Décryptage

Fabcaro, de la marge à la pleine page

30 mai 2025
Par Mélanie Carpentier
Fabcaro, de la marge à la pleine page

Désormais scénariste d’Astérix – un deuxième tome sous sa plume, Astérix en Lusitanie, sort en octobre prochain – pilier actuel du magazine Spirou, romancier à succès, Fabcaro n’a que très peu cru en son talent, comme il l’a démontré dans nombre de ses œuvres. C’est que son succès a été tardif et que son humour, extrêmement décalé, n’a pas toujours été universellement accepté : retour sur le parcours d’un auteur excellent (et infiniment moyen, enfin ça c’est lui qui le disait).

Fabcaro, roi de l’humour « débile »

« Papaaa t’es connu maintenant, tu peux pas faire n’importe quoi !!! Les gens ils attendent ton prochain livre, tu vas pas faire une histoire de bite sur la joue ?!! ». En 2021, dans Moon River, Fabcaro dessinait et citait textuellement la réaction de ses filles à la lecture des premières pages de cet album qui raconte, il est vrai, comment des policiers enquêtent… sur une actrice hollywoodienne victime d’un graffiti grivois sur sa joue (heureusement, l’auteur de ce forfait avait laissé son cheval sur la scène de crime, et son identité est révélée dès la page 13).

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Ce one-shot présente tout ce qui fonde le talent de Fabcaro : des idées saugrenues, exploitées jusqu’à l’os, pour déclencher le rire par l’absurde et l’outrance, le tout entrecoupé de mises en abyme – le dessinateur aime à se représenter lui-même dans les affres de sa création – ou de digressions complètement loufoques, souvent liées aux mésusages des voitures et des avions…

Aujourd’hui pape de la BD d’humour franco-belge, Fabcaro déclare ne pas avoir de recettes : son succès est venu après des années de relative impopularité, comme par accident. Né en 1976, il se destinait, au sortir de ses études, à l’enseignement, avant de faire le choix, bien plus précaire, du neuvième art. À la trentaine, il se fait reconnaître au sein de diverses publications et collectifs, mais sans que sa réputation ne gagne le grand public. Également musicien, il donne avec ses premiers albums édités un certain nombre d’indices sur sa vie : Le Steak haché de Damoclès (2005) dépeint la vie d’un auteur de BD précaire un peu lâche, un peu loser, capable de décrire parfaitement les « travers de ses contemporains », comme le dit la formule, mais aussi les siens. L’exercice d’autodérision à tendance flagellatrice sera dès lors l’un des traits majeurs de son travail.

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Zaï Zaï Zaï Zaï : du succès vécu comme une surprise

Un auteur de BD oublie sa carte de fidélité dans un supermarché. Il fait alors l’objet d’une chasse à l’homme, après avoir menacé le vigile du magasin au moyen… d’un poireau. Apogée de l’humour « débile » et autodérisoire de Fabcaro, Zaï Zaï Zaï Zaï part d’une idée loufoque pour réaliser le portrait d’une société où toute communication est strictement absurde, qu’il s’agisse du langage journalistique, policier, ou de l’inaptitude du commun des mortels à parler des choses essentielles.

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Brillant exercice de style – avec des dessins très peu dynamiques, voire des pages répétant la même disposition sur l’ensemble des cases – ce one-shot rassemble tout ce que Fabcaro est, en 2015 : un auteur de BD un peu à la manque (sous le pseudonyme de Fab, il a réalisé des commandes comme Les Annonces d’Elie Semoun en BD ou un album dédié à « Philippe Candeloro apprenti reporter » [sic]), extrêmement créatif en matière de parodie (son album le plus connu, alors, sont les mythiques Carnets du Pérou, faux récit de voyage), de pastiche sidérant (La Bredoute singe les catalogues de vente par correspondance) et d’autoflagellation.

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Tout à coup, Fabcaro passe d’auteur marginal à nouvelle coqueluche du neuvième art. Sa BD est achetée pour le cinéma – Zaï Zaï Zaï ZaÏ avec Jean-Paul Rouve sortira en 2020 – et ses prochains écrits sont attendus désormais par des dizaines de milliers de lecteurs. Ce qui plonge l’auteur dans une période d’interrogation, qui nourrit l’album Pause, sorte d’équivalent en BD décalée du 8 et ½ de Fellini, film réalisé après l’incertitude du cinéaste italien quant à son avenir post-Dolce Vita.

