Terre sacrée des Indiens, les Montagnes Rocheuses offrent des décors grandioses où la nature a gardé tous ses droits. C’est aussi le berceau du mouvement littéraire connu comme l’École du Montana (ou Montana Connexion), auquel appartiennent des auteurs de grande envergure indissociables du paysage de la littérature américaine. Dans de telles contrées, le « nature writing » prend vraiment tout son sens !
Colorado
Peindre, pêcher et laisser mourir, Peter Heller
Jim, peintre et alcoolique repenti, vit sur le fil du rasoir depuis la mort brutale de sa fille. Retiré dans une petite bourgade du Colorado, il peint et il pêche, tentant de goûter les choses simples et bonnes de la vie et de tenir ses démons à l’écart. Mais c’est aussi un gars qui en a… et quand il voit une petite jument se faire maltraiter par un abruti, son sang ne fait qu’un tour. Ce dérapage va déclencher une chasse à l’homme dans les paysages grandioses des Rocheuses. Ce livre sonne comme un hommage à Jim Harrison : l’importance de la pêche et de la nature, un héros viril et tourmenté, un petit côté « noir » et contemplatif où la beauté s’invite discrètement au détour d’une toile ou d’une rivière. À lire quand on a qu’une seule envie : lézarder au soleil et laisser le temps filer…
Les Derniers Grizzly, Rick Bass
Géologue de formation, Rick Bass place la nature au premier plan de ses ouvrages, lui donnant le rôle de personnage principal. Ses descriptions sont d’une précision scientifique, son écriture est parfois minérale ; l’humain est presque gommé par la toute-puissance de la terre que cet auteur écologiste tient à sauvegarder. Dans cet ouvrage, il raconte comment il est parti à la recherche des derniers grizzlys du Colorado, dans une expédition menée par Doug Peacock. Cet ancien du Vietnam, féroce défenseur des ours qu’il préfère aux humains, a inspiré le personnage de George Hayduke à Edward Abbey pour son roman Le Gang de la clé à molette. La folle équipe suera sang et eau, poussera les hauts cris devant tant de beauté et de gâchis, traquera la bête, et vous embarquera dans une aventure de passionnés !
Idaho
Cinq Ciels, Ron Carlson
Cela se passe sur les hauteurs d’un canyon, loin de l’agitation de la ville. Pour tout décor, la nature sauvage et préservée ; en toile de fond, un ciel infini… et trois hommes. Art, taciturne et réservé, est un homme d’expérience, surdoué de la construction. Ronnie, plus feu follet et très attachant, fuit son passé de délinquant en devenir. Et enfin il y a Darwin le chef de projet, brisé par la mort de sa femme. Ces trois-là sont réunis pour bâtir quelque chose d’inhabituel, ce projet n’étant révélé que petit-à-petit au lecteur, sans doute car la vraie construction se passe ailleurs. Elle se passe dans les liens que ces hommes forgent au fil des pages et qui convergent vers une belle amitié virile, solide comme le roc, mais mesurée et réservée. Ces sentiments forts, mais tout en retenue, alliés aux descriptions magnifiques du paysage qui sert d’écrin à l’histoire forment un long drink envoûtant aux saveurs douces amères.
Les Animaux, Christian Kiefer
Entre son refuge pour animaux blessés et son histoire d’amour avec une belle vétérinaire, la vie de Bill est paisible et tout-à-fait respectable. Mais son passé lui revient brusquement à la figure lorsque son ami de jeunesse, Rick, sort de prison et refait surface pour régler quelques « détails » laissés en suspens. Ce livre, qui vous balade dans la vie de ces deux « presque-frères » à différentes époques, pourrait être une histoire de rédemption. Ce pourrait être aussi une histoire de vengeance, ou de mensonge… Ce qui est sûr, c’est que l’auteur mêle adroitement roman noir et nature writing, crée des personnages à la dualité troublante et des animaux plus qu’attachants, et manie la plume avec une force et une poésie rares. C’est le second roman de Christian Kiefer (le premier n’est pas encore traduit en français) et vous tenez-là une pépite annonciatrice d’une nouvelle voix importante du paysage littéraire américain, rien de moins !
