Depuis Gainsbourg et quelques autres, un vent de folie musicale souffle sur la chanson française. À côté des légendes du genre, un certain nombre d’artistes multiplient les pas de côté, les décalages, pour bâtir une œuvre à part, parfois couronnée de succès. Qui sont ces OVNIS qui font la diversité de la scène hexagonale ? Réponse en dix exemples, à l’occasion de la sortie du nouvel album d’Hubert-Félix Thiéfaine, Géographie du vide.
Brigitte Fontaine
Contemporaine de Gainsbourg, Brigitte Fontaine a montré, dès la fin des années 1960 et son album Brigitte Fontaine est… folle ! qu’une vague contestatrice montait dans la relativement conservatrice chanson française. Mêlant expression théâtre, ironie mordante et arrangements originaux (signé d’Areski Belkacem), sa discographie engagée et exigeante brille par son écriture littéraire, capable de remuer les auditeurs en quelques mots. Prolifique, la pensionnaire de l’île Saint-Louis, à Paris, a publié un disque en 2020, Terre neuve.
Hubert-Félix Thiéfaine
Appartenant à un réseau underground des années 1970 polarisé autour de la Franche-Comté, Hubert-Félix Thiéfaine a réussi l’exploit de conquérir un public fidèle et nombreux sans avoir accès aux médias pendant des années. La Fille du coupeur de joints, Lorelei Sebasto Cha, Je t’en remets au vent, Les Dingues et les Paumés… Du folk au rock, de la ballade érotico-stupéfiante au brûlot nihiliste, ce chanteur a bâti une œuvre exceptionnelle, marquée par des paroles rimbaldiennes et bourrées de références littéraires. Plus discret dans les années 2010, Thiéfaine signe son retour en 2021 avec un nouvel album, Géographie du vide, désormais promu en radio et en télévision. Signe d’une reconnaissance, tardive, mais méritée, d’un trublion de la chanson française !
Gérard Manset
Auteur d’un morceau culte pour les soixante-huitards (Animal on est mal), Gérard Manset mérite par bien des points son titre d’OVNI de la chanson française. Longtemps resté loin des scènes, de la foule, des journalistes, cet auteur-compositeur-interprète peu orthodoxe a brillé en studio, par ses expérimentations et son sens de la mélodie. Du concept-album avant-gardiste de ses débuts (La Mort d’Orion) à ses ballades hypnotiques (Comme un Lego) en passant par ses tubes obsédants (Il voyage en solitaire, Y’a une route), cet étrange personnage a profondément influencé les artistes des différentes générations de la scène hexagonale.
Christophe
Au challenge de la hype, le regretté Christophe a coiffé tous les autres artistes des années 1960 au poteau. Un peu vite rangé dans la catégorie des chanteurs sentimentaux (Aline, Les Mots Bleus ou Les Marionettes en témoignent), il a révolutionné son approche dans les années 1970. Dès la B.O. de la Route de Salina, puis ses albums Les Paradis perdus ou Samouraï, il a pris davantage de risques, lorgnant vers le rock progressif ou la pop « indépendante ». Oiseau de nuit, amateur d’arrangements tantôt luxuriants tantôt expérimentaux, il a effectué un retour retentissant dans les années 2000 avec le disque Aimer ce que nous sommes, bientôt suivi des Vestiges du Chaos et des disques de duos avec différentes générations de musiciens : Christophe etc.
Alain Bashung
À son décès, en 2009, Alain Bashung s’était réconcilié avec le public : son ultime album, Bleu Pétrole, a été couronné de succès, et les Victoires de la Musique le consacrent comme l’un des plus grands. Mais les années de vache maigre n’ont pas été oublié : entre la fin des sixties et 1979, il a essuyé refus sur refus, de la part des maisons de disques. Son premier tube, Gaby Oh Gaby, puis Vertige de l’Amour, le font connaître, sans que ses albums ne soient des cartons. Il faut dire qu’entre blues crépusculaire (Figure imposée), new wave expérimentale (Novice), et textes alambiqués à la Boris Bergman, Bashung déboussole et glane son titre d’OVNI. La consécration arrive avec Osez Joséphine, puis Chatterton, et enfin Fantaisie militaire (où se trouve La Nuit je mens), dans les années 1990. Autant d’albums à la fois accessibles et risqués, où l’artiste convoque des musiciens brillants et le parolier Jean Fauque pour créer un univers inoubliable.
Charlélie Couture
Les OVNIS de la chanson française ont souvent une accointance avec le rock. Charlélie Couture, le plus newyorkais de nos artistes hexagonaux, en avait une attitude. Sa voix déchirée, sa diction particulière, très anglo-saxonne, l’ont fait connaître. De Poèmes rock à Lafayette, l’homme a créé une discographie singulière, se renouvelant à chaque sortie ou presque.
Rodolphe Burger
Prof de philo, Rodolphe Burger n’a pas le profil classique d’un chanteur français. Et c’est bien ce qui fait son charme : avec son groupe, Kat Onoma, puis en solo, il est apparu comme l’une des figures les plus intéressantes du rock indé à la française. Encore très actif (Environs date de 2020), il délivre des bombes de spoken-word aux sonorités abrasives depuis vingt ans, sur des albums forts, tel No Sport, par exemple.
Dick Annegarn
Hollandais d’origine, Dick Annegarn est un vrai chanteur à univers. Très engagé politiquement, il a bâti une discographie exigeante, où affleurent des chefs-d’œuvre de tendresse et d’humour tels Sacré Géranium, avec son tube Bruxelles, ou Mireille. Son blues acoustique loufoque fait encore merveille sur son dernier disque en date, Söl.
Jean-Louis Murat
Provocateur né, mais aussi vrai « chanteur de région », en l’occurrence l’Auvergne, Jean-Louis Murat se fout de bien des convenances. À un rythme effréné, celui qui avait secoué la chanson française avec Suicidez-vous, le peuple est mort avant de fréquenter Mylène Farmer pour le tube Regrets, publie des disques importants, entre blues, country, folk et soul. Sa discographie prolifique est ainsi jalonnée d’excellentes galettes, tels Mustango, Le Moujik et sa femme, Babel, Grand lièvre, Lilith ou Taormina…
Feu! Chatterton
Dans la chanson française excentrico-expérimentale des années 2000-2010, de nombreuses plumes continuent à tracer le sillon des OVNIS des décennies précédentes. En parallèle des Mansfield TYA, Flavien Berger, La Femme et Requin Chagrin, Feu! Chatterton symbolise peut-être le mieux cet héritage. Sur leur dernier disque, Palais d’argile, entre textes littéraires et engagés, musiques parfois baroque et attitude néo-dandy, le groupe invente un langage à part, pour un album qui sonne comme de la science-fiction… De quoi boucler la boucle !