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Comme il l’expliquait au micro du podcast La Machine à écrire en 2021, Fabcaro a réussi, depuis, à gérer la « pression » que représentaient les attentes des lecteurs, en gardant, en vérité, sa pleine liberté : son cercle de lecteurs de confiance est limité à sa famille, et en particulier ses filles, qu’il n’écoute pas vraiment quand elles objectent qu’un album autour d’une « bite sur la joue » n’a pas un potentiel artistique énorme.

De la plume à la… plume : quand Fabcaro devint Fabrice Caro

Trois ans après Zaï Zaï Zaï Zaï, et en parallèle de la parution des Open Bar (albums rassemblant des « gags » en une page extrêmement caustiques) et de ses BD « d’amour » (Moins qu’hier, plus que demain, Et si l’amour c’était aimer), celui qui se dépeint lui-même comme un piètre dessinateur sortait son deuxième roman, Le Discours, sous le nom de Fabrice Caro.

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À l’instar de ses œuvres en BD, ce livre humoristique s’appuie sur une situation de départ poussée à son maximum : le narrateur apprend qu’il doit dire « quelques mots » en public au mariage de sa sœur, et attend en parallèle une réponse par sms de son ex. Le texte qui s’ensuit est constitué du monologue intérieur de l’intéressé. En reliant l’événement – il est assez timide et peu porté sur les discours en public – et sa situation conjugale – sa compagne a décrété une « pause » à durée illimitée depuis 38 jours – le héros nous entraîne dans le flot de sa vie, de son comportement, de ses soucis de communication… On décèle, bien sûr, derrière l’Adrien du Discours, le Fabcaro des BD autobiographiques. Simplement, le changement de support amène l’introspection à un autre degré, plus mental, plus intimiste aussi : sans la distance du dessin, Fabrice Caro teint davantage son monde avec les couleurs de la mélancolie et de l’amertume. Une dimension que l’on retrouve dans d’autres œuvres « en prose », dont son roman Samouraï (qui met en abyme un auteur à la recherche de son sujet de livre…) ou récemment le très angoissé – et désopilant – Fort Alamo.

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Fabcaro, en toute franchise

Comme lecteur, Fabcaro a toujours reconnu l’influence d’auteurs espagnols qu’il lisait à Barcelone, patrie d’origine de ses parents, dans sa jeunesse (en particulier Francisco Ibanez), mais aussi de dessinateurs et auteurs modernes, dont Blutch ou Trondheim. L’artiste a également été bercé par les chefs-d’œuvre de la BD d’humour franco-belge, qu’ils soient signés Gotlib ou Goosens, Brétecher ou Goscinny.

Et ce goût s’est affirmé davantage ces dernières années lorsque Fabcaro a été associé au retour de grandes sagas, imaginées parfois dans les années 1960. Dès 2014, ses textes noircissaient les phylactères verbeuses et espiègles d’Achille Talon, création de Greg ressuscitée à l’occasion des trois tomes des Impétueuses Tribulations d’Achille Talon. Deux ans plus tard, il scénarisait le plus célèbre héros de Gotlib, le chien Gai-Luron, le temps du lancement des Nouvelles Aventures de Gai-Luron.

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Deux expériences de reboot qui ont marqué le secteur de la BD, de même que le succès de Zaï Zaï Zaï Zaï et du Discours (adapté au cinéma) : malgré sa liberté de ton, Fabcaro devait être choisi en 2023 pour scénariser le fleuron de la BD franco-belge : Astérix. Avec L’Iris blanc, 40e tome des aventures du Gaulois irréductible, l’auteur a prouvé qu’il pouvait se mouvoir dans un univers très codifié – la création de Goscinny et Uderzo est née en 1959 et son monde a très peu évolué depuis – en instillant une touche de modernité par-ci par-là, avec des clins d’œil rappelant ceux que les auteurs eux-mêmes faisaient à l’époque. L’album singeait ainsi le développement personnel et le comportement routier des Parisiens, deux faits contemporains moqués avec bienveillance, comme jadis les tomes originels évoquaient le capitalisme opportuniste (Obélix et Compagnie) ou la gentrification (Le Domaine des dieux).

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En rempilant pour un nouvel épisode (Astérix en Lusitanie, à découvrir le 23 octobre prochain), et en publiant sous forme d’album une aventure des Fabrice (À la poursuite du trésor de Décalécatan), la série qu’il produit avec Fabrice Erre dans le magazine Spirou, Fabcaro, auteur initialement marginal et indépendant, a rejoint la BD institutionnelle sans perdre un pouce de sa liberté de ton.

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Article rédigé par
Mélanie Carpentier
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