Décryptage

M. Night Shyamalan : pour le meilleur et pour le pire

04 février 2023
Par Lisa Muratore
Le réalisateur M. Night Shyamalan sur le tournage de “Knock at the Cabin”.
Le réalisateur M. Night Shyamalan sur le tournage de “Knock at the Cabin”. ©Universal Pictures

M. Night Shyamalan est de retour dans les salles obscures françaises depuis le 1er février avec Knock at the Cabin. À l’occasion de sa sortie, L’Éclaireur revient sur la filmographie de ce maître du suspense, capable du plus surprenant comme du plus décevant.

Quinzième long-métrage de M. Night Shyamalan, Knock at the Cabin raconte la prise d’otage d’une famille par un groupe d’étrangers armés, qui exigent d’elle un choix impossible afin d’éviter l’apocalypse. Malgré un scénario flirtant avec le thriller psychologique et un casting intéressant, le long-métrage peine à cultiver le suspense. Un constat assez ironique quand on sait que M. Night Shyamalan est considéré, depuis son plus grand succès, Sixième Sens (1999), comme l’un des maîtres du retournement de situation.

Mais, depuis plusieurs années, sa filmographie est synonyme d’irrégularité. Entre flamboyances scénaristiques et nanars hérités de la série B, le réalisateur est capable du pire comme du meilleur. Un mystère digne des plus grands films du réalisateur que L’Éclaireur tente de décrypter. 

Un phénomène en perte de vitesse

Tous les classements des cinéphiles s’accordent à le dire : Phénomènes (2008) est l’un des pires films de M. Night Shyamalan. À l’époque, le cinéaste compte parmi les artistes incontournables d’Hollywood. Grâce au bouleversement de Sixième Sens, le cinéaste a réussi à se construire une réputation de « maître du suspense » sur laquelle les studios ont longtemps voulu capitaliser. Toutefois, à partir de 2007, la marque Shyamalan commence à s’essouffler en coulisses. L’écriture de Phénomènes se révèle laborieuse, différentes versions ayant été commandées par la production. Obligé de réécrire à plusieurs reprises le scénario, sans jamais parvenir à une version finale convaincante, Shyamalan accouche d’un film de science-fiction qui ne fait jamais le choix ni de la série B ni du film catastrophe.

Zooey Deschanel et Mark Wahlberg dans Phénomènes. ©20th Century Fox

On est loin du coup de génie des débuts, et le tournage ne fait qu’empirer les choses. Une direction d’acteurs chaotique et une distribution peu investie – dont un Mark Wahlberg bodybuildé, risible dans la peau d’un scientifique – n’ont de cesse de prouver que Shyamalan a multiplié les mauvaises décisions. Le film se déroule par ailleurs sans aucune subtilité, faisant oublier la maîtrise du détail du réalisateur. 

Pourtant, les premières minutes sont excellentes : le parc qui s’immobilise sous les yeux inquiets d’une inconnue, les gens qui tombent lourdement dans la rue ou, plus tard ces cadavres pendus aux arbres dans un quartier résidentiel. Toutefois, ces séquences catalysent les limites de la filmographie de Shyamalan : l’idée d’origine et les scènes d’exposition sont souvent synonymes d’excellence. La mise en scène impressionne et le réalisateur n’hésite pas à s’aventurer sur des territoires noirs. Mais, sans que l’on sache comment et pourquoi, le réalisateur bascule rapidement dans des ressorts alambiqués et des raccourcis scénaristiques.

Bande-annonce VF de Old réalisé par M. Night Shyamalan.

Un aspect que l’on retrouve relativement souvent dans sa filmographie, en témoigne l’un de ses derniers films, Old (2021). Tiré du roman graphique suisse Château de sable (Atrabile) de Pierre Oscar Lévy et Frederik Peeters, le film se présente comme un huis clos à ciel ouvert, dans lequel un groupe de touristes coincé sur une mystérieuse plage se voit vieillir à vitesse grand V. Cette idée originale, imprégnée de mysticisme, bascule cependant dans un thriller de science-fiction peu convaincant qui, sous couvert d’hommage à la série B, multiplie les facilités. La recette Shyamalan ne prend plus, le réalisateur offrant de simples divertissements à des spectateurs qui, autrefois, devaient user de toute leur intelligence pour percer à jour les mystères de ses films.

