Entretien

Emy LTR : ”J’avais besoin de crier : j’ai été enceinte, mon bébé a existé, voilà son histoire”

16 mai 2023
Par Agathe Renac
Emy Ltr a fait paraître son livre “Daronne : la grossesse dure un an” le 22 mars.
Emy Ltr a fait paraître son livre “Daronne : la grossesse dure un an” le 22 mars. ©Jordan Deal, Albin Michel

Connue pour ses vidéos drôles, profondes et poétiques, Emy LTR a quitté YouTube le temps d’un livre pour nous transmettre un témoignage intime et touchant. Dans Daronne: la grossesse dure un an, elle nous raconte sa fausse couche, ses deux grossesses, et tout le bazar qui a régné dans son corps et dans sa tête durant une année entière. Rencontre.

En 2015, vos vidéos nous présentaient une Emy fébrile devant l’engagement et effrayée par l’idée d’avoir un enfant. Aujourd’hui, votre livre nous raconte vos grossesses et cette relation fusionnelle que vous avez avec votre bébé. Que s’est-il passé ?

J’ai rencontré quelqu’un qui a changé beaucoup de choses. Au début de ma chaîne, j’étais focalisée sur ma vie professionnelle. J’ai eu la chance de voyager partout dans le monde et cette vie me convenait parfaitement. En réalité, je n’avais pas vraiment la fibre maternelle.

Puis, j’ai rencontré une personne qui avait la volonté de fonder une famille. Il ne m’a mis aucune pression, mais on en a discuté, et j’ai décidé d’arrêter la contraception. Je la vivais trop mal et mes chances de tomber enceinte étaient faibles. Petit à petit, le “pourquoi pas avoir un bébé” est devenu “il faut avoir un bébé”.

Dans votre livre, vous dites que votre relation est imparfaite, mais que “c’est lui et c’est tout”. Comment sait-on quand on est avec la bonne personne ? 

Je suis quelqu’un d’assez solitaire et d’indépendant, mais j’ai remarqué l’attachement que je portais à mon copain quand j’ai eu une grosse peine. Mon papa a eu des problèmes de santé très importants et j’ai eu envie de me réfugier dans les bras de mon amoureux. Je pense que c’est très parlant. Quand les bras de quelqu’un deviennent un refuge, c’est que cette personne est la bonne.

Avez-vous ressenti une pression sociale sur la nécessité d’avoir un enfant à l’approche de la trentaine ?

Effectivement, on nous épie vachement quand on approche de la trentaine – d’autant plus quand on travaille sur les réseaux sociaux. Quand je postais une photo après avoir bu un peu trop d’eau ou après avoir mangé, j’avais droit à des commentaires du genre : “Elle s’est pas arrondie ? Tu as vu son ventre ? Elle est pas enceinte ?” On rapporte tout à la grossesse.

Tu es fatiguée ? Tu ne bois pas d’alcool ? Tu ne manges pas de sushis ? Tu as un retard de règle ? Tout paraît bizarre. Les yeux sont braqués sur toi et si tu annonces que tu n’es pas enceinte, tu provoques une déception. C’est la double peine. Je n’ai pas été persécutée, mais c’était agaçant.  Je n’ai pas l’impression que les garçons subissent la même pression. 

Dans Daronne : la grossesse dure un an, vous racontez votre parcours avant, pendant et après vos grossesses. Quels sentiments vous ont traversés lorsque vous avez vu le petit + sur le test, la première fois ?

J’ai un souvenir de chute libre. J’avais ressenti la même sensation dans mon ventre quand j’avais sauté d’un avion. Tous les organes se collent, tu ne sais pas si tu respires, tu vis un truc de ouf… C’est une pulsion d’adrénaline de malade. Je savais que plus rien ne serait plus jamais pareil – et c’était vrai.

Au début, vous n’arriviez pas à réaliser que vous étiez enceinte. À partir de quel moment en avez-vous vraiment pris conscience ? 

