Critique

Cabaret, la comédie musicale : parenthèse désenchantée

20 janvier 2023
Par Lisa Muratore
La comédie musicale "Cabaret" est présentée jusqu'au 3 février 2023 au Lido 2 Paris.
La comédie musicale "Cabaret" est présentée jusqu'au 3 février 2023 au Lido 2 Paris. ©Julien Benhamou

Fidèle à l’œuvre créée en 1966 par Joe Masteroff, aux côtés de Fred Ebb et de John Kander, puis popularisée par l’indétrônable film de Bob Fosse porté par Liza Minnelli, Cabaret revisite, grâce à la force de la mise en scène de Robert Carsen, cette comédie musicale culte aussi fabuleuse que grave.

S’attaquer à une œuvre aussi emblématique de Broadway inspirée à la fois par la pièce de théâtre I Am a Camera et le roman Berlin Stories (New Directions) de Christopher Isherwood, représentait un challenge conséquent pour la célèbre salle parisienne des Champs-Élysées. Depuis décembre 2022, le Lido 2 Paris accueille dans son nouvel écrin Cabaret, mythique comédie musicale, aux avatars scéniques et cinématographiques multiples. 

« Willkommen, Bienvenue, Welcome », il aura suffi de ces trois mots, fredonnés par un MC haut en couleur et nous voilà plongés dans la folie des années 1930 et du Kit Kat Club. Emblème d’un Berlin effervescent, ce cabaret offre une véritable parenthèse enchantée à ses spectateurs ainsi qu’à ses artistes, alors que gronde dehors la montée du nazisme et l’installation du IIIe Reich.

L’importance du MC

Dès l’entrée en scène du maître de cérémonie non genré, personnage aussi fascinant que charismatique, le décor est planté. Cette créature chauve, habillée d’une robe à paillettes, dont la pâleur du visage contraste avec ses yeux charbonneux, nous servira de guide tout au long de la soirée. Accompagné des musicien·ne·s entourant la scène et de ses danseur·se·s, il nous ouvre les portes de son cabaret pour un spectacle dans lequel la beauté de la débauche va rapidement laisser place à la laideur d’un monde extérieur proche de l’effondrement.

Sam Buttery dans Cabaret. ©Julien Benhamou

Dans ce contexte, le Emcee n’a qu’un seul but : nous faire oublier nos soucis. Tout au long de la soirée, cette force de la nuit surgit afin de nous guider à travers une histoire aussi divertissante que forte, entre les traditions de la comédie musicale et celles de la revue. Mais, plus l’action avance, plus on réalise l’importance de son rôle. Non seulement il anime le cabaret, mais il devient au fur et à mesure des scènes le témoin et l’annonciateur impassible des catastrophes du monde.  

Le MC entouré de ses danseuses et danseurs dans la comédie musicale Cabaret. ©Julien Benhamou

Autrefois incarné par Joel Grey, il prend aujourd’hui vie grâce à Sam Buttery, l’une des grandes forces du spectacle. Seul en scène ou bien assisté de sa troupe flamboyante, il n’hésite pas à briser le quatrième mur et se fait le reflet d’une intelligence artistique tantôt démesurée durant les scènes de cabaret, tantôt sensible quand il s’agit de prendre ses distances avec le monde qui l’entoure. 

Le divertissement comme moyen de rébellion

La pièce joue d’ailleurs sans arrêt sur les ruptures de ton, Robert Carsen ayant saisi toute l’ambiguïté de la pièce dans laquelle le besoin de se divertir sert de rempart face au contexte politique douloureux. Ainsi, les séquences de cabaret tentent de contraster coûte que coûte avec les changements profonds et effrayants de la société allemande. Le metteur en scène nous présente ainsi avec une joyeuseté communicative la décadence d’une époque dans laquelle on replonge avec délice. Ces années folles, reflet de plaisir et de transgression, sont personnifiées sur scène par une troupe hybride de comédien·ne·s et de danseur·se·s. Ils et elles envahissent l’espace scénique, au rythme d’un orchestre qui martèle sa composition jazzy, tout en malmenant – pour pouvoir mieux jouer avec lui – le public. 

Lizzy Connelly (au milieu) incarne Sally Bowles dans Cabaret. ©Jean Benhamou

La puissance des chorégraphies, la portée du chant, mais aussi les costumes offrent une dimension immersive à la comédie musicale. À cela s’ajoutent de simples effets scéniques qui vont pourtant se révéler redoutables pour la narration. Jeux de lumière, rideau de théâtre transformé en écran de cinéma, scène mouvante : tout est pensé pour que l’histoire soit présentée avec autant de subtilité que de fluidité. 

Aux scènes frénétiques de cabaret succèdent ainsi des séquences de romance, comme celles entre Sally Bowles (Lizzy Connolly), la danseuse star du Kit Kat Club, et l’écrivain américain, Cliff Bradshaw (Oliver Dench), fraîchement débarqué à Berlin en espérant trouver la prochaine source d’inspiration de son roman. Leur relation, tout comme celle de la logeuse, Fräulein Schneider (Sally Ann Triplett) avec Herr Schultz, un vendeur de fruits et de légumes de confession juive, donneront de la consistance à l’histoire et serviront finalement de fil conducteur à la visée politique de la comédie musicale. 

Une pièce engagée

Ce quatuor interprète brillamment, que ce soit à travers le chant ou les dialogues, sa partition. De surcroît, il personnifie les considérations de l’époque, entre optimisme et pessimisme. Une dichotomie qui aura raison de leurs histoires d’amour respectives. Alors que le IIIe Reich n’est pas encore durablement installé, Sally comme Herr Schultz ne voient pas arriver la menace, malgré les alertes lancées par Bradshaw et Fräulein Schneider.

Malgré ses paillettes, Cabaret raconte l’arrivée du nazisme dans l’Allemagne des années 1930. ©Bertrand Guay/AFP

Idéalistes ? Résignés ? La pièce ne donne pas d’élément de réponse, mais se fait ainsi le reflet de l’état d’esprit de l’époque, alors que Mein Kampf trône innocemment sur la table de chevet de l’un des personnages. Au fur et à mesure que la comédie musicale avance, elle se fait plus sombre. On voit ainsi se poser sur les bras des adorateurs d’Hitler des croix gammées, tandis que la troupe entame à l’issue du premier acte le fatidique Tomorrow is Mine, hymne à la gloire des soldats SS. 

Si, à l’époque de sa création, la mise en scène de Cabaret résonnait comme un bilan du passé et un avertissement pour le futur, cette nouvelle adaptation ne perd pas pour autant sa symbolique, à l’heure où de part et d’autre du globe, l’extrême droite monte en puissance. La comédie musicale ne manque pas de transposer son histoire à notre siècle, en modernisant son propos par touches. Ainsi, les perles or et argent qui composent le rideau du Kit Kat Club se transforment en écran de cinéma, diffusant en premier lieu les images de propagandes hitlériennes, puis dans un second temps, tel un sombre présage sur notre époque, les dictatures historiques. 

Teaser de la comédie musicale Cabaret au Lido 2 Paris.

Cabaret apparaît ainsi comme une œuvre intemporelle. La force de la mise en scène et l’interprétation de ses personnages fondent une pièce aussi grandiloquente que perturbante. Robert Carsen a su redonner vie, sur la scène du Lido 2 Paris, à ce monument de Broadway, dont la flamboyance n’a d’égal que son funeste propos.

Cabaret, du 1er décembre 2022 au 3 février 2023 au Lido 2 Paris, à partir de 29 €.

À lire aussi

Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste