Apparu à la fin des années 1970, le jeu vidéo est rapidement devenu un sujet cinématographique : prétexte aussi bien à des comédies qu’à des films sérieux, ce divertissement pose aussi la question du rapport entre virtuel et réel. Depuis War Games, le joueur de jeu vidéo est aussi devenu un héros crédible, comme le prouve la sortie récente de Gran Turismo, basé sur la célèbre franchise de jeu de voitures. Retour sur l’histoire des jeux et des joueurs à l’écran.
Au commencement, le jeu vidéo comme style graphique
Prouesse informatique des années 1970, le jeu vidéo démarre sa longue histoire avec le succès massif de Pong, puis les quelques titres culte mêlant musique et style graphique à part, comme Space Invaders ou Pac-Man. Associé à l’arrivée dans les cafés des bornes d’arcade et des toutes premières consoles de jeux dans les salons, ce loisir est d’abord vu comme un prolongement du flipper, un jeu d’adresse qui a pu bénéficier des apports de l’électronique après avoir été purement mécanique.
Proposant au départ une esthétique pixellisée immédiatement reconnaissable, le jeu vidéo met du temps avant de devenir un support narratif, propice à user des capacités d’identification du joueur. Aussi, dans un premier temps, ce sont les films qui vont servir de canevas aux jeux, et pas l’inverse. Les Dents de la mer, Superman ou Star Trek sont transcrits en borne d’arcade, capitalisant sur le succès au box-office de l’œuvre originale. Nombre d’adaptations officieuses d’univers cinématographiques apparaissent également au début des années 1980. Un certain Donkey Kong, chassé par Mario, naît ainsi à la faveur d’un démarquage de King Kong. Enfin, un film adapté sur Atari signe la première grande crise du jeu vidéo : E.T., en 1982, entraîne le naufrage de l’entreprise américaine, en raison d’une jouabilité poussive et d’une certaine répétitivité des premiers jeux vidéo.
La même année, un film se montre bien plus imaginatif, en basant son scénario sur le futur potentiel de l’informatique, avec Tron. Produit par la division cinéma de Disney, le long métrage de Steven Lisberger dépeint un programmeur spécialisé dans le jeu vidéo qui s’introduit dans le système informatique de son ancienne entreprise. Matérialisant des concepts balbutiants à l’époque, comme l’intelligence artificielle et les mondes virtuels, l’œuvre accorde forme et fond, avec des effets spéciaux utilisant l’ordinateur pour créer les premières « images de synthèse » destinées à une fiction grand public. Avec ses lumières iconiques, ses motos futuristes, ses représentations géométriques se rapprochant des pixels du début de l’histoire du jeu vidéo, la direction artistique du projet reprend le style graphique cher aux premiers gamers. Si le succès en salles de Tron sera tout juste symbolique, il est véritablement le film qui fit entrer la question du jeu vidéo dans le septième art.
De Wargames à Avalon, le jeu vidéo devient enjeu de pop culture
En 1983, un deuxième film utilise avec succès le jeu vidéo comme support de son intrigue : WarGames imagine un jeune geek, pirate informatique, arrivant par mégarde à utiliser le superordinateur de la défense américaine en croyant qu’il s’agit d’un simple jeu « online » (sept ans avant l’invention même du Web). Incarné par Matthew Broderick, l’infortuné héros doit faire appel à ses ressources de joueur pour désamorcer la machine infernale qu’il a lui-même lancée, le superordinateur ayant en effet armé des missiles nucléaires destinés à détruire les Soviétiques. Film à suspense de John Badham, le film posait, il y a quarante ans, une question qui agite toujours les milieux de la défense : jusqu’à quel degré peut-on déléguer une tâche potentiellement mortelle à une intelligence artificielle ?
Dans les années qui ont suivi, et alors même que les adaptations de jeux vidéo se sont multipliées à l’écran (Super Mario Bros en 1993, Street Fighter en 1994, Mortal Kombat en 1995), le jeu vidéo est devenu un thème sur lequel de grands cinéastes ont décidé de méditer. En présentant des intrigues poussées, et en redéfinissant l’expérience ludique, les jeux des années 1990 ont ressemblé de plus en plus à des mondes virtuels obéissant à leurs propres lois. Et si les geeks/nerds jouaient souvent les personnages astucieux dans les films à grand spectacle (Lexie dans Jurassic Park, par exemple), les frontières réel/virtuel deviennent le thème de longs métrages comme Existenz, Passé virtuel ou encore Matrix. Avalon, du réalisateur Mamoru Oshii (Ghost in the Shell) postule même l’existence d’un jeu vidéo dont le dernier niveau n’est rien d’autre… que le monde réel. Tous ces films sortis au moment du changement de millénaire disent à la fois l’émerveillement que suscite le boom technologique de la fin du XXe siècle et l’angoisse du remplacement/morcellement de nos âmes dans le virtuel.
Le jeu vidéo, un sujet de pop culture
Final Fantasy, Resident Evil, Silent Hill, Hitman, Tomb Raider, Max Payne… Les grandes franchises du jeu vidéo ont donné lieu à moult adaptations cinématographiques dans les années 2000. Si la réussite artistique de ces portages n’a pas toujours été au rendez-vous, les deux médias n’ont cessé de se nourrir les uns les autres. Max Payne, justement, permettait aux joueurs de se croire, le temps d’une partie, investi du pouvoir des héros de Matrix, tant la mise en scène du titre s’inspirait du film des sœurs Wachowski.
La culture jeu vidéo a fait dans le même temps une prodigieuse incursion dans le cinéma : Scott Pilgrim, d’Edgar Wright, en fut l’une des démonstrations les plus convaincantes, en multipliant les références à la pop culture et notamment à l’âge d’or des consoles de jeu et des bornes d’arcade. Plus proche de nous, Ready Player One concentre en deux heures à la fois le sujet du jeu virtuel (avec répercussion dans le monde réel) et tout un corpus d’œuvres geek appartenant à la BD, au jeu vidéo ou au cinéma. Quelques années auparavant, Disney avait osé faire des Mondes de Ralph une jolie balade dans le monde merveilleux des méchants de jeux vidéo, mettant en scène Zangief (Street Fighter) Bowser (Super Mario) ou encore les fantômes de Pac-Man. La comédie Pixels, et ses extraterrestres inspirés par de célèbres jeux d’arcade, participaient du même esprit référencé et divertissant.
Dans les années 2010, les univers vidéoludiques ont pris une importance considérable dans l’horizon culturel global : quand le premier produit culturel vendu en France sur un an est un FIFA ou un PES, que chaque sortie de Rockstar Games suscite plus de réaction qu’un Star Wars (on le voit actuellement à la promotion de GTA VI, et précédemment lors de la publication de Red Dead Redemption II), on ne peut que faire le constat du succès multigénérationnel du jeu vidéo.
Gran Turismo, sorti ce mois-ci en Blu-Ray et DVD, dit bien l’importance eu jeu vidéo et de sa variante compétitive, l’e-sport, à notre époque. Inspiré d’un dispositif réel, permettant aux meilleurs joueurs du jeu vidéo éponyme sur PlayStation de décrocher un volant et participer à de véritables championnats d’endurance, le film de Neill Blomkamp narre la success-story d’un as du volant virtuel découvrant le bitume et l’ambiance des circuits. Le jeu vidéo n’est plus ici le sujet mais l’élément déclencheur de l’intrigue, qui aborde un thème crucial : « les aptitudes dans les jeux vidéo présagent-elles d’un talent dans le monde réel ? ». En jouant, par la mise en scène et les effets spéciaux, sur les passerelles entre l’interface virtuelle d’une simulation de voiture et les courses concrètes (les indications de trajectoire inhérentes aux jeux de voiture se retrouvent ainsi dans certains plans du film), le réalisateur a souhaité souligner la proximité de deux mondes plutôt que son éloignement.
Pokémon, Sonic, Mario… Alors que les plus fameuses franchises vidéoludiques sont devenues synonymes de succès cinématographique grâce à leurs adaptations, les jeux vidéo, et leurs pratiquants, sont plus que jamais un sujet d’actualité de plus en plus universel : le thème n’a donc pas fini de briller sur grand écran !
Clavier/souris : un monde à part
Si les robots sont depuis longtemps une manne du cinéma, les concepteurs de programme et autres hackers ont mis du temps à devenir des personnages essentiels du septième art. Et pour cause… Difficile en effet de représenter à l’écran les prouesses de pirates informatiques et d’ingénieurs système, dont la principale activité est de « bouffer du code » dans des langages réservés aux initiés. Difficile de faire moins cinégénique qu’une personne passant ses journées devant son écran d’ordinateur à taper sur son clavier…
Pour autant, le développement des interfaces graphiques a permis de représenter le travail des informaticiens de manière moins austère à l’écran. Ce qui a parfois abouti à des films curieux. Au début de sa filmographie, Angelina Jolie jouait la girlfriend punk du héros de Hackers, un long métrage de série B présentant les exploits d’une bande de geeks luttant contre de grosses entreprises… Et une belle accumulation de clichés sur la cybersécurité !
Quelques années plus tard, Cybertraque tentait de donner une vision moderne de la recherche d’un des pirates informatiques les plus célèbres du XXe siècle, Kevin Mitnick. Pourchassé par le FBI, ce personnage réel voyait sa vie assez romancée dans un thriller pourtant crédible. Par la suite, le septième art s’est intéressé à d’autres experts de la question informatique, notamment les lanceurs d’alerte. Snowden sur l’ex-employé de la NSA du même nom ou Le Cinquième Pouvoir autour d’Assange montrent comment le vol de données sensibles peut avoir des conséquences directes, même s’ils restent des longs métrages assez didactiques, plutôt que divertissants.
Le cinéma d’auteur a pu néanmoins s’approprier le sujet de l’informatique, à travers des biopics consacrés à de grandes figures du monde d’aujourd’hui, que l’on pense à Steve Jobs (avec deux films, Jobs et Steve Jobs), et surtout à Mark Zuckerberg. Dans The Social Network, David Fincher donne en effet vie au fondateur de Facebook, en montrant le parcours de ce jeune étudiant marginal d’Harvard devenu l’une des plus grosses fortunes du monde avant 30 ans. Métaphore de l’interaction sociale, le long métrage aborde aussi la question technique et réussit à nous faire comprendre la mécanique de revanche qui a animé un geek peu sortable devenu, grâce à son clavier, l’homme qui a bouleversé notre connexion aux autres.