La guerre du streaming s’intensifie. Paramount+ arrive en Europe, quand Lionsgate+ quitte le continent, HBO Max fusionne avec Discovery+, mais ne sera pas tout de suite disponible en France, Salto est au bord de la disparition… Nouvelles règles, nouveaux tarifs : dans un univers de la vidéo à la demande en constante évolution et toujours plus concurrentiel, voici à quoi s’attendre en 2023.
C’est un véritable jeu de chaises musicales. Le marché des plateformes de SVOD, ou vidéos à la demande, est en pleine mutation. Laquelle sera supprimée ? Dans quelle région du monde ? Quelle autre prendra sa place ? Qui fusionnera avec qui ? En France, la dernière arrivée est Paramount+, disponible depuis le 1er décembre. Dans son catalogue, on trouve les productions et séries du groupe américain CBS (qui possède les chaînes MTV, Showtime, Comedy Central et Nickelodeon), mais aussi celles du studio de production Paramount Pictures, et même des films français grâce à un accord avec le producteur Gaumont.
Arrivées et départs dans le monde du streaming vidéo
Presque au même moment, en novembre dernier, la plateforme Lionsgate+, détentrice d’un catalogue moins important, annonçait quitter plusieurs pays d’Europe, dont la France. Arrivée dans le pays en 2019, elle venait pourtant d’entamer une nouvelle campagne promotionnelle et d’abandonner son précédent nom, Starzplay. Son départ est dû à de mauvais résultats, problème qui ébranle également la plateforme 100 % française Salto.
En deux ans, cette dernière n’aurait réussi à réunir qu’autour de 800 000 utilisateurs et accuserait une perte nette de 180 millions d’euros. Sa survie est actuellement incertaine : son propriétaire, France Télévisions, a ouvert le capital de la plateforme alors que ses deux autres actionnaires, TF1 et M6 ont claqué la porte à l’automne dernier. Les deux chaînes privées concurrencent même leur ancienne acquisition, leurs catalogues respectifs étant maintenant disponibles sur MyTF1 Max et 6play Max.
Deux plateformes de streaming de plus, alors qu’en 2020 on comptait 78 services de vidéos à la demande, juste dans l’Hexagone. Un chiffre sans cesse fluctuant : le marché évolue constamment, chaque chaîne câblée voulant créer sa plateforme de streaming et grappiller ses propres abonnés. Cependant, les limites de cette croissance folle semblent avoir été atteintes. Pour la première fois de son histoire, le leader du secteur, Netflix, a perdu des abonnés début 2022.
Rien d’étonnant pour Marc Bourreau, économiste du numérique et des plateformes. « La phase de croissance très rapide de ces plateformes est derrière nous, confirme-t-il. Il y a une moindre croissance parce qu’aujourd’hui, les gens intéressés par ces dernières sont déjà abonnés. Maintenant, il faut aller trouver des gens plus difficiles à atteindre ».
De moins en moins de nouveaux abonnés
D’une phase de croissance, on passe donc à une phase de stabilisation. Les chiffres restent très bons : 223 millions d’abonnés pour Netflix, 221 millions du côté de Disney+, Amazon Prime rassemble 200 millions d’utilisateurs, alors qu’HBO Max et Discovery+ en réunissent à eux deux 92 millions ; on en compte 40 millions pour Apple TV+ et 46 millions en ce qui concerne Paramount+. Il n’y a pas de baisse du nombre d’abonnés, mais un ralentissement de leur croissance, en particulier en France et aux États-Unis.
Si le chiffre global d’abonnements devrait rester stable, les plateformes vont donc maintenant se battre à l’intérieur du marché pour récupérer des utilisateurs à leurs concurrents. Ce qui ne sera pas sans impact sur les prix.
« Dans un premier temps, les plateformes consentent à faire des pertes et à proposer des prix attractifs pour attirer suffisamment de clients, et atteindre une sorte de masse critique en nombre de consommateurs, explique Marc Bourreau. Aujourd’hui, par exemple, Netflix fait de la marge sur ses abonnements, mais d’autres plateformes comme Disney+ ont dû consentir à plus de pertes à court terme pour atteindre cette masse critique. Mais, une fois que les plateformes ont acquis une masse de clientèle importante et qu’il y a moins de consommateurs à gagner, elles ont plutôt intérêt à augmenter un petit peu leurs prix, quitte à perdre quelques consommateurs, pour être plus rentables. »
En effet, le prix des abonnements augmente constamment depuis plusieurs années. Depuis son arrivée en France, en 2014, l’offre de Netflix a connu une hausse de 41 %, voyant passer son offre standard de 8,99 € à 13,49 € par mois. Selon une étude Hello Safe, il faut débourser en moyenne 9 € par mois pour bénéficier de l’une des huit plateformes de streaming les plus populaires disponibles en France.
Un niveau de prix qui semble satisfaisant pour la plupart des consommateurs. Mais, pour Marc Bourreau, « la question est de savoir comment réussir à atteindre des spectateurs qui ne sont pas prêts à débourser ce niveau de prix ».
Face à l’augmentation des prix, l’arrivée des offres avec pub
La solution qui commence à émerger, c’est celle des offres publicitaires. Le SVOD devient AVOD, un service de vidéos à la demande financé par la pub. Depuis novembre dernier, Netflix propose par exemple une nouvelle offre à 5,99 € au lieu de 8,99 € par mois. Le principe : quatre à cinq minutes de réclam’ par heure. Même chose chez Disney+, où l’offre avec pub, pour le moment disponible uniquement aux États-Unis, devrait arriver dans l’année en France : pour 7,99 $ au lieu de 10,99 $ par mois, le public sera bombardé de quatre minutes de spots de 15 à 30 secondes par heure.