La pression de la production

En témoigne également After Earth (2013) porté par Will Smith et son fils, Jaden. Après Phénomènes, le cinéaste avait tenté de décliner une nouvelle fois le blockbuster écologique. Ce projet représente un cas particulier dans la filmographie du cinéaste, car, si le film avait essuyé de lourdes critiques – le tempo de Shyamalan se révélant plomblant face à la fantaisie futuriste du long-métrage –, c’est sa production qui avait surtout fait parler d’elle : accusée de tirer les principes de son message de la scientologie, elle avait fait polémique. À l’époque, M. Night Shyamalan avait sacrifié sa liberté au profit de celle de Will Smith, mégastar hollywoodienne, fidèle de l’Église Scientologue, qui avait personnellement, en tant qu’acteur principal, scénariste et producteur, contacté le réalisateur.

Bande-annonce VF d’After Earth.

Un comportement d’autant plus étonnant que le cinéaste n’avait pas voulu se laisser dicter la production de La Jeune Fille de l’eau (2006). Le réalisateur avait préféré couper net aux différends créatifs en se désolidarisant des studios Disney, partenaires privilégiés qui avaient bloqué à plusieurs reprises son scénario. Or, sans le soutien de l’une des compagnies les plus influentes d’Hollywood, M. Night Shyamalan a eu bien du mal à imposer son histoire sur grand écran, ce projet signant une descente aux enfers pour le cinéaste, marquée par les échecs de PhénomènesLe Dernier Maître de l’air (2010) – adaptation du manga culte qui récoltera cinq Razzie Awards, les Oscars des pires films de l’année – et After Earth.

Fragilisé par cet échec et son clash avec l’une des plus grosses majors américaines, le cinéaste perd en un film une bonne partie de son crédit à Hollywood. La rumeur en fait un auteur arrogant, intraitable, et la presse l’assassine sans ménagement. Il faudra attendre The Visit (2015) pour que les spectateurs retrouvent ce qui a fait sa renommée initiale. Financé par le réalisateur lui-même à la suite du succès commercial d’After Earth (243 millions de dollars au box-office mondial), et fort du soutien du roi de l’horreur, le producteur Jason Blum, The Visit a été perçu comme un retour aux sources pour Shyamalan. Un véritable salut pour la critique qui rappellera les plus grands films du réalisateur. 

Un réalisateur de l’humain

Durant le tournage, le réalisateur a pu garder un contrôle créatif total, chose qu’il n’avait pas eue depuis Phénomènes. Ceci lui a notamment permis d’utiliser pour la première fois le found footage, un procédé qui consiste à réutiliser une pellicule dans le but de fabriquer un autre film. Popularisée par Le Projet Blair Witch (1999), cette technique de mise en scène est souvent utilisée dans le cinéma expérimental, ainsi que dans le cinéma d’horreur, deux univers qui ont toujours fondé l’ADN de Shyamalan.

Bande-annonce de The Visit, qui signe le retour de M. Night Shyamalan dans les années 2010.

Que ce soit dans ses premiers films comme Praying with Anger (1992) ou L’Éveil à la Vie (1998), imprégnés du thème de la croyance métaphysique, ou bien avec Sixième Sens, premier long-métrage à réellement aborder l’esthétisme horrifique, le succès de Shyamalan vient avant tout d’une introspection. Qu’il questionne des thèmes universels comme la religion, la condition humaine, le deuil, ou bien qu’il s’inspire d’un événement de sa propre vie, la curiosité qu’il suscite provient avant tout d’une recherche et d’une réflexion personnelle sur l’humanité et ses émotions. 

Son goût prononcé pour l’horreur cinématographique lui vient de l’enfance. Le réalisateur a d’ailleurs confié qu’un jour, alors qu’il rentrait du supermarché avec ses parents, ces derniers ont cru que quelqu’un était rentré chez eux et les attendait dans leur chambre. Ce souvenir a finalement servi de scène d’exposition à Sixième Sens, durant laquelle le personnage de Bruce Willis, Vincent, découvre l’un de ses patients dans sa salle de bain. 