Indian Creek, Pete Fromm
Un récit de jeunesse malicieux et enthousiaste ! C’est avec beaucoup d’auto-dérision que Pete Fromm raconte sa première incursion dans le monde sauvage. Âgé d’une vingtaine d’années, ce jeune homme se cherche un peu. Si les études ne le passionnent guère, les mystères de la nature et la vie atypique des trappeurs lui font de l’œil. C’est pourquoi il accepte un boulot qui consiste à surveiller des œufs de saumon jusqu’à leur éclosion. Livré à lui-même dans l’hiver glacial de l’Idaho, Pete Fromm apprendra tout sur le tas et collectionnera les erreurs et les petites victoires, le tout avec joie de vivre et respect de l’environnement, s’il vous plaît ! Ce récit initiatique est un bel hommage à l’apprentissage et à la beauté sauvage, il est parfait pour faire une première lecture de nature writing.
Montana
Yaak Valley, Montana, Smith Henderson
Véritable hymne aux laissés pour compte, aux paumés, aux marginaux, ce premier roman est une belle découverte ! C’est d’une écriture très empathique qu’Henderson décrit les errances de Pete Snow dans le Montana des années 80. Cet assistant social, qui s’investit à fond dans ses missions malgré les difficultés, est en banqueroute personnelle : sa fille a fugué, son frère est en cavale, son boulot l’épuise. Mais ça ne l’empêche pas de venir en aide à Benjamin Pearl, un gamin sauvage qui vit dans les bois avec son père, un illuminé persuadé que l’Apocalypse est proche. Ce que Pete aimerait savoir, c’est pourquoi Jeremiah Pearl cherche à disparaître encore un peu plus, pourquoi il est aussi évasif sur le reste de sa famille ? Ce livre va au-delà des apparences, faisant surgir de belles choses au milieu de la fange. Ce texte, âpre et dur, est pourtant très humaniste et distille un espoir farouche. Atypique, surprenant, un style fluide et attractif… n’ayez pas peur des 500 pages, ça se lit tout seul !
Montana 1948, Larry Watson
Un petit roman d’apprentissage très réussi ! L’été de ses 12 ans, David Hayden perd ses illusions et son innocence ; le tableau idyllique qu’il pouvait se faire de son monde et de son entourage n’est plus qu’un souvenir terni par le drame qui bouleverse sa famille. Le texte a beau être court et l’intrigue avoir un goût de déjà-vu, Montana 1948 mérite le détour tant l’auteur amène en finesse le lecteur à s’interroger sur la force des liens familiaux, la loyauté face à la justice, le mépris de certains pour ceux qu’ils considèrent comme quantité négligeable. L’air de rien, nombre de ses personnages vont devoir remettre toute leur vie en question et puiser au fin fond de leur force d’âme pour prendre les décisions qui s’imposent, au risque de perdre beaucoup. Cet aspect psychologique est parfaitement mis en scène par Larry Watson, à mots mesurés, sans étalage outrancier mais avec la force émanant de ces hommes du Montana, droits dans leurs bottes et durs à la peine. Une adaptation en roman graphique vient de paraître aux éditions Sarbacane.
La Rivière de sang, Jim Tenuto
Fraîchement installé comme guide de pêche pour le compte de Lather, un riche homme d’affaire du milieu des médias, Dahlgren Wallace compte bien profiter du ranch de son employeur pour couler des jours tranquilles, bien mérités pour ce vétéran de la guerre d’Irak. Hélas pour lui, les rivières du Montana ne lui apporteront pas le calme escompté, car un de ses clients est assassiné et il est très vite suspecté. Décidé à mener sa propre enquête, Dahlgren va se heurter à un bel échantillonnage de meurtriers potentiels : milice de néo-nazis, éco-terroristes, ranchers antipathiques. L’équilibre entre action, contemplation et humour noir est bien réparti, le style est fluide et les dialogues savoureux. C’est malheureusement, à ce jour, le seul roman de l’auteur… à ne pas laisser passer, donc !
La Mort et la belle vie, Richard Hugo
Un des classiques de l’École du Montana, dont Richard Hugo fut un des pionniers lorsqu’il était professeur à l’université de Missoula dans les années 60. Quand un poète se lance dans l’écriture d’un roman policier cela donne une pépite que les amateurs de littérature américaine se doivent de lire ! Cela donne un flic surnommé « La tendresse », tellement il est gentil… Dommage pour lui que le monde qui l’entoure soit bien plus brutal, que ce soit dans cette nature belle et accueillante ou dans les rues plus sordides des grandes villes qu’il a laissées derrière lui. Mais cela n’empêchera pas Al Barnes « La tendresse » de mener son enquête avec intelligence et raffinement, tout en régalant le lecteur de ses considérations, amusantes et poétiques mais lucides, sur les hommes et le monde alentour. Un très bon roman à savourer lentement, car c’est le seul qu’a pu écrire Richard Hugo avant d’être emporté par la maladie.
Wyoming
Retour à Oakpine, Ron Carlson
Mais quel beau roman ! Dans la veine de Cinq ciels, Ron Carlson écrit avec encore plus de force sur une belle amitié d’hommes, de celles qui se passent d’excuses et d’explications malgré les erreurs et le temps passé. C’est l’histoire des retrouvailles de quatre amis d’enfance dans leur ville natale après trente ans de séparation. Ces quatre quinqua sont tous à un tournant de leur vie et naturellement, le soutien de chacun est bienvenu et apprécié. Pour Jimmy, c’est différent : atteint du sida, il est revenu pour mourir chez lui, même s’il ne veut pas s’imposer auprès de ses parents et se contente d’aménager une dépendance dans le jardin. Peu à peu, les liens se resserrent encore pour cette bande de potes, qui décident de reformer le groupe de rock de leur adolescence. Et c’est dans des dialogues nostalgiques et empreints de pudeur que se déroule le fil des vies de ces hommes : les joies, les regrets, l’amour, l’espoir… Ce livre parle avec délicatesse de choses très simples, belles et douloureuses. Carlson est d’une tendresse poignante avec les personnages qui peuplent ce roman, c’est terriblement touchant…
Little Bird, Craig Johnson
Craig Johnson est l’archétype de l’écrivain de l’Ouest américain : stetson vissé sur un visage halé par le grand air, la barbe sympathique, l’œil canaille… Il a exercé toutes sortes de boulots, intellectuels ou manuels, avant de poser ses valises au fin fond du Wyoming, dans un ranch proche des réserves indiennes. Il y partage son temps entre ses chevaux et l’écriture (et sûrement la pêche, non ?), bref ce mec est un cow-boy, un vrai ! Little bird est le premier tome des Enquêtes de Walt Longmire, un shérif déprimé par son veuvage et un peu fatigué après un quart de siècle passé à faire régner l’ordre dans ce petit comté du Wyoming. Si vous aimez les intrigues policières en milieu indien, l’humour bourru des gars de la campagne, les grands espaces et les shérifs qui ont une vie après le boulot, n’hésitez pas ! Le style de Craig Johnson est fluide, efficace, il n’y a pas de lenteur et il s’entend parfaitement à créer des personnages plus vrais que nature et à plonger le lecteur au cœur d’un Wyoming sauvage et mystérieux, teinté de mysticisme amérindien. La série Longmire compte déjà 9 titres traduits en français et le dixième est prévu pour mai 2017, de quoi régaler les fans du genre !
Là où les rivières se séparent, Mark Spragg
Dans ce récit autobiographique, Mark Spragg raconte son enfance dans le ranch-hôtel de ses parents. Son quotidien est fait de chevaux, de labeur, d’espace. L’écriture sobre et minérale de Mark Spragg décrit merveilleusement cette vie à la fois rude et intense, ces moments où le caractère se forge, et surtout ces paysages grandioses où le vent se déchaîne. D’anecdotes en souvenirs, l’auteur déroule le fil de sa vie, comme le ferait un vieil ami longtemps perdu de vue, un soir au coin du feu. Ce livre vous entraînera dans des lieux perdus, où le décor est un personnage à part entière, à la rencontre des animaux sauvages et des cow-boys, à une époque où une journée de travail bien remplie suffisait à rendre heureux. Alors, en selle !
Les Pieds dans la boue, Annie Proulx
Dans ce recueil de nouvelles, Annie Proulx brosse avec tendresse et sincérité le portrait de ces hommes et femmes qui peuplent le Wyoming : durs à la peine, têtes de bois, âpres et taiseux, parfois un peu cinglés, un peu paumés. L’auteure jongle avec les émotions, exprimant la violence de la vie et des hommes avec le même talent qu’elle met à décrire la joie ou la pudeur des sentiments éprouvés par ses personnages. Le film Le secret de Brokeback Mountain est d’ailleurs tiré d’une de ces nouvelles. À travers ses textes, c’est le Wyoming d’hier et d’aujourd’hui, et ainsi une certaine Amérique, qui défile sous vos yeux. Ses Nouvelles histoires du Wyoming sont du même accabit, peut-être un peu plus tendres et farfelues mais guère…
Une littérature des grands espaces, marquée par la rudesse des hommes et des lieux, qui ne laisse pas indifférent et invite au voyage. Des auteurs passionnés par la nature des hommes et par leur environnement. Des Indiens, des cow-boys, des chevaux et un grand et beau sentiment de liberté, voilà ce que vous découvrirez dans ces romans des Rocky Mountains !
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Illustration – Rob Morton
