Décryptage

Les arnaqueurs, ces nouvelles stars des séries et des réseaux sociaux

21 juillet 2022
Par Agathe Renac
“Inventing Anna”.
“Inventing Anna”. ©Netflix

L’Arnaqueur de Tinder, Inventing Anna, The Dropout… En deux ans, les séries sur les escrocs se sont multipliées. Une glamourisation qui rapporte beaucoup aux « vrais » arnaqueurs, et fascine les spectateurs.

Jusqu’à présent, les serial killers étaient les personnages préférés des documentaires. Le public se délectait de leurs histoires sordides et suivait avec attention le moindre détail. Netflix a ainsi pris un malin plaisir à décortiquer les vies de Ted Bundy et de Billy Milligan. Ces émissions spécialisées ont rencontré un tel succès qu’elles se sont rapidement hissées dans le top 10 des œuvres les plus vues de la plateforme. Cependant, d’autres criminels pourraient leur voler la vedette. Depuis deux ans, les arnaqueurs sont partout : dans les documentaires, les fictions et même dans les séries.

Netflix réalise le casse du siècle

Disney+ a raconté l’affaire Theranos et le parcours de sa fondatrice, Elizabeth Holmes, qui a falsifié les résultats de sa machine alors qu’elle promettait de révolutionner les tests sanguins. De son côté, Apple TV+ a dépeint l’ascension fulgurante et la descente aux enfers de WeWork, ainsi que les portraits de ses créateurs manipulateurs et sans pitié. Mais, au royaume des escrocs, Netflix est roi. En 2021, la plateforme a révolutionné le genre avec Les Rois de l’arnaque. Exit la voix off et les images d’archive en noir et blanc. Dans le documentaire de Guillaume Nicloux, l’histoire est racontée par ceux qui l’ont vécue.

Escroc, amis d’enfance, flics, procureur, journalistes, juges… Ils apparaissent un à un à l’écran et nous font revivre « le casse du siècle ». Le spectateur boit les paroles de ces intervenants particuliers et écoute religieusement leurs anecdotes et autres confidences. Il (re)découvre le parcours de ces « individus venus de nulle part » qui ont dérobé 283 millions d’euros au fisc français entre 2008 et 2009. Marco Mouly, à l’origine de cette escroquerie, apparaît comme un personnage drôle, loufoque, franchement sympathique. Il nous donnerait presque l’impression de plonger dans l’univers d’un Soprano à la française.

Le 2 février 2022, Netflix récidive et diffuse L’Arnaqueur de Tinder. Dès la première semaine, le documentaire comptabilise 45,6 millions d’heures de visionnage dans le monde et atteint le top 10 de la plateforme dans 92 pays. Un record. La forme est la même : des interviews croisées, illustrées par des photos et des captures d’écran de messages envoyés. À la seule différence que cette fois-ci, le personnage principal n’est pas l’escroc, mais la victime. L’arnaqueur dont on parle, c’est Simon Leviev – ou du moins le nom qu’il utilise.

Il aurait dérobé 10 millions de dollars à plusieurs femmes qu’il a rencontrées sur une application de rencontre. Son plan était rodé : il se faisait passer pour le fils de Lev Leviev (le magnat israélo-russe du diamant), séduisait ses victimes, leur promettait une vie de rêve, entretenait une relation à distance (qui durait parfois des années) pour leur soutirer des sommes d’argent importantes. Face caméra, les jeunes femmes racontent leurs histoires, similaires, et le cauchemar qu’elles ont vécu.

Les spectateurs sont fascinés et en redemandent. Bien conscient d’avoir trouvé sa nouvelle poule aux œufs d’or, Netflix compte capitaliser sur le true crime. Mais la plateforme sait se réinventer et veut révolutionner le genre. Le 11 février, elle diffuse Inventing Anna, une série de fiction créée par Shonda Rhimes. Rien que ça. Immense nom d’Hollywood, la scénariste, réalisatrice et productrice américaine a piloté des mastodontes comme Grey’s Anatomy, Scandal ou encore La Chronique des Bridgerton.

Shonda Rhimes + faits divers = succès. Le calcul est parfait. Les abonnés sont fascinés par l’histoire d’Anna Delvey, une jeune arnaqueuse russe qui a soutiré 275 000 dollars à des hôtels, des banques et des proches. Le show bat le record de la série en langue anglaise la plus visionnée en une semaine. Entre le 14 et le 20 février, il enregistre 196 millions d’heures de visionnage et devance des géants du petit écran comme You (179 millions), The Witcher (168 millions) et Sex Education (160 millions).