Haley Joel Osment et Bruce Willis dans Sixième Sens.©LILO/SIPA

Véritable succès, tant critique que commercial, le phénomène Sixième Sens catalyse tout ce qui fonde l’ingéniosité de Shyamalan. Le projet a notamment pu compter sur des acteurs de renom – Bruce Willis et Toni Colette –, mais surtout sur des twists renversants et une mise en scène à tiroirs subtile, réunis dans l’un des climax les plus marquants de l’histoire du cinéma. Le film a permis à Shyamalan de réaliser son rêve : devenir l’un des réalisateurs qui comptent à Hollywood, détenant un pouvoir créatif sans limite, à la manière d’un Hitchcock ou d’un Spielberg.

Un réalisateur de la réinterprétation

Le génie de Sixième Sens réside également dans sa réinterprétation des histoires de fantômes. Là où le cinéma d’horreur avait tendance à prendre le point de vue des victimes et à dépeindre les fantômes comme des créatures de l’au-delà maléfiques, Shyamalan est parvenu à dresser le portrait sensible et endeuillé de l’un d’eux. 

Tout au long de sa filmographie, le réalisateur a réinventé les codes du genre. Par exemple, avec Incassable (2000), Shyamalan explore la notion de Bien et de Mal à travers les figures du super-héros et du super-vilain modernes. Ce film, ainsi que la trilogie qu’il a inaugurée avec Split (2016), puis Glass (2019), montre également la capacité du réalisateur à avoir toujours un coup d’avance sur les films à concept. 

Bande-annonce VF de Split avec James McAvoy.

Bien avant que la pop culture s’empare des super-héros Marvel et DC, le cinéaste est l’un des premiers à avoir décliné ces thématiques sur grand écran. Ainsi, si la thématique a aujourd’hui investi le débat public, Shyamalan a su la développer dans Split, qui évoque les troubles mentaux de son personnage atteint de TDI (trouble dissociatif de l’identité), un film à mi-chemin entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire.

Un mélange des genres ingénieux

Ces réinterprétations résultent également d’un mélange des genres inédit. Dans Signes (2002), la thématique du deuil venait se confronter à la science-fiction et à une invasion extraterrestre. Cette création originale dans laquelle se mélangent émotion et suspense est portée par Mel Gibson. Shyamalan a offert ici à l’ancien interprète de L’Arme fatale un rôle inattendu, comme il a souvent eu l’habitude de le faire avec ses acteurs fétiches, notamment Bruce Willis ou Joaquin Phoenix.

Le réalisateur a souvent collaboré avec des actrices et acteurs hollywoodiens de renom, leur offrant des rôles à mille lieues de là où on les attendait. Il a également su dénicher de nouveaux talents. On pense à Anya Taylor-Joy dans Split ou encore Bryce Dallas-Howard dans Le Village (2004). L’éclectisme de sa distribution a toujours constitué un attrait de sa filmographie, en témoigne son dernier long-métrage Knock at the Cabin porté simultanément par l’actionner des Gardiens de la galaxie, Dave Bautista, et le talentueux artiste de Broadway Jonathan Groff. 

Bande-annonce VF de Knock at the Cabin, le dernier film de M. Night Shyamalan.

Finalement, Shyamalan, à l’image des réalisateurs hollywoodiens les plus populaires, n’est pas à l’abri de l’échec, malgré l’ingéniosité de ses scénarios, son imaginaire inédit, sa façon de réinventer les genres et de les mélanger. Ce scénariste et cinéaste aux idées fantasmagoriques n’a pas su éviter les problèmes de production, les faux-pas artistiques, la pression financière des studios, mais aussi celle du succès.

L’écrasante popularité de Sixième Sens, qui a fondé sa gloire, a finalement aussi provoqué sa perte. Écrasé par sa propre création, le réalisateur a été victime de son succès et n’est jamais arrivé à raviver complètement la flamme entre lui et son public, en dépit de plusieurs tentatives cinématographiques honorables. La dernière d’entre elles, Knock at the Cabin, est projetée dans les salles obscures depuis le 1er février 2023. Entre ésotérisme, blockbuster catastrophe et huis clos, le film s’inscrit dans la continuité de la filmographie de M. Night Shyamalan, une filmographie inclassable, à l’image de son cinéaste.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste