Chaque mois, un·e journaliste de L’Éclaireur se lance dans une séance de rattrapage. Ce mois-ci, j’ai décidé de m’attaquer à la comédie musicale Les Producteurs.
De Rocky (1976) à Star Wars (1977), durant chaque réunion de famille, les références fusent et chacun y va de sa punchline culte. De mon côté, je saigne Frankenstein Junior (1974) en espérant décocher le rictus nostalgique de mes cousins, ou bien un clin d’œil complice de ma petite sœur. Plus jeunes, nous avons tous été biberonnés à la comédie déjantée de Mel Brooks. Un choix pour le moins étrange de la part de mon oncle, mais qui m’aura permis de découvrir l’univers et le ton du cinéaste.
Véritable pépite dont des répliques ont bercé ma jeunesse, la parodie du mythe imaginé par Mary Shelley en 1818 est un incontournable. Igor et sa bosse, les pas de danse du monstre sur la chanson Puttin on the Ritz, ou encore l’effrayante Frau Blücher… Cette comédie en noir et blanc fait partie de mes meilleurs souvenirs de cinéma.
Lorsque j’ai appris qu’Alexis Michalik allait mettre en scène le premier succès de Mel Brooks, Les Producteurs, c’est tout naturellement qu’il fallait que je m’empresse de découvrir sa version française. Mais non… les mois ont passé, les Molières sont tombés, et je n’avais toujours pas pu assister à son adaptation sur les planches.
Cette erreur a enfin été corrigée alors que la pièce mise en scène par le dramaturge le plus prolifique de la scène parisienne joue les prolongations jusqu’au 16 avril 2023. Après avoir été récompensé par deux Molières dont celui du meilleur spectacle musical, Les Producteurs poursuit sa conquête au cœur du Théâtre de Paris. Depuis janvier dernier, Alexis Michalik continue de se frotter au génie de Mel Brooks et donne une nouvelle vie à son chef-d’œuvre satirique de 1968, adapté en 2001 par le cinéaste lui-même sur les planches de Broadway.
Tous les excès sont permis
Avec 12 Tony Awards au compteur, Les Producteurs est le musical le plus primé de la scène américaine. Un palmarès qui est loin d’avoir effrayé Alexis Michalik, qui a toujours rêvé d’adapter pour le théâtre français un classique de la comédie musicale.
Avec cette adaptation, les talents du metteur en scène ont été à la hauteur de ses aspirations. Dès l’entrée dans la salle, le ton est donné. Les musiciens s’échauffent et entament quelques airs de musique à mesure que le public s’installe. La lumière s’éteint et nous voilà propulsés dans le Broadway des années 1950. À cette époque, le producteur de théâtre Max Bialystok (Serge Postigo) est aux abois, sa dernière pièce vient de connaître un nouveau bide. Pour renflouer ses caisses, il va alors imaginer aux côtés de son comptable, le névrosé Léo Bloom (Benoît Cauden), une arnaque à l’assurance en montant la pire comédie musicale qui puisse exister : Des fleurs pour Hitler. Imaginé par un ancien adorateur du Führer, le spectacle a tout pour échouer, mais sera évidemment un succès.
Les Producteurs reflète toute l’irrévérence parodique qui imprègne l’œuvre de Mel Brooks. Un exercice qu’Alexis Michalik adapte à la perfection sur scène, et qui témoigne de son amour du rythme et de la mise en scène quasi cinématographique. Celui que l’on surnomme le « golden-boy » du théâtre français n’hésite pas à se frotter à l’imagination acerbe de ce monstre sacré afin d’offrir une œuvre qui repousse les limites et multiplie les excès. Si ces derniers frôlent parfois le mauvais goût, ils ne sont là que pour éclairer les défauts des personnages et la décadence d’une société.
Les Producteurs se fait le reflet d’une sorte de curiosité historique dans laquelle le cliché des petites vieilles dames avides de sexe côtoie celui de la belle secrétaire blonde qui ne reculerait pas devant une promotion canapé. Si cela peut paraître drôle au début, ces caricatures laissent place à l’étrange sensation d’une pièce qui a mal vieilli. On est loin de l’intemporalité racontée dans Cabaret au Lido 2 Paris et du douloureux souvenir de la Seconde Guerre mondiale, d’autant plus que la pièce s’essouffle radicalement en deuxième partie avec une scène de tribunal désassemblée et une conclusion trop expéditive.
Aucun temps mort
Pourtant, Alexis Michalik a su moderniser çà et là sa pièce, n’hésitant pas à briser le quatrième mur. Cette fantaisie témoigne de l’inventivité du dramaturge pour mettre en scène la mise en abîme de la pièce et cultiver encore une fois le rythme.
Il offre ainsi une pièce dans laquelle les tableaux s’enchaînent à une vitesse folle, sans temps morts. Les décors tombent du ciel, les personnages multiplient les numéros de danse et de claquettes tout en poussant la chansonnette. Les Producteurs témoigne d’une énergie et d’un esthétisme dans lequel chaque objet à son importance. Alexis Michalik utilise tous les accessoires à sa disposition, des déambulateurs des mamies aux bureaux à roulettes des comptables, afin d’offrir un spectacle vivant dantesque.
La pièce est portée par la fantaisie des personnages, qui sauront nous décocher plusieurs éclats de rire. On salue tout particulièrement la bromance entre Benoît Cauden et Serge Postigo, mais surtout l’hilarant Andy Cocq, ainsi que David Eguren, aussi charismatique dans une robe de soirée que dans un perfecto en cuir.
Grâce à son rythme et à l’inventivité de la mise en scène d’Alexis Michalik, Les Producteurs représente un véritable matériel théâtral dans lequel le metteur en scène laisse éclater son imagination. Le prodigue du théâtre parisien a su rendre hommage au génie parodique de Mel Brooks, bien que, sur le fond, la comédie musicale semble dépassée par son époque. Une réinvention plus poussée de l’œuvre initiale serait peut-être bienvenue de nos jours. Comme quoi, rien ne peut remplacer Frankenstein Junior dans notre cœur.
Les Producteurs, d’Alexis Michalik, jusqu’au 16 avril au Théâtre de Paris.