Décryptage

Le bestiaire de la pop culture, épisode 1 : sur la piste de la bête qui sommeille en nous avec le loup-garou

11 février 2023
Par Héloïse Decarre
“Teen Wolf” a été un véritable succès ; la série compte six saisons et 100 épisodes.
“Teen Wolf” a été un véritable succès ; la série compte six saisons et 100 épisodes. ©MTV, Netflix

Homme lambda le jour, il se transforme en créature hirsute, aux griffes acérées et aux crocs baveux, hurlant sous la pleine Lune. Le loup-garou peuple notre imaginaire depuis la nuit des temps, des récits antiques à la pop culture. En ce début d’année, il est de retour en série dans Wolf Pack sur Paramount+, et en film dans l’adaptation de Teen Wolf. Dépeçage de cet animal légendaire, qui interroge la nature humaine.

Les premières traces de la bête sont loin d’être fraîches. On les trouve déjà 500 ans avant notre ère, chez les Grecs anciens. « Les premiers signes d’une lycanthropie [du grec lúkos, pour loup, et ánthrôpos, pour l’homme, ndlr] apparaissent chez l’historien Hérodote, explique Isabelle-Rachel Casta, professeure émérite de l’université d’Artois et écrivaine, spécialiste des cultures fantastiques et sérielles. Un peu plus tard, le latin Ovide, à travers ses Métamorphoses, produit le premier récit complet de transformation en loup-garou, celle du roi Lycaon. » L’histoire est celle d’un monarque méprisant les dieux, qui fait servir de la chair humaine à Zeus. Comme châtiment, il est transformé en loup, humain par bien des aspects, mais possédant la férocité et la faim d’un animal.

Des noms différents, mais des caractéristiques semblables

Plus tard, le monstre esquissé par Hérodote est réactualisé par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, puis par Pétrone dans son Satyricon. Mais la créature d’Hérodote est en fait issue de figures mythologiques que l’on retrouve déjà partout dans le monde, que ce soit sous les traits du dieu à tête de chien Anubis chez les Égyptiens, ou de Fenrir, loup gigantesque et fils de Loki dans le panthéon nordique.

Il existe dans chaque société des déclinaisons du loup-garou, mais elles respectent toutes quelques invariants. Métamorphe, l’homme-loup se transforme trois soirs par mois : avant, pendant et après la pleine Lune. Son sort résulte soit d’une condamnation par les dieux, soit d’une malédiction venue du Diable.

Wolf Pack©Paramount+

Dans tous les cas, son destin sera le même : la poursuite et la mise à mort. Pour le tuer, la solution la plus constante reste la balle en argent, souvent conçue à partir d’un crucifix fondu. Preuve de son omniprésence, « le lycanthrope porte un nom dans chaque civilisation et dans chaque langue », affirme Isabelle-Rachel Casta.

En Bretagne, par exemple, on parle du Bisclavret. La déclinaison locale du mythe donne lieu au Lai de Bisclavret, écrit par Marie de France, grande poétesse du XIIe siècle. Dans ce texte fondateur, le monstre est pour la première fois décrit comme une victime, et plus seulement comme un prédateur.

The Howling©International Film Investors, Wescom Productions

La créature traverse ainsi les nations et les époques jusqu’au XVIIe siècle, quand sont imaginés les contes de fées. Sur la base d’anciennes chroniques médiévales et de légendes, Charles Perrault et les frères Grimm écrivent, par exemple, Le Petit Chaperon rouge« À travers eux, nous avançons vers une interprétation de plus en plus psychanalytique, et de moins en moins purement mythologique », remarque Isabelle-Rachel Casta. Une vision plus cartésienne, appuyée au XVIIIe siècle par la célèbre affaire de la Bête du Gévaudan.

Le Petit Chaperon rouge©Les Contes de Perrault, illustrés par Gustave Doré

En 1764, des cas de bergers et de troupeaux attaqués par un animal féroce arrivent aux oreilles de Louis XV. « Pour que des attaques de troupeaux en Lozère remontent jusqu’au roi, il faut vraiment que ça inquiète ! », s’amuse la professeure. Effectivement, face aux diffusions de dessins de la bête et de récits sanglants, le roi envoie ses meilleurs louvetiers.

Deux bêtes sont tuées avant que les prédations ne cessent. « L’intervention concrète confronte la pensée française : à partir de là, on arrête de croire qu’il y a vraiment des hommes qui se transforment en bêtes fantastiques certaines nuits », résume la spécialiste.

Une représentation de l’inconscient et des pulsions humaines

Au XIXe siècle, Charles Darwin met un point final à cette pensée légendaire d’un loup-garou errant dans les campagnes et les forêts. Avec L’origine des espèces, il prouve que l’humanité a des racines animales. Sigmund Freud s’approprie à son tour cette idée quand, en 1918, il publie L’Homme aux loups, faisant définitivement du loup-garou une figure de l’inconscient humain.

« La créature devient un vecteur de la double nature humaine : en plein jour, nous sommes des êtres civilisés, mais, dans la nuit de notre conscience, quand le vernis craque, nous devenons des prédateurs sans pitié, libérant la bête en nous », précise Isabelle-Rachel Casta.

