Critique

Performance, de Simon Liberati : au-delà des apparences

17 novembre 2022
Par Léonard Desbrières
Simon Liberati au restaurant Chez Drouant, à Paris, le 3 novembre 2022.
Simon Liberati au restaurant Chez Drouant, à Paris, le 3 novembre 2022. ©Isa Harsin

L’annonce du gagnant a fait grincer des dents ; mais derrière les suspicions germanopratines se cache un roman enlevé et touchant.

Évoquer sereinement et objectivement le nouveau roman de Simon Liberati, couronné du prestigieux Prix Renaudot, requiert d’enfiler sciemment quelques œillères… D’abord, c’est accepter sans broncher qu’un des membres du jury du prix qui vient de le couronner, Frédéric Beigbeder, n’est autre que son ancien éditeur. Ensuite, c’est oublier que ce dandy nonchalant, cynique et déglingué se plaît à agacer. Enfin, c’est mettre de côté les histoires alambiquées de cette étrange famille recomposée où les amours semblent partagées.

Une fois débarrassés de toutes ces simagrées, le travail d’analyse critique peut débuter. Et il s’avère que Performance est un très bon roman ; peut-être pas le meilleur de l’auteur, mais sans doute l’un de ses plus touchants. Simon Liberati y renoue avec ce qu’il fait de mieux.

Sa plume se montre aussi à l’aise dans l’exercice du portrait que dans l’art de la fresque, et puise dans la vie hors norme des légendes du siècle pour bâtir des mythologies qui interrogent notre temps. Après la star d’Hollywood Jayne Mansfield dans Jayne Mansfield 1967 (Grasset, 2011) et le gourou tueur en série Charles Manson dans California Girls (Grasset, 2016), il se penche cette fois sur le météore du rock Brian Jones et raconte les débuts des Stones.

Entre l’arrestation de Keith Richards et Mick Jagger pour usage de stupéfiants en 1967 et la mort suspecte du surdoué en 1969, il explore la première époque chaotique d’un des groupes les plus légendaires de la musique.

L’écrivain et son double

Mais dans Performance, au singulier – comme le titre du film culte de Donald Cammell et Nicolas Roeg avec Mick Jagger et Anita Pallenberg (1970) –, une seconde couche narrative vient se superposer à la plongée rock dans les sixties anglaises.

Vieilli de dix ans, caricaturé, Simon Liberati fait irruption dans sa propre histoire et en devient le truculent protagoniste. Car, si l’on s’immerge dans la vie des Stones, c’est parce que l’écrivain, atteint du syndrome de la page blanche et fauché comme les blés, a accepté, malgré sa haine pour les biopics, la commande de minisérie qui lui a été passée.

Il a quelques semaines pour donner vie à Satanic Majesties et raconter l’ascension fulgurante de cette bande de voyous déjantés. Ce deuxième décor, cette deuxième temporalité donne une autre ampleur au récit et souligne une des qualités premières de Simon Liberati. Comme son ami Frédéric Beigbeder, il est un chroniqueur corrosif et hilarant de l’air du temps. De la jeune génération de producteurs mainstream, bête et arrogante à son propre personnage grimé en incontinent qui refuse de vieillir : rien ni personne n’échappe à sa plume acérée.

Le charme discret de l’autofiction

Le nouveau roman de Simon Liberati est le symbole frappant du grand paradoxe de l’autofiction, genre à la mode qui engloutit tout sur son passage. Il en symbolise à la fois toute la richesse quand il fait de l’écrivain écrivant un personnage de roman et façonne une saisissante mise en abîme d’une vie à l’épreuve des mots.

Le jeu de miroir qui s’installe entre la comète Brian Jones et l’astre affadi de l’écrivant vieillissant fait basculer le récit dans une émotion qu’on n’avait que trop rarement aperçue chez l’écrivain.

Performance, de Simon Liberati (Grasset). En librairie depuis le 17 août 2022.©Grasset

Mais il en dit aussi toutes les dérives quand il tombe dans un voyeurisme dérangeant et quand il perpétue le récit séculaire du vieil intellectuel et de sa jeune muse. Les tourments d’un vieux mâle qui sait que l’insaisissable Esther, du haut de ses 25 ans, est promise à lui échapper, l’inspiration qu’elle continue malgré tout à lui insuffler, les cours particuliers qu’il aime à lui prodiguer… Aucun des douloureux clichés ne nous est épargné.

On parvient néanmoins à les oublier quand Simon Liberati confie, à cœur ouvert, comment il a réappris à aimer. Fiction quasi documentaire au rythme effréné, autoportrait littéraire qui n’hésite pas à sulfater, histoire d’amour qui se hisse contre les clichés, ce livre surprenant porte donc bien son nom tant il relève de la performance d’équilibriste.

Performance, de Simon Liberati, Grasset, 252 p., 20 €. En librairie depuis le 17 août 2022.

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