De nouvelles options que n’adopteront pas forcément toutes les plateformes, avance Marc Bourreau. « Les sociétés n’ont pas toutes les mêmes stratégies : pour certaines, comme Apple TV+ ou Amazon Prime, les plateformes de streaming sont une sorte de produit d’appel vers autre chose – le matériel informatique pour Apple, l’e-commerce pour Amazon, affirme le spécialiste. Ces plateformes ont des intérêts différents, le modèle publicitaire ne leur convient donc pas forcément à toutes. »
D’autant plus que ce mode de fonctionnement n’est pas vraiment la panacée. Pendant les fêtes de fin d’année, Netflix a été contraint d’offrir un remboursement à certains de ses annonceurs, le nombre d’abonnés susceptibles de visionner les publicités étant, pour le moment, insuffisant. L’offre avec pub ne trouve pas preneurs. Et, quand c’est le cas, il se trouve que beaucoup de souscripteurs ne sont pas de nouveaux clients du N rouge, mais des abonnés ayant changé leur offre.
Rachats, fusions, interdictions de partages de comptes : de nouvelles formes de régulations
D’autres changements sont plus susceptibles de se généraliser dans l’année à venir et sur le long terme. C’est le cas des mesures anti-partages de comptes. Netflix a osé faire le pas, afin de mettre fin à cette pratique lui faisant perdre trop d’argent. La plateforme a même expérimenté, en Amérique latine, une option à 3 $ de plus par mois pour partager son compte avec ses proches. Et il est peu probable qu’elle soit la seule à mettre en place des restrictions en ce sens.
Une forme de régulation du nombre de plateformes pourrait aussi s’opérer dans les mois à venir. « On peut imaginer qu’à terme, les plus petites plateformes pourront être rachetées par les plus grosses ou qu’elles fusionneront, selon Marc Bourreau. C’est une forme de consolidation. »
On commence en effet déjà à parler de fusion en ce qui concerne HBO Max et Discovery+, par exemple. Toutes deux propriétés de Warner Bros. Discovery, les plateformes ne devraient plus faire qu’une,courant 2023. L’expert ajoute qu’« on peut imaginer voir apparaître de plus en plus d’offres en package par des agrégateurs ».
Une solution face à des consommateurs qui ne pourront pas s’abonner à six, sept, voire huit plateformes simultanément, même si des offres publicitaires low cost font leur apparition. En France, on est abonné à 2,1 services de streaming en moyenne par foyer, selon une étude du CSA et de l’Arcom publiée en 2021. Des foyers qui s’abonnent et se désabonnent très aisément.
« Ces plateformes font face à des consommateurs qui passent assez facilement d’une plateforme à une autre, précise Marc Bourreau. On parle d’offres sans engagement, donc si les clients ne sont pas satisfaits, ce n’est pas très compliqué pour eux de résilier et de s’abonner à une autre plateforme, voire de se réabonner plus tard parce qu’il y a un nouveau programme qui les intéresse. »
Une seule arme pour les plateformes : un contenu de qualité
Face à des hausses de prix et à des restrictions dans le partage de comptes, il faut donc éviter que les consommateurs se tournent vers la concurrence, voire pire, vers le streaming illégal. Pour cela, une seule chose fera la différence. « Le nerf de la guerre, ça reste les contenus !, certifie Marc Bourreau. Il faut que les plateformes soient soucieuses d’offrir un produit satisfaisant en termes de qualité et de prix, sinon elles pourront perdre leurs clients du jour au lendemain. Proposer des contenus considérés comme attractifs et intéressants par les consommateurs, c’est primordial. »
Les abonnés perdus dans les tréfonds de catalogues surchargés de programmes peu qualitatifs et sans aucune diversité seront les premiers à se désabonner. Et à aller voir ailleurs. « Dans les prochaines années, les plateformes vont se différencier par l’originalité de leurs contenus », soutient Marc Bourreau. Selon l’expert, chaque marque devra trouver son positionnement, et apporter quelque chose de nouveau par rapport à ses concurrents. C’est déjà le cas de Disney+, par exemple, qui possède un certain nombre de franchises, comme Star Wars ou Marvel.
L’offre d’Amazon Prime Video, de son côté, permet aussi d’accéder à des options de livraison améliorées pour les achats sur Amazon et donne accès à Amazon Music et Prime Gaming. Netflix semble également tenter de se démarquer : depuis le début de l’année, la plateforme propose par exemple des cours de fitness. La production de contenus en interne est aussi une façon de posséder des programmes inédits.
Même si on note un ralentissement de la croissance des abonnés, Marc Bourreau relativise : « L’âge d’or des plateformes de streaming est peut-être devant nous, glisse-t-il. Quand Netflix est apparu, il était un outsider dans le monde des programmes de télévision par rapport aux grands réseaux câblés. Aujourd’hui, il en est l’un des acteurs majeurs et le modèle de la plateforme de streaming est celui qui s’impose. Sans compter sur le fait que les plateformes ont encore des relais de croissance à exploiter dans plusieurs régions du monde, comme l’Inde. » Si le marché des plateformes SVOD est secoué, il a donc, malgré tout, un bel avenir devant lui.