Décryptage

The Last of Us : la délicate adaptation du jeu à l’écran

25 juillet 2023
Par Armand
The Last of Us : la délicate adaptation du jeu à l'écran

Avec un succès critique auprès de la presse et du public, la série The Last of Us arrive enfin en DVD & Blu-Ray. Attendue par de nombreux fans, la série a su s’imposer comme une production de grande qualité, malgré certains écueils inhérents au changement de médium entre le jeu vidéo et le format sériel. Revenons donc sur les contraintes auxquelles cette audacieuse adaptation a dû faire face.

L’avènement des jeux narratifs

Depuis 2006 et l’arrivée de la 7e génération de consoles avec la Playstation 3 et la Xbox 360, nous voyons poindre çà et là des jeux toujours plus immersifs, enclins à faire passer la narration et l’histoire avant tout. Parmi ces jeux, The Last of Us, du studio Naughty Dog sorti en 2013, a incarné un véritable tournant dans l’industrie. Une histoire profonde, une mise en scène irréprochable, des personnages développés et parfaitement interprétés, tout était fait pour que le joueur se sente impliqué dans l’aventure d’Ellie et Joël, les protagonistes principaux.

Alors que des jeux vidéo comme Metal Gear Solid, Max Payne ou encore Resident Evil se composaient déjà grandement d’éléments cinématographiques, The Last of Us embrasse pleinement cette esthétique pour proposer une expérience des plus immersives. Avant lui, exception faite des jeux purement narratifs à l’image de Heavy Rain du studio Quantic Dream, le gameplay (les mécaniques utilisées par le joueur avec la manette) demeurait au premier plan. Cependant, The Last of Us a pris le parti d’accorder moins de liberté au joueur en termes de jouabilité, pour se focaliser sur l’immersion par le biais de graphismes photo réalistes, d’un rythme totalement linéaire et maîtrisé, ou encore d’une histoire intense et travaillée. Par conséquent, dans son esthétique et sa sturcture, The Last of Us partageait bon nombre de points communs avec un film. À l’exception des quelques actions nécessaires de la part du joueur comme affronter des infectés, déplacer des échelles, des palettes flottantes ou des bennes à ordures pour franchir des obstacles, le niveau d’interaction entre le joueur et le jeu était plutôt limité.

Lorsqu’un projet de série a été annoncé, certaines interrogations sont apparues. Comment allait-elle adapter à l’écran une aventure déjà hautement cinématographique ? Quels éléments allaient être conservés ? Comment l’aventure allait-elle être découpée ? Autant de questions auxquelles nous avons désormais la réponse. Rappelons toutefois que la question n’est pas de savoir si le jeu est meilleur que la série, s’agissant d’une adaptation, la question ne se pose pas. Cependant, cette série est une occasion idéale pour observer les différences de traitement notables entre un jeu vidéo et son adaptation pour le petit écran.

TLOU 1 visuel

Les entraves de l’adaptation

Après neuf épisodes retraçant l’intégralité du premier opus du jeu vidéo, la série The Last of Us a été saluée aussi bien par la critique que par le public. Néanmoins, la série a fatalement été contrainte d’opérer plusieurs sacrifices qui, évidemment, n’ont pas plu à tout le monde. Les principales critiques ont été émises au sujet des trop grandes différences ou, à l’inverse, de la trop grande fidélité entre la série et le jeu. Cependant, comment y échapper ? Les créateurs Neil Druckman (également réalisateur du jeu vidéo) et Craig Mazin (à l’oeuvre sur la mini-série Chernobyl), étaient confrontés à un dilemme : reproduire aussi fidèlement que possible l’aventure du jeu afin de contenter les fans, ou proposer une aventure quelque peu différente dans le but de renouveler l’histoire, sans pour autant la déformer. Et le fait est que la série a maladroitement tenté de faire un peu des deux.

Tlou V2

© HBO

Entre des épisodes reprenant trait pour trait certains passages du jeu, parfois à la phrase ou à l’angle de caméra prêt, d’autres épisodes essayent d’offrir des histoires inédites inconnues des joueurs et déviant du scénario d’origine. Mais la principale difficulté pour les créateurs, était bel et bien d’adapter en série un jeu aux allures aussi cinématographiques. Pourquoi cela serait-il une difficulté si le jeu original était à la limite du film ? Tout simplement parce qu’avant d’emprunter les codes du cinéma, The Last of Us reste un jeu vidéo, qui possède aussi ses propres codes et sa propre grammaire. Ce n’est pas pour rien si presque toutes les adaptations de jeu vidéo en film ont peiné à rencontrer le succès (exception faite des très rares films pour qui ce fut le cas, ou de la prochaine adaptation du film Super Mario Bros en avril prochain), car il est difficile pour le cinéma de retranscrire une expérience d’abord vidéoludique, et cela s’explique par plusieurs contraintes :

Temporelle

L’aventure du premier jeu The Last of Us dure en moyenne une quinzaine d’heures, manette en main. Pour une série de 9 épisodes d’une heure chacun, cela fait donc six heures de moins. Six heures durant lesquelles les personnages du jeu ont le temps d’échanger, de renforcer leur lien, de vivre des péripéties qui développent leur attache aux yeux du joueur, six heures dont la série doit donc s’amputer.

Interactionnelle

Le jeu vidéo est le seul art qui demande une totale interaction entre le produit et le spectateur, aucun jeu ne peut se faire sans plusieurs heures d’interaction entre le joueur et le jeu. Des instants pendant lesquels le jeu propose au joueur diverses séquences qui servent simultanément la narration et l’immersion. Des moments de contemplation, de dialogues ou d’action. Ce qui rejoint également la contrainte temporelle, puisque le jeu peut se permettre de prendre le temps d’installer ce genre de moment, contrairement à la série qui doit constamment aller à l’essentiel.

Budgétaire

Le jeu vidéo peut techniquement se permettre d’offrir des péripéties d’envergure, un grand nombre d’infectés, des cascades, des instants de grande tension, ou des décors gigantesques. Certes, la série se montre très réussie en ce qui concerne les décors, en revanche, pour ce qui est des infectés et des péripéties, la question est déjà plus délicate. En effet, au long des neuf épisodes, nous ne voyons que trop peu d’infectés ou de scènes spectaculaires, contrairement au jeu où cela ponctue l’aventure. Dans la série, on en vient à se demander comment le monde a pu s’effondrer tant les infectés semblent peu nombreux. Mais tout cela répond à des contraintes budgétaires. Ces séquences d’action demandent beaucoup de moyens et nécessitent d’importantes ressources que l’équipe de production ne pouvait se permettre de gaspiller.

Enfin, du fait des spécificités typiques du medium vidéoludique, qui rejoint les autres points. Le fait que le jeu puisse s’autoriser tant de libertés, de manière à ce que le joueur se sente investi du début jusqu’à la fin de l’aventure est purement spécifique au jeu vidéo. Nul film ou série ne peut émuler cette sensation si particulière de sentir l’action tout au long de l’aventure.

Un bilan néanmoins très prometteur

La série tente, avec talent parfois, d’offrir les mêmes sensations que dans le jeu. Avec des instants de contemplation, des moments de tensions ou des dialogues captivant. Seulement, ce qui a fait le succès du jeu The Last of Us était sa maîtrise technique et sa maestria narrative, jusque-là jamais vue dans un jeu vidéo, ce qui lui a permis d’influencer nombres de productions vidéoludiques l’ayant suivi (A Plague Tale, God of War). Mais dans une série, ces qualités sont déjà connues, vues et revues depuis des décennies. Ainsi, ces instants de contemplation où le joueur arpente des décors somptueux, sonnent comme des moments creux dans la série qui essaye de les imiter. Tout comme le fait d’ajouter de nouvelles intrigues et de nouveaux personnages absents du jeu de base. Ces divers ajouts, outre apporter davantage de relief à l’univers, sont autant de temps perdu par la série qui aurait pu être utilisé pour développer la complicité entre Ellie et Joël qui, faute de temps, est bien moins touchante que dans le jeu. Là où la relation entre les deux compères se construit au fil du jeu, lors de séquences clés ou de phases plus lentes, la série semble plus pressée et place, parfois au forceps, des instants de complicité moins authentiques que dans le jeu, voire écourte certains passages.

Ainsi, le principal atout du jeu, à savoir la relation entre les personnages, se retrouve amoindri, voire sacrifié du fait des contraintes imposées par le changement de médium. La série se trouve donc obligée de rester fidèle au matériau de base, mais également condamnée à ne jamais pouvoir offrir quelque chose de vraiment neuf. Entravée de la sorte dans sa permanente recherche de compromis, la série de Neil Druckman et Craig Mazin s’enlise parfois dans les écueils classiques des adaptations de jeux vidéo. Rappelons toutefois qu’en dépit de ses quelques écarts, la série se place dans le haut du panier et permet d’apporter de l’espoir pour les futures créations du même genre, comme God of War encore dans les cartons chez Sony Pictures.

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© HBO

Grâce à cette première réussite, HBO a d’ores et déjà annoncé la mise en chantier d’une deuxième saison, qui suivra cette fois-ci la trame de la seconde partie de la licence The Last of Us, dans laquelle Ellie occupera une place bien plus importante. Hélas, d’après les récentes informations, la saison 2 ne devrait se montrer qu’en 2025. Il faudra donc s’armer de patience avant de retrouver Joël et Ellie à l’écran.

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