Connu pour ses rôles d’hommes écorchés, Stephen Graham explore une fois encore la complexité masculine dans « Springsteen: Deliver Me from Nowhere », où il incarne le père du « Boss ». L’acteur britannique – qui a explosé cette année avec sa série-choc « Adolescence » – nous a parlé de son attirance pour les figures paternelles complexes. Rencontre.
Lorsqu’on lui demande – en visio – de citer l’une de ses chansons de Bruce Springsteen préférées, Stephen Graham botte en touche, triturant nerveusement son bracelet. « Et vous, vous diriez quoi ? », tente-t-il. Avant d’admettre avec un sourire étonnamment timide : « Je vais devoir y réfléchir ».
L’acteur britannique s’est illustré dans des rôles de bonhommes épais au tempérament explosif, entre rage contenue et fragilité extrême. On l’a ainsi retrouvé en chef cuisinier en plein burn-out dans Chef, en ouvrier brisé dans The Virtues. Puis plus récemment en père dépassé dans la série phénomène qu’il a coécrite, Adolescence, où son interprétation bouleversante a marqué les esprits – et couronnée d’un Emmy Award.
Aujourd’hui, Stephen Graham incarne le père de Bruce Springsteen (campé par Jeremy Allen White) dans le biopic très attendu Springsteen: Deliver Me from Nowhere, en salle ce 22 octobre 2025. Si le comédien quinqua n’apparaît que lors de brefs flashbacks, son rôle y est pivotal, tant la relation entre le « Boss » et son père violent et alcoolique aura été vectrice d’inspiration.
L’occasion pour Stephen Graham d’explorer une nouvelle fois la figure du patriarche, alors qu’il vient de lancer un projet encourageant les pères à écrire à leur fils en vue de l’édition d’un livre prévue pour octobre 2026.
Les séries The Virtues, Adolescence, et aujourd’hui le film Deliver Me from Nowhere… Vous semblez attiré par des figures paternelles complexes, des hommes qui aiment leurs enfants mais ne savent pas comment le montrer. Qu’est-ce qui vous fascine chez ces hommes ?
Je pense que c’est simplement l’âge que j’ai maintenant. J’ai 52 ans, j’ai une certaine expérience de la paternité : une fille de 20 ans, un fils de 19 ans. Cela fait un moment que je suis père, et j’essaie de faire de mon mieux à chaque fois. Je crois que c’est lié à l’étape de ma vie et de ma carrière : je trouve ces rôles vraiment passionnants à explorer.
Est-ce que je m’y reconnais ? Oui, parce qu’être père, être un homme, ce sont des réalités que l’on vit de différentes manières. Pour moi, c’est surtout une façon d’observer la condition humaine à travers cet angle-là. C’est une conscience que j’ai acquise en tant que père, et ces personnages me paraissent aujourd’hui très intéressants. Je trouve ça super d’être à un moment de ma carrière où je peux les incarner.
Et puis, vous savez, ce n’est pas comme si je devais porter tout un projet à moi seul. Il s’agit toujours d’une histoire de relations : j’ai forcément un excellent partenaire de jeu, quelqu’un avec qui danser, échanger, ou à qui « passer la balle ». Donc oui, je suis attiré par ces rôles, mais ce sont aussi ceux qui me sont proposés aujourd’hui – et ce sont eux qui m’excitent, qui me donnent envie d’explorer.
Et puis ce sont des hommes complètement différents les uns des autres, dans des contextes totalement différents à chaque fois.
Bande-annonce du film Springsteen : Deliver me From Nowhere
Est-ce que Bruce Springsteen lui-même vous donné des infos pour mieux cerner le personnage de son père ?
Oui, mais pour être honnête, j’ai surtout puisé mes informations dans son livre audio, Born to Run. Je l’ai écouté au tout début, et cela m’a énormément éclairé sur qui était son père et sur leur relation. Et il y avait un détail marquant : Bruce changeait de ton de voix à chaque fois qu’il parlait depuis la perspective de son père. Ca a été une vraie porte d’entrée pour moi. On s’accroche à ce genre de choses dès qu’on les repère.
J’ai donc travaillé là-dessus, sur la précision et les nuances, et c’est de là que j’ai tiré ma base.
La relation de Springsteen avec son père a été une véritable source d’inspiration pour lui. Et vous ? Avez-vous puisé de l’inspiration dans des albums comme Nebraska ou Darkness on the Edge of Town ?
Non, c’est assez étrange. D’habitude, je trouve une chanson ou une sorte de thème musical qui m’aide à entrer dans un personnage. Mais ironiquement, pour ce rôle du père de Bruce Springsteen, je ne me suis appuyé sur aucune musique. C’est vraiment ce livre audio qui m’a servi de base, il contenait déjà une richesse incroyable.
Et puis j’avais Bruce lui-même comme point de repère. Je lui parlais un peu, doucement – pas trop, je ne voulais pas en abuser – mais il m’a aidé. Et puis il faut aussi avoir une grande confiance dans son réalisateur. Scott (Cooper) est quelqu’un que j’admire profondément : un merveilleux cinéaste, et un « acteur pour les acteurs », si je puis dire. Donc on lui fait confiance : il guide, il oriente et il aide de bien des façons.