De la prison aux plateaux de télévision

Bad Vegan, The Puppet Master, Fyre… La liste est longue et les histoires sont toutes plus folles les unes que les autres. Ces productions rapportent gros à Netflix, mais aussi aux arnaqueurs eux-mêmes. Ces escrocs, passés derrière les barreaux, sont désormais sous le feu des projecteurs. Le succès de ces documentaires et de ces séries ne fait que les glamouriser tout en leur donnant de la visibilité. Aujourd’hui, Marco Mouly est devenu influenceur. Il est suivi par 129 000 abonnés sur Instagram et enchaîne les plateaux de télévision.

Le compte de Simon Leviev dénombre quant à lui 331 000 followers. Il a été banni de Tinder mais aimerait écrire un livre ou avoir sa propre émission de téléréalité. Selon le site américain TMZ, il aurait récemment signé un contrat avec Gina Rodriguez (connue pour être l’agent de nombreuses stars de la TV) et serait payé 20 000 dollars pour faire une apparition dans des boîtes de nuit. À l’inverse, ses victimes remboursent encore leurs dettes.

« On est tout autant captivés par des histoires de meurtre que de détournement, de manipulation et de mensonge. Notre société est très friande de la petite perversion. »

Jospeh Agostini
Psychologue et auteur

Interrogé par Capital, Maître Guy Ophir (qui représente les plaignants) assure qu’il souhaite « prendre tout l’argent qu’il a pu ou va gagner grâce à cette arnaque. (…) L’objectif est qu’il soit puni et que tout le monde sache qu’il a été condamné. Avant, on ne donnait pas autant de visibilité à un escroc, on n’accordait pas cinq minutes de gloire à un criminel. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, c’est l’inverse. »

Le combat de l’avocat pourrait être plus difficile que prévu. Selon Insider, Netflix aurait versé 320 000 dollars à Anna Delvey pour les droits de son histoire. Après avoir dédommagé ses victimes et payé ses avocats et l’État, elle en aurait finalement touché 20 000. Cependant, la jeune femme compte profiter de sa nouvelle célébrité pour repartir de zéro et construire un nouvel empire. Elle continue de poster des photos sur son compte Instagram (suivi par un million de personnes), prépare son propre documentaire et aurait déjà investi dans la cryptomonnaie, les NFT et la technologie. De quoi bien occuper ses journées en détention.

« Pourquoi ils nous fascinent ? Parce qu’ils nous rappellent cet état antérieur, quand on pensait que tout était permis. »

Jospeh Agostini
Psychologue et auteur

“On est tous l’arnaqueur de quelqu’un”

Ces arnaqueurs et arnaqueuses doivent leur succès aux plateformes qui ont cru au potentiel de leur histoire, et au public qui les a suivis. Sans l’intérêt des spectateurs, ils n’auraient pas eu droit à ce nouveau départ inespéré. Mais pourquoi passer des heures à binger ces séries, alors que le catalogue des plateformes déborde de pépites et de titres innovants ? « Parce qu’il y a toujours eu une fascination de la perversion, admet le psychologue Joseph Agostini. Les arnaqueurs sont sur la première marche de l’échelle, et on retrouve les tueurs en série à la toute dernière. On est tout autant captivés par des histoires de meurtre que de détournement, de manipulation et de mensonge. Notre société est très friande de la petite perversion. »

L’Arnaqueur de Tinder.©Netflix

L’auteur de Je dépense comme je suis et Tueurs en série sur le divan avance une autre raison : leur audace nous impressionne. En effet, la question de la morale et de la culpabilité sont au centre de nos personnalités et de nos vies. « À l’inverse, un arnaqueur est comme un enfant qui n’a pas intériorisé ces lois et qui pourrait mentir à ses parents pour obtenir ce qu’il veut. Pourquoi ils nous fascinent ? Parce qu’ils nous rappellent cet état antérieur, quand on pensait que tout était permis. »

Le psychologue ajoute qu’on peut plus facilement s’identifier à un arnaqueur qu’à un tueur en série. « Il vit comme un poisson dans l’eau dans cette société, car nous sommes tous l’escroc de quelqu’un. On le voit sur les réseaux sociaux ou sur Tinder, quand on ghoste sciemment une personne alors qu’on sait que c’est pervers. »

Inventing Anna.©Nicole Rivelli/Netflix

Joseph Agostini a conscience que les spectateurs sont captivés par ces êtres sans culpabilité. On les regarde défier les lois morales en se demandant si on aurait osé le faire, si on ne serait pas plus heureux sans ces barrières qui nous freinent. « Non, c’est un leurre. La perversion ne mène pas au bonheur. Ces escrocs ont d’autres démons et peuvent ressentir des sentiments de honte, de détresse, et des angoisses d’anéantissements après avoir commis ses actes. Être un arnaqueur, c’est l’enfer. » Un enfer pavé de mauvaises intentions et de gros billets verts, donc.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste