Les départs en vacances approchent et vous ne savez pas quels livres emmener avec vous ? Sébastien, libraire à la Fnac Bercy-Village, va vous aider à remplir votre valise de poches, le format idéal pour voyager. Avec ces romans, tous coups de cœur garantis, il vous souhaite le meilleur été possible et ose même espérer que certains marqueront votre année. Quelques-uns l’accompagnent encore aujourd’hui ! Et n’ayez crainte, il y en a pour tous les goûts.
Et si on commençait avec un peu de science-fiction ?
Mais pas n’importe laquelle, avec ce qu’on appelle de la dystopie, un des nombreux genres de la SF qui peut se résumer assez simplement comme étant le contraire de l’utopie. Un livre d’anticipation en somme, mais dans lequel le futur ne va pas très bien se passer. Vous avez votre compte de mauvaises nouvelles avec l’actualité et les prévisions d’un avenir sombre ? Faites-moi confiance car il s’agit là d’une fiction géopolitique qui utilise les méthodes du roman d’espionnage pour nous servir un thriller de haute volée dont je vous garantis que vous ne pourrez plus vous passer.
Ecrit à quatre mains par d’anciens hauts responsables militaires, Elliot Ackerman et James Stavidris, 2034 est un véritable page-turner. Comme son titre l’indique, l’action se passe dans onze ans. Un événement mineur va créer un incident diplomatique entre les Etats-Unis et la Chine plongeant, par le biais d’une escalade hallucinante et pour autant tout à fait convaincante, le monde sous la menace d’une guerre nucléaire imminente.
Crédible et documenté, servi par des personnages bien campés, son rythme endiablé nous tient en haleine dans son engrenage irrésistible sur le fil de l’apocalypse.
Partons maintenant pour la Croatie…
Avec ce roman noir qui est aussi une fresque poignante de ce beau pays des Balkans, vous ne verrez plus la côte dalmate comme avant.
Nous sommes dans les années 1980, au temps de la Yougoslavie de Tito, au soir d’une fête de village, une jeune femme disparaît. Des années durant, sa famille, ses proches n’auront de cesse de la rechercher. Des indices probant tentent à prouver qu’elle serait toujours vivante et entretiennent un espoir qui paraît de plus en plus illusoire.
A travers plusieurs décennies, c’est toute l’histoire de la Croatie qui défile : sa transformation en pays « occidental » et l’essor du tourisme qui va profondément modifier le paysage et les âmes perdues, victimes autant que coupables de ce nouvel eldorado capitaliste. L’Eau rouge de Jurica Pavicic est une quête intime et historique qui ne vous laissera pas de marbre. À lire absolument !
Un peu d’histoire…
4 août 1789. A cette époque-là, le concept même d’estivant n’existait pas et une infime portion de la population avait le privilège de penser aux vacances d’été. Date historique que nous connaissons tous pour l’avoir au moins apprise à l’école, la nuit du 4 août est un moment-clé de notre société française que Bertrand Guillot s’évertue à nous faire vivre, en nous permettant de suivre les débats des Etats Généraux.
On vibre avec les personnages qui nous parlent de mauvaises récoltes dues aux problèmes climatiques, d’impôts non payés par les riches tandis que les pauvres croulent sous les taxes. Toute ressemblance avec des enjeux ou des faits contemporains n’est pas tout à fait fortuit… Drôle et exaltée, L’Abolition des privilèges est un roman finalement aussi historique qu’actuel qui n’a pas fini de vous passionner.
Une tranche de rire
Le Syndrome du canal carpien est certainement est un des romans les plus drôles que j’ai lu depuis ces dernières années, tout en étant un roman captivant qui met le doigt sur des questions très actuelles de notre société. Autant vous le dire tout de suite, il n’est pas ce que l’on pourrait appeler politiquement correct, et c’est assumé. John Boyne fait mouche en s’attaquant à la société médiatique bien-pensante à travers le portrait d’une famille britannique obsédée par les réseaux sociaux. Sombreront-ils à ce syndrome à force de maltraiter leurs pouces sur l’écran de leurs téléphones ? Une chose est sûre, avant de perdre leurs mains, ils auront perdu leurs âmes.
Arrogants, suffisants et déshumanisés par ce petit bout de métal entre leurs doigts, le téléphone portable va-t-il les perdre ? Ne reculant devant aucune polémique, John Boyne dénonce à peu près toutes les valeurs qui caractérisent ce soi-disant “nouveau monde” qu’il ramène à ce qu’il est réellement : un monde peureux, terré derrière des revendications d’identités à foison, un monde individualiste et étriqué jusqu’à en oublier ce qui nous rassemble : les échanges, la parole, les valeurs communes et nuancées, l’humanité. Comique de situation, running-gags, absurde, grotesque, tout un panel de la comédie au service d’un roman hilarant à ne pas manquer.
Direction les Grands Lacs américains
On reprend un peu de sérieux mais non moins d’intérêt avec ce roman bouleversant de Pete Fromm. Deux jumeaux frère et sœur dans un bateau, leur père dans un autre, partent à l’aventure comme au temps béni de leur enfance. Mais revivre ces souvenirs ravivent aussi des secrets indélébiles. L’hiver vient et la glace entrave de plus en plus leur épopée lacustre qui risque bien de virer au cauchemar, à moins que ce ne soit la lourdeur des frustrations accumulées et l’effet explosif des révélations familiales…
On vibre avec eux en se demandant où va bien pouvoir les conduire ce Lac de nulle part, mais ce qui marque le plus est peut-être la plume de l’auteur. Il faut beaucoup de talent pour faire passer de si fines émotions sans jamais verser dans l’étalage ou le pathos. Un livre profondément humain que je vous conseille fortement.
Entrons en non-fiction
Un roman qui n’en est pas tout à fait un, c’est-à-dire qu’il est essentiellement basé sur des faits réels recueillis sous la forme de témoignage, ça vous tente ? L’écriture, disons-le tout de suite – brillante – de Mathieu Palain fait le reste. Au début il courait pour échapper aux vigiles, et il s’est rendu compte qu’il courait vite, très vite. Tellement vite qu’il est devenu adepte des pistes d’athlétisme et champion de France du 400 mètres. Pourtant il passera plus de temps en prison que dans les stades : Toumany Coulibaly, athlète et cambrioleur.
Ne t’arrête pas de courir est le livre de cette rencontre. Un livre qui hésite entre gâchis patenté et frustrations mortifères, et qui questionne nos certitudes sur la notion même de talent avec au centre l’addiction et le déterminisme social. C’est quoi d’ailleurs être un champion ? Un sujet exaltant et poignant à découvrir absolument dans ce très beau roman.
Raviver la mémoire
Des années 70 à aujourd’hui, la chronique d’un monde disparu, celui d’une industrie florissante et conquérante, celui aussi d’une classe ouvrière fière et solidaire. Une dignité qui revit sous la plume de Christian Astolfi dans ce roman poignant et vibrant de poésie. De Notre Monde emporté est l’histoire émouvante et digne des Chantiers navals de La Seyne-sur-mer à travers le personnage de Narval et des siens qui se lancent coûte que coûte dans une lutte sans merci contre l’ogre qui veut prendre leur travail et leur savoir-faire. Un roman poignant et nécessaire.
Faire vivre le souvenir
L’émotion affleure à chaque page de ce pavé qui en compte 672, un roman bouleversant nimbé d’une lumière auréolant la puissance de l’amitié nourrie par un appétit d’aimer et de vivre à fleur de peau. Les Optimistes de Rebecca Makkai nous fait vivre du point de vue d’une bande d’amis la tragédie du Sida qui fait rage durant toutes les années 1980 et 1990.
Aujourd’hui mieux contrôlée, sans pour autant être éradiquée, cette maladie a créé durant les dernières décennies du XXe siècle des situations dramatiques absolument insupportables tant au niveau sanitaire que social. Ce roman est un très bel hommage, qui donne aussi de belles raisons d’espérer. Un livre qui vous marquera longtemps.
Une grande fresque romanesque
Sur sa toile des souvenirs, Fernando Aramburu fait se confronter deux familles du Pays basque espagnol déchirées par le conflit nationaliste. L’une a un fils enrôlé dans la lutte armée de l’ETA des années 1990, l’autre en est victime. Autrefois amies, les deux mères de famille se regardent comme dans un miroir dans lequel se déroule une guerre sans merci entre pardon et oubli.
Patria se veut un roman basque mais il est bien plus que ça : un récit admirable, écrit à hauteur d’homme, qui redonne ses lettres de noblesse à la fresque romanesque. Ouvrez les pages d’une conscience humaine bafouée sur l’autel de la violence, et dont le seul espoir réside dans le pardon des uns et la repentance des autres. Inoubliable, cette lecture vous accompagnera bien plus longtemps que vos vacances.
En route pour New-York
Plongez à Brooklyn, années 1990, dans le quartier italien de Gravesend plus exactement, où un flic corrompu traîne son ennui en jouant au justicier « en équilibre entre le désespoir et la routine ». Ivre de chagrin, il croit que sa cruauté le vengera. Ce n’est que le départ de confrontations entre disloqués de la vie que le hasard rassemblera.
Un roman choral noir, social et plein d’espoir aussi. Fidèle à son habitude, William Boyle éclaire de sa plume sensible les destins personnels dont il démêle les impasses. La Cité des marges ne dévie pas à la règle et dresse le portrait d’un quartier, lieu de naissance de l’auteur, où se joue une très belle part d’humanité. Bouleversant.
Radiographie française
Un homme et une femme qui se sont connus et aimés durant leurs années lycée dans l’Est de la France se retrouvent la quarantaine passée. Elle était partie pour accomplir sa vie et symbolise la réussite professionnelle. Il est resté, et s’il souhaitait lui aussi réussir, force est de constater qu’il a plutôt passé sa vie à vivoter.
Entre désirs inassouvis et frustrations, le portrait d’un pays au tournant d’une élection symbolisant la victoire de l’idéologie managériale. Vanité des puissants. Vacuité des valeurs. La recherche du bonheur. Une histoire d’amour aussi. Et une chanson entêtante qui rassemble tout le monde : « On dit que la vie est une folie, et que la folie ça se danse ». Connemara de Nicolas Mathieu est un grand roman qui vous entraîne et ne vous lâche plus.
Détour noir en Italie
L’Eté sans retour est un court roman dans lequel se condensent plusieurs tensions sociales : l’homosexualité dans le milieu paysan des années 2000, la disparition d’une jeune fille de quinze ans, l’indécence des médias qui tournent autour du drame comme des vautours. Mais il y a aussi l’indignité des uns et la douceur des sentiments des autres.
Tout cela s’emboîte formidablement bien avec une justesse de ton impressionnante, malgré la densité et la gravité des sujets abordés : « La vie se gagne et se regagne sans cesse, à condition de se convaincre qu’un salut est toujours possible, et de se dire que rien n’advient qui ne prend racine en nous-mêmes. » Le tout est lié par un suspense implacable duquel vous ne pourrez vous détourner. Giuseppe Santoliquido connaît-il la recette idéale pour une lecture addictive et intelligente sous le soleil d’été ?