vin, ils ont mûri avec élégance et sobriété, comme leur discographie. De toute évidence, j’avais tort d’avoir peur. Pour commencer, une scénographie simple, un hublot immense cerclé d’une lumière blanche. Au centre, un écran qui zoome sur le groupe avec un étalonnage vidéo très marqué années 1970 et qui habille parfaitement le groupe. Et Alex Turner. Surtout Alex Turner. Son charisme fait clairement de l’ombre aux autres musiciens, alors que ce n’est vraiment pas le plus gros showman de la décennie.

Côté public, on aurait pu s’attendre à une horde de trentenaires et de quarantenaires presque grisonnant·e·s, mais c’est en réalité une foule plutôt jeune et, pour la première fois depuis (trop) longtemps, j’ai entendu des cris. Des cris fracassants de voix hystériques qui se brisent dans les profondeurs de Bercy. Pour mon plus grand plaisir et en dépit de mes tympans. C’est aussi pour ressentir cette émotion collective qu’on se rend dans de si grandes salles de concerts.

Des fans qui connaissent sur le bout des notes l’ensemble des riffs et sur le bout des voix l’ensemble des textes. La setlist est jouissive et pioche la crème de la crème de tous les albums du groupe. Dès le deuxième morceau, Alex Turner attaque sur la tempête qu’est Brianstorm. C’est tôt, très tôt, mais on avait tous besoin d’en découdre. Puis, ils en ont tant d’autres, des morceaux qui bastonnent.

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Plus tard, on reprend ses esprits avec l’entêtant Snap out of it de l’album AM sorti en 2014, plus sobre, puis de nouveau un avis de tempête avec le jouissif Teddy Picker. Les fans des Black Sabbath auront entendu War Pigs sur le pompage-clin d’œil assumé de leur morceau Arabella, mais on pardonne tout à Alex. Plus tard, c’est en piano voix qu’il entonne Suck it and see. Quelle classe, toujours dans ce cadre 1970’s. Je devenais nostalgique d’une époque que je ne connaîtrai jamais. Et les morceaux s’enchaînent sans ordre chronologique : du vieux et du moins vieux, des tubes et des balades vintage. Toujours parfaitement exécutés. Il fait très chaud, et le temps passe si vite.

Mais l’apothéose est une version puissante de Body Paint du dernier album The Car. Gros coup de cœur du dernier album et de cette fin de concert qui révèle encore une fois le talent de parolier de Turner. Parfois, on était à la limite du cliché crooner, flirtant avec un dandy Bowiesque. Et en même temps, il est l’héritier et le meilleur hommage vivant de ces courants. C’est un sans-faute ce soir, sauf peut-être lorsqu’Alex Turner demande au public de se taire. Non Alex, tu ne peux pas être le pyromane qui allume un si grand feu et ensuite vouloir l’éteindre. Ça n’a pas de sens…

À la sortie, ce sont des visages aux sourires suants, et des debriefs exaltés. On sent une énergie vibrante, on en voulait encore. C’était la claque classe, teintée par cette sobriété britannique froide et musicalement si généreuse à la fois. Il n’y a pas à dire, personne n’a perdu ni son temps ni son argent ce soir-là. Avec certitude, on peut affirmer qu’Arctic Monkeys est ce vin qui vieillit bien.

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