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16 ans après Google Traduction, l’IA a-t-elle remplacé les traducteurs ?

10 janvier 2023
Par Marion Piasecki
16 ans après Google Traduction, l'IA a-t-elle remplacé les traducteurs ?
©Jarretera/Shutterstock

Alors que les dernières avancées des IA inquiètent rédacteurs et artistes, le secteur de la traduction est concerné par ce problème depuis bien plus longtemps.

Ces derniers mois, les intelligences artificielles sont les stars de l’actualité tech, tant elles progressent de manière impressionnante. Des avancées qui créent aussi de l’inquiétude et de la colère, car elles remettent sur le devant de la scène la question du remplacement des humains par les robots et les IA. Le secteur de la traduction, lui, est traversé par ces questionnements depuis plusieurs décennies.

Les technologies évoluent, le marché du travail aussi

Pendant longtemps, les logiciels de traduction automatique comme Google Traduction attiraient les moqueries, tant ils faisaient du mot-à-mot et étaient incapables de saisir le contexte. Cela a changé dans les années 2010 avec l’arrivée des réseaux neuronaux, qui réussissent à traiter en une seule fois des phrases entières pour créer des traductions plus fluides et plus nuancées en s’appuyant sur le contexte.

Le logiciel de traduction automatique neuronale le plus connu – parce que gratuit – est DeepL. S’autoproclamant « meilleur traducteur du monde » sur son site, DeepL a été créé en 2017 par l’entreprise allemande Linguee, connue pour le site du même nom, un dictionnaire multilingue qui permet de trouver la traduction d’un mot ou d’une expression en comparant des textes dans les deux langues. DeepL s’appuie donc sur la base de données de ce premier site pour faire des traductions plus précises.

Cela a modifié en partie le travail des traducteurs freelance, puisque des clients les approchent parfois avec des textes traduits automatiquement et leur proposent seulement de relire et de corriger. Une solution plus rapide et moins chère pour les clients, mais frustrante pour les traducteurs, puisqu’il faut parfois retravailler des paragraphes entiers tout en étant moins payé. Les logiciels de traduction n’étant pas infaillibles, leur omniprésence donne l’amère impression aux traducteurs que leurs clients préfèrent la quantité à la qualité.

Contourner les limites

M’intéressant aux outils de traduction automatique depuis longtemps, j’essaie régulièrement de les pousser dans leurs retranchements avec une expression courante de la langue française : « J’ai bu la tasse ». Même un enfant sait que, selon le contexte, cette phrase peut vouloir dire que j’ai avalé de l’eau involontairement lors d’une baignade. Cependant, un logiciel de traduction automatique avancé comme DeepL est incapable de me le traduire de manière non littérale, y compris quand j’y ajoute le contexte d’une baignade. C’est en effet un idiome qui n’a pas forcément d’équivalent dans une autre langue, donc la base de données de textes comparés de Linguee ne lui est d’aucune aide. Quand le contexte de la baignade est précisé, il est possible en cliquant sur drank (bu) d’obtenir de nombreuses traductions alternatives. Parmi elles, choked (s’étouffer). Il faut donc une intervention humaine pour guider DeepL dans la bonne direction. Le site me propose ensuite d’enregistrer dans mon glossaire que boire se traduit par choke mais pas de saisir l’expression entière.

« Les exemples donnés jusqu’à présent semblent anodins, mais dans des contextes critiques où la traduction doit être parfaitement exacte, comme la diplomatie, la moindre erreur peut avoir de graves conséquences. Pour la littérature et l’audiovisuel, les humains seront toujours plus compétents pour retranscrire un style, un rythme ou une émotion particulière. »

Pour certaines langues, il arrive aussi que le logiciel fasse un détour par l’anglais, car c’est la langue qui a la base de données la plus complète. Cela donne parfois des erreurs de traduction étranges, comme l’expliquait en mai dernier l’enseignante-chercheuse Pascale Elbaz lors de la conférence « La traduction automatique neuronale va-t-elle remplacer les humains ? » : elle donne l’exemple d’un texte en chinois sur un calligraphe qui aime également sculpter des sceaux. Sceau, en anglais, est seal. Seal, toujours en anglais, peut également signifier phoque. La traduction française a donc décrit un calligraphe qui aime sculpter des phoques.

Les exemples donnés jusqu’à présent semblent anodins, mais dans des contextes critiques où la traduction doit être parfaitement exacte, comme la diplomatie, la moindre erreur peut avoir de graves conséquences. Pour la littérature et l’audiovisuel, les humains seront toujours plus compétents pour retranscrire un style, un rythme ou une émotion particulière. Les traducteurs humains restent donc indispensables pour bien des raisons.

Point positif, l’intelligence artificielle peut aussi être une alliée de ces traducteurs. La traduction automatique neuronale s’améliorant de jour en jour, elle leur permet de gagner du temps et de se concentrer sur des tâches plus complexes comme la recherche documentaire ou l’adaptation des références et du style au public visé. Bien que les traducteurs puissent regretter que les tarifs soient tirés vers le bas à cause des intelligences artificielles, ils sont loin d’être remplaçables et peuvent même être plus efficaces grâce à ces technologies.

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Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste
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