Tu sais que t’es enceinte, mais tu ne le réalises pas réellement. Ce sont deux informations très différentes. J’ai percuté quand je l’ai vu en entier à l’échographie, puis j’ai vraiment compris qu’il y avait un bébé dans mon bidon quand je l’ai senti bouger. C’est assez incroyable comme sensation. Tu as un humain dans ton corps ! C’est hyper déroutant, mais fascinant. Je me dis que j’ai fabriqué un coude… Un coude !

Vous avez toujours eu peur de perdre votre premier bébé. Pensez-vous que vous sentiez, au fond de vous, qu’il allait se passer quelque chose de dramatique et que vous alliez faire une fausse couche ?

Je ne pourrai jamais le savoir, mais ça m’a traversé l’esprit. Je me suis dit que j’étais tellement inquiète dès le début de ma grossesse que je devais sentir que quelque chose allait se passer. Mais est-ce que ce n’est pas se faire encore plus de mal, au final ? Dans tous les cas, les grossesses sont flippantes et ce n’est pas parce que tu as peur de faire une fausse couche que tu vas en faire une.

« Je n’avais pas une simple gastro, je faisais une fausse couche ! »

Emy LTR

Je me sentais plus sereine durant la deuxième pour la simple et bonne raison que j’ai eu plus de symptômes clichés. C’est bête, mais pour moi, plus j’étais malade, plus j’étais enceinte. Je me disais que si je vomissais, c’est que tout allait bien. Malgré tout, j’ai ressenti beaucoup de stress. À chaque truc un peu bizarre, je pensais que c’était terminé et que j’allais perdre mon bébé.

Dans le livre, vous vous demandez “comment faire le deuil de quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré” et vous dites qu’on vous a interdit tout statut de maman, car votre enfant n’était pas né. Pensez-vous que le sujet des fausses couches est encore trop tabou en France ? 

Certains n’en parlent pas par pudeur et on doit respecter le fait qu’ils gardent cette épreuve pour eux. En revanche, ne pas oser en parler par peur du jugement est un problème. Les fausses couches peuvent causer de réels dégâts sur la santé mentale. Le sujet est encore trop tabou, et sa prise en charge doit évoluer. Il y a un vrai besoin d’assistance et de repos. Aujourd’hui, on nous laisse rentrer chez nous, sans rien dire.

Quand j’étais en train de perdre mon bébé, on m’a simplement annoncé : “Rentrez. Si vous perdez à nouveau du sang, ce n’est pas la peine de revenir. Ça voudra dire que ça n’a pas tenu.” C’est inhumain. Je n’avais pas une simple gastro, je faisais une fausse couche ! Tout ton univers est en train de s’écrouler et on te sort que ce n’est pas la peine de revenir… Les femmes qui subissent une telle perte doivent avoir le respect, l’assistance médicale et psychologique qu’elles méritent.

De la sage-femme sur Doctissimo à la gynécologue aux urgences, les professionnels que vous avez rencontrés ont effectivement manqué d’empathie avec vous…

J’ai croisé des soignants qui étaient extraordinaires, mais j’ai eu davantage de mauvaises expériences, à ma grande surprise et déception. Il faut avoir beaucoup de respect pour eux, car ils travaillent dur et dans des conditions catastrophiques. En revanche, ça ne les excuse pas de tout. On les idolâtre beaucoup, parce qu’ils soignent et sauvent des vies, mais ça les érige à un rang qui les fait parfois un peu décoller. 

« Je me suis pris dix ans dans la tronche avec ces deux grossesses. »

Emy LTR

On ne leur demande pas de nous prendre dans les bras, seulement un peu d’empathie. Si tu n’as pas envie d’être sympa ni de faire preuve de tact, ce n’est pas grave. Mais tu peux garder pour toi des réflexions qui n’ont rien à voir avec le domaine médical. Il n’y a aucun terme professionnel ni d’information obligatoire dans la phrase : “Vous avez de la chance si votre grossesse tient.” Ça, c’est un vrai problème.

Vous partagez une partie de votre vie sur les réseaux sociaux. Comment avez-vous appréhendé l’annonce de votre fausse couche à votre communauté (et aux personnes beaucoup moins bienveillantes et très présentes sur Internet) ? 

Mon problème, c’est que je n’appréhende rien. Je suis très spontanée, sûrement un peu trop. J’ai décidé d’annoncer ma fausse couche sur les réseaux sociaux cinq jours après ma perte. C’était irréfléchi. Je ne me suis pas demandé ce que je voulais dire, j’ai juste pris mon téléphone parce que j’avais besoin de crier : “J’ai été enceinte, mon bébé a existé, voilà son histoire.” Ça peut être bête et irrationnel, mais c’était un besoin pour moi.

97 % des retours étaient des témoignages de parents qui ont vécu la même situation, des personnes qui avaient envie de parler de ce sujet, et 3 % de connards. Le bien l’emporte toujours sur le mal, mais le problème, c’est que les gens méchants crient très fort et tu les entends plus que les autres. Et progressivement, tu les entends de moins en moins.

Comment se remet-on d’une telle épreuve ? 

Je suis une bombe à retardement. Quand il m’arrive quelque chose de grave ou de fort, je gère vachement bien à l’instant T, et je m’écroule une semaine plus tard. Là, ça a été un cataclysme total. J’ai fait une dépression. En revanche, j’ai été très entourée par mes proches, qui ont eu un rôle capital. J’ai essayé de trouver un thérapeute, mais c’était une catastrophe. Alors, j’ai reproduit le schéma habituel : je me suis plongée dans le travail. 

Dès qu’il m’arrive une galère, tu peux être sûre que je vais sortir un film dans le mois. J’ai besoin de souffrir et de ne pas dormir pour créer quelque chose de ce moment. Pour moi, c’est clairement une thérapie. J’ai fait ce livre, mais aussi un court-métrage qui s’appelle Monsieur Temps. Cette période était très particulière, et surtout, je suis retombée enceinte deux mois après. On ne va pas se mentir, ça a aidé.

Effectivement, quel ascenseur émotionnel… Comment avez-vous vécu cette deuxième grossesse ?

Au début, j’étais très spectatrice. C’était sûrement un moyen de me protéger. Dans tous les cas, je passais mon temps à vomir et à dormir, donc ça ne me laissait pas beaucoup de temps pour réfléchir. Mon sceau à ménage est devenu mon meilleur pote pendant trois mois ! Mais plus j’étais malade, plus j’étais rassurée.

Je me suis sentie un peu seule et isolée durant cette grossesse, mais j’ai beaucoup appris sur moi et j’ai gagné en maturité. Je me suis pris dix ans dans la tronche avec ces deux grossesses. Mine de rien, ça m’a donné une magnifique leçon de vie.

Vous avez aussi appris à gérer le comportement des autres, qui ne se privaient pas de faire des commentaires sur votre physique ou toucher votre ventre sans votre consentement…

Pendant ma grossesse, j’avais l’impression de devoir des choses à des personnes qui n’avaient rien à voir avec mon mec, ni mon bébé – et ça m’a beaucoup gênée. J’étais en train d’assister à un tremblement de Terre à l’intérieur de mon corps, et je voulais le vivre toute seule.

Je suis très affectueuse dans mes propos, mais j’ai beaucoup de mal avec le toucher. Il y a le toucher social, comme le fait de serrer une main, prendre dans les bras ou faire la bise, mais le ventre est très intime. Je n’aimais pas qu’on me le touche, ça me mettait très mal à l’aise.

À l’inverse, quels ont été vos plus beaux souvenirs durant cette période ? 

Je me souviens du “vrai” premier coup que j’ai reçu dans mon ventre, c’était le lendemain de mon anniversaire. Je ne m’y attendais pas et, d’un coup, j’ai senti un petit pied taper à l’intérieur. C’est très particulier, car tu es seule dans ton corps et personne ne peut comprendre ce que tu ressens.

Sur le coup, j’ai sursauté, j’étais émue et j’ai commencé à pleurer. Mon mec était super inquiet, il m’a demandé si j’avais mal quelque part, s’il y avait un souci… Mais non, j’étais juste en train de vivre un truc de fou. L’accouchement a aussi été un moment incroyable. Le fait de voir son visage pour la première fois… C’était dingue !

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste