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J’ai enfin pris le temps de regarder Le Mépris de Jean-Luc Godard

31 mars 2023
Par Edouard Lebigre
Michel Piccoli et Brigitte Bardot forment le couple en pleine crise du “Mépris”.
Michel Piccoli et Brigitte Bardot forment le couple en pleine crise du “Mépris”. ©Studiocanal

Chaque mois, un·e journaliste de L’Éclaireur se lance dans une séance de rattrapage et regarde un film ou une série culte. J’ai décidé de m’attaquer au Mépris, en me demandant pourquoi ce film était aussi culte.

Dans le cinéma, il y a des classiques à voir, des incontournables. Tellement incontournables qu’ils peuvent effrayer, le genre de films qu’on se promet de regarder un soir, pour finalement rester sur son portable. Demain, promis. Pour moi, Le Mépris (1963) était un de ceux-là. Je le voyais souvent sur les plateformes de streaming, mais, finalement, je faisais semblant de ne pas le voir. Au fond, je ne sais pas vraiment ce qui m’effrayait dans le visionnage du Mépris. Malgré l’étiquette d’intellectuel qui colle désormais à son réalisateur, le regretté Jean-Luc Godard, le film fut un grand succès, et a surtout lancé un phénomène aux cheveux blonds : Brigitte Bardot, initiales BB.

Visionner Le Mépris en 2023, pour moi, c’est déjà deux énormes rattrapages. Premièrement, il s’agissait de mon premier film avec Brigitte Bardot. Évidemment, tout le monde a déjà vu des plans iconiques du film, son affiche peinte par Gilbert Allard, mais je voulais comprendre pourquoi cette performance avait fait basculer la carrière de l’actrice au rang de phénomène planétaire. Deuxième rattrapage, peut-être plus inavouable, je n’avais jamais vu de film de Jean-Luc Godard. Et je pense qu’au fond, c’est pour cette raison que je craignais de lancer la lecture du Mépris. Je savais que celui-ci était une des œuvres les plus abordables dans la carrière du réalisateur, mais le cinéma de Jean-Luc Godard est l’objet de tellement de fascination et d’analyses que je m’attendais à me perdre dans ce monument du septième art.

Brigitte Bardot rendant hommage à jJean-Luc Godard.

Et puis un jour, je me suis lancé. Je n’avais rien lu sur le film, je n’avais en tête que ce que je connaissais du sixième long-métrage de son réalisateur. Au fond, je ne connaissais que la première scène du film : Bardot nue sur un lit, demandant à son mari Michel Piccoli s’il aime ses pieds, ses genoux, ses fesses, son visage…

J’ai plus tard souri en apprenant que les plans les plus resserrés sur la plastique de l’actrice étaient une exigence des producteurs, menaçant même de ne pas donner l’argent nécessaire si on ne voyait pas assez bien les courbes de BB. En somme, à part cette scène, je ne connaissais pas grand-chose du Mépris, je pouvais donc le découvrir avec un œil quasi-vierge.

“Depuis ce matin, il s’est passé quelque chose qui a changé l’idée que tu avais de moi”

L’histoire du Mépris est une histoire de couple. À l’origine, le duo Frank Sinatra/Kim Novak était envisagé, puis ça a été Marcello Mastroianni/Sofia Loren, mais c’est finalement Brigitte Bardot et Michel Piccoli qui prêtent leurs traits à Camille et Paul. Paul est scénariste et il est appelé de toute urgence pour réécrire le script d’une adaptation de L’Odyssée d’Homer, par le réalisateur allemand Fritz Lang (jouant son propre rôle). À la clé, un salaire de 10 000 dollars, promis par le producteur Jeremy Prokosh, incarné par Jack Palance. Le postulat de départ permet à Jean-Luc Godard d’aborder un grand nombre de sujets : le cinéma, le sacré, la mythologie, la tragédie… Mais qu’on ne s’y trompe pas, Le Mépris est le récit d’un couple qui se défait pendant qu’un film se fait.

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Camille l’assure à son mari : elle l’a énormément aimé. Pourtant, la cassure dans le couple intervient dans les premières minutes, dans un incident qui paraît anodin. Le producteur Jeremy Prokosh a clairement des vues sur la jeune femme et l’invite à monter avec lui dans sa voiture pour rejoindre sa villa. D’abord réticente, Camille est presque poussée par son mari à l’intérieur de l’Alfa Romeo, certainement pour se faire bien voir du producteur. Cet incident sera le point de départ d’un lent délitement dans le couple, l’incompréhension laissant place au doute, le doute laissant place au mépris.

Au centre du film, les scènes de la vie conjugale traduisent la cassure entre les deux amants. Paul se doute que quelque chose a changé dans le regard de sa femme ; peut être l’épisode de la voiture, ou bien ce moment où Camille l’a surpris en train de flirter avec la traductrice Fransesca. Paul essaie alors de décrypter ce que pense sa femme, sans jamais se remettre vraiment en cause. On se ment, on s’évite, on crie, on se frappe… Camille tente parfois de rassurer son mari, mais c’est un autre mensonge, elle avouera la vérité plus tard : elle ne l’aime plus.

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Paul ne comprend pas, mais elle est catégorique. Désormais, elle le méprise, elle le déteste, rien ne sera plus comme avant, qu’il continue de travailler sur le film ou non. Les considérations économiques de son mari, parlant sans cesse de cet argent nécessaire pour le paiement de leur appartement, l’ennuient profondément. Elle a vu la vraie nature de celle qu’elle a un jour tant aimé.

“Je trouve ça bête d’être si mignonne et si triste”

Mais ce qui m’a frappé dans Le Mépris, et ce qui a passionné une planète entière pendant les années 1960, c’est bien Brigitte Bardot. Dans le film, l’actrice est belle en blonde, en brune, avec un bandeau dans les cheveux, en peignoir, en jupe… Chaque fois que la caméra de Jean-Luc Godard se pose sur le visage de son actrice, la beauté de la jeune femme frappe par sa pureté. Difficile de ne pas tomber un peu amoureux de ce personnage, qu’on ne sent jamais vraiment à sa place dans les allées des studios de Cinecitta, puis dans la villa à Capri.

Avec ses plans resserrés sur le visage de Bardot, Le Mépris est devenu une collection des images les plus iconiques de l’égérie française. Pourtant, lorsque le scénario du film se dévoile, on ne peut voir qu’une certaine mélancolie dans le visage de l’actrice, accompagnée par la magnifique musique de Georges Delerue.

Bande-annonce du Mépris.

Pour ce qui est des personnages masculins, difficile de ne pas les détester. Jeremy Prokosh est une caricature du producteur de cinéma égocentrique et libidineux, comme ceux dénoncés dans les années 2010 par les mouvements féministes. Moitié du couple au centre de l’histoire, Paul est également un personnage détestable, n’hésitant pas à gifler sa femme lorsqu’il n’arrive pas à la comprendre. Jusqu’au bout du film, il n’aura jamais réussi à cerner Camille, ses tentatives pour la reconquérir tombant toujours à côté et renforçant un peu plus le mépris qu’elle a pour lui.

Seul personnage masculin à sauver, le réalisateur Fritz Lang traverse le film en déclamant des vers, en citant de grands auteurs, en parlant de sa vision du cinéma… Finalement, l’Allemand n’est pas là en tant qu’homme, mais bien en tant que mémoire du septième art.

Moins de deux heures plus tard, je termine le film, ému, ayant grandement apprécié le long-métrage. Annoncée depuis le début du film, la tragédie se met lentement en place, marchant sans se retourner vers le final tragique des dernières scènes. Le Mépris est une très belle œuvre sur un couple en pleine crise, avec une femme qui refuse d’être un objet.

Film contenant un film, Le Mépris est également une réflexion sur le cinéma, illustrée par les débats autour de l’adaptation de L’Odyssée. Je termine la lecture de ce monument, heureux de l’avoir vu, et peut-être enfin prêt à découvrir la suite du cinéma de Jean-Luc Godard.

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