Décryptage

POV : j’ai joué à une partie de jeu de rôle qui a duré quatre ans

13 avril 2023
Par Robin Lamorlette
Vue du dessus d’une de nos sessions.
Vue du dessus d’une de nos sessions. © Mon maître du jeu

La liesse autour du dernier film Donjons & Dragons marque un nouveau signe de la hype autour des jeux de rôle. Laissez-moi vous conter comment la mienne a débuté.

J’ai grandi avec Le Seigneur des Anneaux ou encore Star Wars et j’ai entendu parler des jeux de rôle très tôt. Néanmoins, je n’y ai été initié qu’après mes 20 ans. Tout vient à point à qui sait attendre, avec notamment une partie qui m’a accompagné pendant quatre ans, à travers des périodes difficiles de ma vie de jeune adulte et une certaine pandémie, pour une expérience qui m’a profondément marqué et touché à plus d’un titre.

Le début d’une grande aventure

Mon aventure commence en 2018 à Grenoble, ma ville de naissance. Alors que j’attendais Cyberpunk 2077 avec une impatience tout enfantine, quelle ne fut pas mon excitation lorsqu’un ami maître de jeu (MJ) m’a proposé de rejoindre une partie de jeu de rôle dans un univers qu’il a imaginé, très inspiré du genre cyberpunk. Particulièrement versé dans ce loisir qu’il adore faire découvrir, il avait déjà fait explorer cet univers empreint de sa personnalité à d’autres joueurs. 

Avant de se lancer, un jeu de rôle demande quelques prérequis. J’ai donc dû pour l’occasion m’équiper d’accessoires ô combien indispensables : un set de dés, qui servent à déterminer le succès ou l’échec d’une action donnée selon un système de règles élaboré par le MJ, qui a évolué au fil des parties en compagnie de ses joueurs. Viennent ensuite un carnet et un crayon à papier afin de noter les innombrables détails fournis au cours de la partie (et gommer les noms des nombreux personnages incarnés par le MJ qu’il m’arrivait honteusement d’écorcher).

Accompagnez-moi dans cette histoire grâce à la playlist établie par mon maître de jeu pour nous plonger pleinement dans cette partie de jeu de rôle unique et de longue haleine.

Arrive enfin l’élément le plus important pour chaque joueur : la création de son personnage, de son caractère à ses compétences que l’on retrouve dans les RPG comme l’agilité ou l’intelligence, le tout couché sur une proverbiale fiche de personnage. Ainsi est né le mien : Vi, une jeune femme orpheline, douée pour la discrétion et les armes blanches, un style de jeu que j’affectionne particulièrement.

Ce personnage était bien sûr grandement influencé par la version féminine du protagoniste de Cyberpunk 2077, et allait s’imposer comme un défi de taille pour moi, qui manquait cruellement d’expérience dans le jeu de rôle. Pour plus de simplicité, j’ai donc tâché de faire de Vi une sorte de version féminine de moi-même, plongée dans l’univers dystopique dépeint par le MJ.

Mon personnage était largement influencé par la version féminine du protagoniste de Cyberpunk 2077.©CD Projekt RED

Avec la timidité, la compassion, la dévotion à ses amis, la franchise, l’humour sarcastique et l’espièglerie qui me caractérisent et qui ont fait que ce personnage a, malgré mes multiples expériences depuis dans la pratique du jeu de rôle, une place très particulière dans mon cœur. Comme son nom l’indique, le jeu de rôle implique en effet ni plus ni moins que de jouer un rôle. La narration et le « Role Play » ont une place bien plus importante que le « gameplay », à l’inverse des jeux vidéo de type RPG qui s’en inspirent.

Il n’est pas nécessaire d’être un acteur professionnel pour s’y adonner, mais il est crucial d’entrer dans la peau de son personnage. L’univers proposé par le MJ nous plaçait à ce titre dans une mégapole grandement inspirée par la fameuse « Citadelle de Kowloon », à Hong-Kong. J’y incarnais une paria, luttant à chaque instant de la partie pour (sur)vivre un jour de plus. 

Les villes de l’univers ont été grandement inspirées par la célèbre « Citadelle de Kowloon » à Hong Kong.©tiger1313 sur DeviantArt

Cette ambiance sous pression où mon personnage pouvait être constamment en danger de mort m’a rapidement fait entrer dans l’univers tant les enjeux étaient importants, oubliant même souvent qu’il s’agissait d’une pure fiction. Autour de la table, cette fiction était principalement représentée – à l’exception d’illustrations ou de cartes dressées par le MJ – par la parole et l’imagination de chacun.

Un rendez-vous rituel salutaire

Une fois mon personnage créé, un rituel s’est mis en place avec mon MJ et un ami du lycée, qui incarnait lui un ancien militaire bourru et désabusé, également considéré comme un paria. Nous nous retrouvions deux soirées par mois à l’appartement de mon maître de jeu (qui a déménagé à plusieurs reprises à Grenoble durant ces quatre années), armés de nos dés, de quoi noter, ainsi que de quoi manger et boire durant la partie – sauf quand nous faisions une vraie pause dîner après un moment particulièrement marquant. Nous nous racontions notre quotidien depuis la soirée précédente, avant de nous installer à la table pour une session d’environ six heures, avec le MJ qui lançait les hostilités par « Dans l’épisode précédent… »

Graphisme ayant servi d’inspiration pour la tour centrale de Kaotan.©KULTOVNIGHT

Le jeu de rôle a en effet cet aspect qui me fascine : mon personnage et celui de mes compagnons de table sont véritablement les acteurs d’une sorte de grande série écrite au fur et à mesure, non seulement par le MJ, mais aussi par nos propres actions et décisions.

Il est ainsi arrivé que nous fassions un choix qui n’était absolument pas prévu par notre hôte, au point de le forcer à réimaginer la suite de l’histoire en attendant notre session suivante. De même, le hasard des jets de dés requis pour certaines actions a pu radicalement changer la dynamique de la partie, demandant aux joueurs et au MJ de s’adapter sur le fil à des dénouements tantôt épiques, tantôt dramatiques selon la réussite ou l’échec du jet de dés demandé.

Représentation moderne d’un Kappa.©LusiaNanami sur DeviantArt

L’une de ces situations a d’ailleurs totalement changé le cours de l’histoire, après environ un an de jeu. Mon personnage et celui de mon camarade avaient choisi de fuir leur lieu de résidence, en raison d’un enchaînement de galères et de décisions difficiles qui nous ont attiré les foudres de puissantes entités. Nous nous sommes donc réfugiés dans une autre ville, et le MJ a pour l’occasion invité trois nouveaux joueurs à notre table. Je connaissais l’un d’entre eux depuis le lycée, et les deux autres étaient jusqu’alors de vagues connaissances rencontrées à l’occasion de soirées en commun.

Ce second chapitre de notre partie, doté d’un scénario beaucoup plus complexe et aux enjeux bien plus importants, s’est d’ailleurs principalement déroulé alors que la pandémie de coronavirus frappait notre monde réel. Un élément traumatisant que le MJ a retranscrit dans la partie pour réduire encore plus la barrière entre jeu et réalité. Confinements successifs obligent, plusieurs sessions se sont déroulées chacun chez soi, par écran interposé. Paradoxalement, cela nous a intimement rapprochés et s’est présenté comme une bouée de sauvetage au milieu d’une mer de solitude sans précédent de mémoire d’être humain.

Une expérience de Vi dont je suis ressorti grandi

Ainsi s’est déroulée cette passionnante partie qui a cimenté quatre ans de ma vie et des amitiés formidables. Une expérience inoubliable qui m’a transmis la hype du jeu de rôle mieux que n’importe quelle partie dite « actual play » [des parties de jeux de rôle filmées et diffusées sur des plateformes de streaming, ndlr] chez Joueur du Grenier ou Critical Role que j’avais pu regarder avant de me lancer dans cette aventure de longue haleine.

La fin de la partie a d’ailleurs laissé un vide béant dans la vie de tous les joueurs. Plus qu’un jeu, nous nous étions profondément attachés aux personnages, qui constituaient une partie de nous, que nous quittions pour reprendre notre vie dans le monde réel.

©Mon maître du jeu

Depuis mon déménagement récent à Strasbourg, j’ai repris le jeu de rôle avec beaucoup de plaisir et de nouvelles personnes. Même si aucune partie ne sera, je pense, à la hauteur de celle-ci, unique à plus d’un titre, je savoure chaque nouvelle occasion de me replonger dans cette activité passionnante. Le MJ de cette partie de quatre ans m’a d’ailleurs tout récemment invité à le rejoindre dans un nouveau scénario, que j’attends avec impatience pour y retrouver d’anciens compagnons de jeu et des nouveaux.

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Article rédigé par
Robin Lamorlette
Robin Lamorlette
Journaliste