Décryptage

Faut-il réguler les cryptomonnaies ? L’Europe dit oui

20 août 2022
Par Florence Santrot
Faut-il réguler les cryptomonnaies ? L’Europe dit oui
©RODNAE Productions/Pexels

Instaurer une régulation européenne des cryptomonnaies, une fausse bonne idée ? Entre nécessité de confiance et besoin de ne pas contraindre un système en plein développement, les avis divergent.

À l’heure actuelle, comparer le marché des cryptomonnaies au far-west américain semble assez proche de la réalité. Au regard de ces derniers mois et du crash des cryptomonnaies les plus populaires, bitcoin et ether en tête, il ne fait aucun doute que les cryptoactifs sont loin d’être des valeurs stables. Le bitcoin a ainsi perdu plus de 60 % de sa valeur depuis novembre. Se pose donc la question de la réglementation de cet écosystème émergent. En plein hiver crypto (c’est ainsi que l’on appelle une chute prolongée des cours), l’autorégulation ne semble séduire ni le Parlement européen ni les législateurs français. L’heure est plutôt à l’encadrement strict pour cette nouvelle classe d’actifs.

Sur les conseils de la Commission des affaires économiques et monétaires du parlement européen (ECON), l’Union européenne (UE) a validé fin juin un premier projet de réglementation au travers de deux textes complémentaires : le TFR (Transfert of Funds Regulation) et le MiCA (Market in Crypto Assets). « Ce règlement historique met fin à la loi de la jungle dans le domaine des cryptoactifs et confirme le rôle de lUE dans la définition de normes pour les secteurs numériques », a assuré Bruno Lemaire, ministre français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Les deux projets de loi ont été validés, mais n’ont pas encore été définitivement votés.

TFR et MiCA, deux lois pour réguler les cryptos au niveau européen

« Nous mettons de l’ordre dans le Wild Wild West des cryptoactifs et établissons des règles claires pour un marché harmonisé qui offrira une sécurité juridique aux émetteurs de cryptomonnaies, garantira l’égalité des droits pour les fournisseurs de services et garantira des normes élevées pour les consommateurs et les investisseurs », a résumé Stefan Berger, député européen allemand et membre de l’ECON.

D’un côté, le TFR vise à appliquer aux transferts financiers en cryptomonnaies les mêmes standards européens de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. De l’autre, la loi MiCA entend harmoniser la régulation de ce nouveau genre d’actifs. Cela passe notamment par la création d’un PSAN européen. Il s’agit d’un registre des prestataires (ceux qui gèrent l’achat et la vente d’actifs numériques), comme les plateformes de trading. Avec deux obligations : une procédure d’enregistrement quel que soit le pays d’origine pour pouvoir exercer en Europe et des contraintes de fonds propres. Ce dernier point semble bien utile au regard de l’actualité récente.

Des milliards de dollars bloqués en raison de faillites

En raison de la chute des cryptos ces derniers mois, pas moins de cinq grandes entreprises spécialisées dans les cryptomonnaies ont mis la clé sous la porte, laissant leurs utilisateurs le bec dans l’eau. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ces compagnies avaient contracté des prêts pour acheter des actifs en vue de les revendre ou de les prêter (sorte de location temporaire d’actifs), selon les cas de figure. Avec l’effondrement des cours, elles se sont retrouvées dans l’incapacité totale de rembourser leur dette. Pas d’autre solution que de se déclarer en faillite.

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C’est le cas notamment de Celsius, en faillite depuis mi-juillet. Résultat : plus de 11,8 milliards de dollars de fonds sont bloqués sur la plateforme et les clients (1,7 million de personnes) n’ont pas accès à leurs avoirs (4,7 milliards de dollars). Le business modèle de Celsius ? Prêter de l’argent et rémunérer des dépôts en jouant avec les cours des cryptomonnaies, mais sans proposer les mêmes garanties qu’une banque classique. L’affaire semblait juteuse : des taux d’intérêt à plus de 18 % pour les épargnants et de seulement 0,1 % pour les emprunteurs. Mais quand les cours des actifs virtuels s’effondrent durablement… tout le château de cartes s’effondre. C’est pour éviter ce genre de situation que l’Union européenne veut instaurer un cadre régulateur.

Le risque d’une régulation trop stricte

Si certains sont totalement opposés à la moindre régulation, la plupart des acteurs européens du secteur sont plus pondérés, à condition de ne pas pousser le curseur trop loin. Pascal Gauthier, CEO de la licorne française Ledger, spécialisée dans la vente de portefeuilles matériels de cryptomonnaies, est de cet avis. « MiCa et TFR sont les premières moutures d’une régulation qui va être longue. Il faut rester très léger en matière de régulation, puisqu’il faut laisser les marchés se faire et, quand on régule, il faut surtout réguler de manière pragmatique, c’est-à-dire sans avoir en tête la régulation passée, mais en ayant en tête les nouveaux outils, les nouveaux marchés afin de rendre la régulation plus efficace », explique-t-il à BFM.

Si la crainte que la régulation n’inhibe l’innovation sur les marchés des cryptomonnaies ou en bride le développement revient régulièrement, la plupart s’accordent pour dire que cela permettra de protéger et rassurer les investisseurs, ce qui est une bonne chose.

Dimanche 31 juillet 2022, le Sénat français a publié un texte sur les cryptoactifs. Il revient sur l’histoire de ce nouveau marché financier, mais aussi sur l’absence de législation… Sans pour autant trancher franchement sur la nécessité ou non d’un cadre juridique. Il est donc suggéré de constituer une commission d’enquête sénatoriale afin de « mieux connaître ces dispositifs et peut-être de les encadrer ». Car, avant de voter des lois, encore faut-il comprendre de quoi on parle et quels sont les enjeux.

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