Contraction de « cybernétique » et de « punk », le cyberpunk a d’abord été une école littéraire avant d’être un genre. En dépeignant des univers de science-fiction dans lesquels le transhumanisme, la réalité virtuelle et le poids du capitalisme génèrent des rébellions singulières, des auteurs comme Neal Stephenson ou William Gibson ont tracé un sillon à part dans les littératures de l’imaginaire. Voici 10 livres pour l’approfondir.
Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick (1966)
Quinze ans avant la naissance du cyberpunk, Philip K. Dick a exploré certaines thématiques du genre dans Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? dont on connaît très bien aujourd’hui l’adaptation, nommée Blade Runner. En questionnant la différence entre vie organique et vie artificielle, avec des robots si proches de l’homme qu’ils interrogent leur propre nature, dans un roman suivant un flic spécialisé dans la traque des androïdes tombant pourtant amoureux de l’une d’entre elles, l’auteur culte s’intéressait déjà au transhumanisme et à l’intelligence artificielle, des disciplines réinvesties par le cyberpunk face aux progrès de l’informatique dans les années 1980.
Gravé sur chrome de William Gibson (1981-1982)
Trente ans avant les clés USB, William Gibson imaginait le transport de données informatiques par implant cybernétique dans la nouvelle Johnny Mnemonic, qui devait rester comme le premier récit cyberpunk. Narrant l’utilisation de biotechnologies à des fins criminelles, mais également la révolte d’activiste anti-tech, l’auteur lance là une vague qu’il perpétuera lui-même dans différentes nouvelles rassemblées dans Gravé sur chrome puis avec son roman Neuromancien, archétype de la littérature cyberpunk, évoquant hacker, matrice virtuelle et dystopie capitaliste.
La Schismatrice de Bruce Sterling (1985)
L’avenir est-il à la modification génétique ou à l’augmentation mécanique ? Telle est la discorde qui traverse le XXIIIe siècle présenté dans La Schismatrice, qui voit les progrès technologiques de l’humanité cliver la population de l’univers. En suivant un aristocrate un rien manipulateur dériver entre ses deux approches, Bruce Sterling créait un roman cochant toutes les cases du cyberpunk : cybernétique, biotechnologie et révolte contre un capitalisme mutant sont au cœur de ce livre fondateur.
Dr Adder de Kevin Wayne Jeter (1984)
Dans l’entourage de Philip K. Dick à la fin de sa vie gravitait un dénommé Kevin Wayne Jeter. Plus tard connu comme l’un des fondateurs de l’école Steampunk, il a pu faire lire à l’auteur d’Ubik un manuscrit considéré comme l’un des premiers livres cyberpunk : Dr Adder. Autour d’un chirurgien esthétique se livrant à de folles opérations sur les corps, à des fins sexuelles en particulier, l’écrivain dresse le portrait d’une Amérique malade, balkanisée, au cours d’un roman violent et résolument contestataire, sorte de mélange entre Cronenberg et Mad Max.
Inner City de Jean-Marc Ligny (1996)
L’addiction aux réseaux virtuels figure parmi les tropes de la littérature cyberpunk. Dès 1996, Jean-Marc Ligny en décrivait les grandes lignes le temps d’Inner City, roman d’anticipation se déroulant dans un Paris vide, chaque habitant préférant passer du temps dans un autre univers via une machine s’apparentant à une console de jeux. Autour de thèmes cruciaux – comment distinguer le réel du virtuel, comment censurer ce qui se passe dans un monde imaginaire – l’auteur a réussi l’un des meilleurs romans cyberpunk francophones.
Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson (1992)
Un hacker, accessoirement livreur de pizza pour la mafia, se connecte à un metaverse et se retrouve en possession de données sensibles : un langage sumérien capable d’influencer le cerveau de ceux qui l’entendent. Dans un contexte d’Amérique ruinée, soumise aux sectes religieuses, aux entreprises privées et aux organisations criminelles, les révélations d’un plan secret pour contrôler les esprits deviennent un enjeu narratif marquant. Dystopie colorée de cyberpunk, Le Samouraï virtuel mérite d’être découvert, de même que sa suite thématique, L’Âge de diamant, toujours signée Neal Stephenson.
La Cité des permutants de Greg Egan (1994)
Vanilla Sky, Passé virtuel, Matrix… La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont vu l’éclosion d’œuvre explorant des simulations virtuelles complètes. Un roman de Greg Egan, La Cité des permutants, anticipe ce phénomène, en imaginant le « téléchargement » de cerveaux humains dans un environnement virtuel, permettant l’immortalité. Présentant une société ravagée par la pollution, où l’échange de données est un enjeu majeur, ce roman d’anticipation contestataire n’a pas pris une ride en 2025…
Carbone modifié de Richard Morgan (2002)
Reconnu à l’international grâce à son adaptation Netflix (Altered Carbon), Carbone modifié est d’abord et avant tout l’un des emblèmes littéraires du cyberpunk moderne, qu’on a tendance à appeler postcyberpunk. Premier tome d’une saga consacré à Takeshi Kovacs, le livre nous plonge dans un monde où la résurrection numérique est possible, le corps devenant une simple enveloppe « d’âmes » stockées sur des serveurs entre deux incarnations. Ce concept narratif fort se prolonge avec une intrigue digne d’un polar, le héros devant enquêter sur des meurtres commis dans le milieu de la prostitution et du trafic cybernétique. Plus optimiste, par certains côtés, que ses prédécesseurs cyberpunk, Richard Morgan se révèle maître du livre hybride entre thriller et science-fiction avec cette saga.
La Maison des derviches de Ian McDonald (2010)
Désignant aujourd’hui des romans de genres très différents, le terme « cyberpunk » peut être thématiquement rattaché à La Maison des derviches, qui nous plonge dans une Istanbul futuriste, caniculaire, avec comme point de départ un attentat sans victime dont sont témoins les personnages mis en scène dans le récit. Petit à petit, Ian McDonald dévoile que la bombe a en réalité permis de relâcher des nanoparticules déclenchant diverses manifestations hallucinatoires chez ceux qui les ont respirées. Et livre au passage un foisonnant roman, à la fois exotique et post-moderne, interrogeant notre rapport à la religion, notamment.
Le Goût de l’Immortalité de Catherine Dufour (2005)
Mêlant récit épistolaire, dystopie à base de corps et d’esprits génétiquement modifiés et roman exotique – son intrigue se déroule dans une version futuriste de Harbin, au nord de la Chine – Le Goût de l’Immortalité raconte une pandémie, une guerre larvée, la montée des fanatismes religieux, et surtout la quête de sens dans un monde affolé. Aussi brillante qu’effrayante, l’œuvre de Catherine Dufour figure parmi les meilleurs livres de science-fiction français de ces vingt dernières années. Tous genres confondus.