Le Loup-garou de Paris©Canal+, Cometstone Productions, Davis-Films, Delux Productions, Hollywood Picture

La sauvagerie, c’est aussi la pulsion sexuelle qui se donne pour la plupart du temps libre cours pendant la nuit. L’universitaire confirme : « Ce n’est pas par hasard si en anglais, “wolf” signifie aussi “tombeur de femmes”, et si en français l’expression “voir le loup“ renvoie à une prédation sexuelle. »

Ce corps impulsif et incontrôlable est aussi un écho à la transformation pubertaire, qu’elle soit féminine – il fait couler le sang lors de la pleine Lune, tous les 28 jours, au même rythme que les menstruations – ou qu’elle soit masculine – poils, hormones (il urine partout), instincts débridés, protection du territoire…

Un territoire d’ailleurs toujours défendu par la meute. Que ce soit au sein de la réserve amérindienne de La Push dans les livres et les films Twilight, ou au cœur de la ville de Jackson dans la série True Blood, les créatures sont solidaires entre elles pour se protéger de l’extérieur. Une caractéristique particulièrement mise en avant dans les récits actuels.

Entre Hugues-le-loup (écrit par Alexandre Chatrian et Émile Erckmann en 1999), revenant sur les errements d’une créature solitaire, et Wolf Pack (série diffusée sur Paramount+ en janvier dernier), mettant en scène un groupe de loups-garous, l’évolution est flagrante.

Twilight©Summit Entertainment, Temple Hill Entertainment, Sunswept Entertainment

« Le loup-garou en groupe fait bloc à travers une hiérarchie très précise. C’est un modèle de solidarité, mais à l’intérieur de la meute uniquement, développe Isabelle-Rachel Casta. Dès que vous êtes extérieur au groupe, vous êtes considéré comme un ennemi. Mais cette solidarité ne ferait-elle pas de vous un prédateur obtus, opposé à tout ce qui n’est pas de votre communauté ? »

La question est posée dans Twilight, quand la tribu Quileute s’oppose aux vampires – rivaux éternels des loups-garous, tous deux étant des êtres de dévoration, l’un de la chair, et l’autre du sang – jusqu’à ce que l’un des membres de la meute, Jacob, remette en question leur haine mutuelle. « Il nous donne la directive : de temps en temps, il faut se retourner contre sa propre meute et ne pas hurler avec les loups », glisse la spécialiste.

De la créature maudite et cruelle au mignon petit compagnon

Une vision très moderne de cette figure, alors que nous vivons dans une société où chacun cherche de plus en plus à s’identifier à une communauté, quitte à rejeter violemment les autres. La représentation du monstre n’a en fait pas cessé d’évoluer depuis les romans clés comme Le Meneur de loups d’Alexandre Dumas (écrit en 1857), mettant en scène le Diable en personne s’incarnant sur Terre sous la forme d’un loup noir.

Wolf©Columbia Pictures, Corporation

Avec des films comme Le Loup-Garou de Londres de John Landis (1981), sa suite Le Loup-Garou de Paris d’Anthony Waller (1997), ou encore Cursed de Wes Craven (2004), le monstre oscille entre une vision horrifique et une représentation plus humoristique. Jusqu’à la parodie totale, comme dans Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma (2020).

À partir des années 1990, on observe, en même temps que l’apparition de louves-garous, l’émergence d’une fierté d’en être un. « À travers une certaine forme de réhabilitation, il va devenir protecteur, défenseur des populations contre, notamment, les vampires, et il va souvent s’incarner dans des figures d’autorité comme le pompier, le policier ou l’enquêteur », détaille Isabelle-Rachel Casta.

Or, on ne peut pas réhabiliter un ancien symbole d’horreur tout en conservant son aspect repoussant. Selon la spécialiste, « il faut une amélioration de l’apparence pour obtenir une amélioration du personnage ».

D’une transformation radicale en être hirsute et bestial, sans aucun point commun avec un être humain, on passe à un changement estompé : les lycanthropes sont peu repoussants, voire très sexy, comme Scott McCall dans Teen Wolf ; ou mignonne et avec les griffes vernies comme Enid Sinclair dans Wednesday.

Outre l’apparence de la créature, c’est surtout la métamorphose en elle-même qui contribue à rendre la bête plus sympathique. « Aujourd’hui, les effets spéciaux permettent d’assister en temps réel à la métamorphose : les ongles se fendent, le dos s’arque, les poils jaillissent, les crocs poussent… Nous entrons alors en empathie avec la douleur épouvantable que doit ressentir cet être qui était, quelques secondes auparavant, humain, comme nous », murmure Isabelle-Rachel Casta.

La créature maudite et prédatrice devient un métamorphe digne de pitié et de sympathie, qui demande même parfois à être enfermée pour éviter de tuer : c’est par exemple le cas du personnage d’Oz, dans Buffy contre les vampires.

La spécialiste ajoute que « le renversement idéologique va encore plus loin quand le mythe sanglant devient un petit camarade affectueux, notamment dans la littérature destinée à la petite enfance, qui fait du Petit Chaperon Rouge un méchant personnage, repoussant le pauvre loup ». C’est le cas dans Mademoiselle sauve-qui-peut de Philippe Corentin, ou encore dans Loulou de Grégoire Solotareff.

Le loup-garou est même, depuis quelques années, le personnage principal d’un jeu culte et très amusant, Les Loups-Garous de Thiercelieux. Le revivalisme de cette figure, qui explose en séries et en littérature, enterre pour de bon le monstre redoutable et mortifère. Peut-être un signe de notre temps, nous invitant à accepter que l’animal tapi en nous peut, aussi, être fragile…

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste