Les meilleurs romans de Sorj Chalandon

Né de l’expérience d’un reporter aguerri et d’un enfant blessé, l’univers romanesque de Sorj Chalandon navigue entre le poids des conflits et les blessures intimes. Entre vérité et mensonge, force et fragilité, ses livres portent une voix unique, à la fois puissante et retenue. Du Jour d’avant à L’Enragé, en passant par Enfant de salaud, l’émotion affleure, jamais surjouée, toujours à fleur de peau. De mots. Voici cinq romans pour approcher au plus près cette voix qui ne triche pas. 

Le Petit Bonzy (2005)

Lyon, 1964. Jacques Rougeron a douze ans, un bégaiement tenace et des silences plein la bouche. Pour survivre à l’école, au père, aux ricanements des autres, il se crée un double imaginaire, le Petit Bonzi, petit frère de fortune et compagnon d’angoisse. Cinq jours durant, il écrit, ou plutôt, il essaie. Comme on tâtonne dans le noir. À la recherche d’un mot, d’un apaisement, d’une herbe magique qui guérirait le langage, et peut-être même le monde autour. Premier roman de Sorj Chalandon, Le Petit Bonzi explore avec une sincérité désarmante les détours de l’enfance blessée. De son combat silencieux mais violent contre lui-même et face à ceux qui riaient de lui. Le style est franc, précis, sans effet. Ce n’est pas un livre sur l’éloquence mais sur l’effort de parler. Et à travers ce journal tremblant, c’est déjà la promesse d’une voix qui s’annonce, fragile et singulière. 

Mon Traitre (2008)

Mon Traître, c’est le fruit – au goût amer – de trente ans de reportages en Irlande où, de 1977 à 2006, Sorj Chalandon fut grand reporter pour Libération. Trente ans à faire voir, entendre et comprendre le conflit nord-irlandais entre républicains catholiques et loyalistes protestants. Le journalisme fut alors son seul terrain pour dire cette guerre… jusqu’à ce jour de décembre 2005 où Denis Donaldson, figure charismatique de l’IRA devenu ami fraternel de Sorj Chalandon, avoue être un agent double à la solde des services secrets britanniques. La trahison est intime, la blessure insurmontable. Trop violente pour la réalité du journaliste. Alors s’impose la fiction du romancier. Chalandon devient Antoine, luthier parisien, Donaldson, Tyrone Meehan. Derrière ce double romanesque, l’auteur explore l’indicible : l’amitié brisée, la mémoire en ruine, l’Irlande aimée qui vacille. Le roman devient chambre d’écho de l’affliction et un geste de survie. Une langue nue, tendue, à l’oralité presque chuchotée. Écriture de la nuit, écriture de la plaie : Mon Traître est un roman de colère et de chagrin. Et un adieu nécessaire. 

Retour à Killybegs (2011)

Après le mensonge de Mon Traitre, la culpabilité de Retour à Killybegs. Ceux qui ont lu le premier, liront forcément le second : l’autre face d’une même douleur. Après avoir extériorisé le roman de la colère et du chagrin, Sorj Chalandon déroule ici celui de la confession sans concessions en donnant la parole à l’espion et félon Tyrone Meehan. Décembre 2006, alors qu’il vient de souiller 25 ans de son existence face à la presse et aux caméras, face à sa femme, ses enfants et ses amis, le traitre a choisi d’aller se mettre à l’écart et à l’abri. De rentrer chez lui, dans la maison de son père, à Killybegs, dans le Donegal. Et de raconter… Un retour aux sources pour mieux nous plonger au cœur de cette âme noire déchirée, hantée par les raisons qui l’ont poussé à agir contre ses convictions, contre ceux qui l’aiment et qui l’ont aimé. L’écriture toujours « à l’os », Chalandon dresse le portrait de cet homme courageux mais piégé. Un homme ravagé aux nuits sans sommeil dont on comprend, au fil des pages, les rouages pernicieux qui l’ont amené à trahir tout ce en quoi il croyait. 

Le Quatrième Mur (2013)

Beyrouth, 1982. Georges, jeune metteur en scène parisien, est venu honorer la promesse de son ami Sam : monter l’Antigone d’Anouilh au cœur de la guerre civile libanaise avec des comédiens issus de chaque camp. Voler deux heures de paix à la guerre. Une utopie dérisoire, tragique, que Sorj Chalandon, trente ans après avoir été l’un des premiers journalistes à entrer dans les camps de Sabra et Chatila, charge, au gré des pages du Quatrième Mur, d’une intensité bouleversante. Car si à l’époque, le journaliste avait dû taire ses émotions, le romancier, à travers Georges, ose enfin ici les affronter. Et le « quatrième mur » de devenir alors le symbole fragile d’un espoir têtu, balayé par la violence. Chalandon signe un roman bouleversant, d’une beauté sèche. La langue est tendue, les larmes pudiques, l’émotion sans emphase. Une magnifique tentative de paix au cœur du fracas.  

Profession du père (2015)

Avec Profession du père, Sorj Chalandon poursuit l’exploration de sa jeunesse lyonnaise. Après avoir abordé le traumatisme de son bégaiement dans Le Petit Bonzi, l’écrivain réveille ici une figure d’autorité longtemps tue. Celle d’un père insaisissable, mythomane, tyrannique, violent mais surtout malade. À travers le regard du jeune Émile Choulans, treize ans, Chalandon donne corps à ce fantôme familial qui se rêvait tour à tour chanteur, pasteur, agent secret ou héros de l’OAS. Le roman avance au rythme des illusions paternelles et des missions absurdes confiées à l’enfant, pris dans une loyauté déchirante. Sorj Chalandon signe là un texte d’une grande force, précis, incarné, sans haine ni pathos, qui dit la solitude d’un enfant prisonnier de l’amour filial et le vertige d’une vie soumise aux mensonges d’un père metteur en scène de sa propre légende.