Le 20 décembre 2023, Bradley Cooper sera Leonard Bernstein dans le film de Bradley Cooper. Pianiste et chef d’orchestre à l’énergie fulgurante, compositeur inclassable, Leonard Bernstein compte, avec George Gershwin et Aaron Copland, parmi les plus grands musiciens américains du XXe siècle. À l’image de son éclatant West Side Story qui fera chavirer Broadway en 1957. Lenny nous aura laissé en héritage une musique à son image et à celle de l’Amérique du XXe siècle.
Leonard Bernstein : la force du destin
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Celui de Leonard Bernstein bascule le 14 novembre 1943… Il n’a alors que 25 ans. À peine trois mois plus tôt, poussé par l’un de ses mentors, le chef russe Serge Koussevitzky, le jeune homme est venu se présenter à Artur Rodzinski, le chef d’orchestre polonais et nouveau directeur musical du philharmonique de New York qui a accepté de l’engager comme assistant. Mais voilà que ce jour de concert au Carnegie Hall de novembre 1943, le chef invité Bruno Walter est souffrant. Rodzinski, quant à lui, est barricadé dans sa ferme, pris par la neige. C’est donc au jeune Leonard que revient la mission d’une relève au pied levé aussi inopinée qu’inespérée. Au programme : Robert Schumann, Richard Strauss, Miklos Rozsa et Richard Wagner. Le tout radiodiffusé à travers toute l’Amérique. A-t-on déjà rêvé contexte plus « léger » pour se lancer dans l’arène ? Et c’est pourtant sans répétition et avec à peine 3 heures de sommeil – après une longue et festive nuit musicale – que Leonard Bernstein mènera à la baguette le concert de sa vie. Entre l’ovation du public et une presse dithyrambique, l’histoire était en marche…
La naissance d’un chef
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Lorsqu’il voit le jour en 1918 à Lawrence, Massachusetts, rien ne prédestine le petit Louis – de son vrai prénom – à une telle ascension. À la maison, l’humeur n’est pas des plus musicales. Il y a bien ce vieux piano, laissé en dépôt par l’une de ses tantes. L’occasion pour le garçon de jouer ses premières notes lors des leçons de piano que lui donne une voisine. De quoi faire son entrée au conservatoire à Boston. Et alors que son père se montre de plus en plus réticent à voir son fils embrasser une carrière de musicien, Leonard s’obstine. Il part étudier le piano et la composition à Harvard où il rencontre Dimitri Mitropoulos. C’est à lui que Leonard Bernstein doit sa passion pour la direction d’orchestre. Et c’est sur ses conseils qu’il fait son entrée à l’Institut Curtis de Philadelphie pour y recevoir l’enseignement du rigide maestro Fritz Reiner, autre personnage clef de la formation musicale de Bernstein. Puis ce sera au tour du chef Serge Koussevitzky, à Boston de nouveau, de le prendre en affection et sous son aile au début des années 1940. Il fera de Leonard Bernstein son assistant avant de le pousser sous les feux de la rampe new-yorkaise en 1943. On connaît la suite…
Lenny, le « garçon merveilleux »
Au lendemain du concert au Carnegie Hall, tous les orchestres du monde cherchent à s’arracher les talents du jeune prodige. En Amérique, en Europe, en Asie, Leonard Bernstein distille sa fougueuse énergie à grands coups de baguette magique. Perché sur son podium, il s’enflamme, saute, virevolte. Ses bras s’agitent, sa mèche s’envole. Leonard devient Lenny le wonderboy (« garçon merveilleux ») de la direction. Il est le premier chef américain à diriger un opéra au sein du temple italien de l’art lyrique, la prestigieuse Scala de Milan. On est en 1953. On joue Médée de Cherubini, le nom de Maria Callas accroché en tête d’affiche. Et il est encore le premier chef américain à prendre la direction de l’Orchestre Philharmonique de New York, en 1958.
La musique, instrument de rassemblement
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Cette formidable agitation, Leonard Bernstein l’a mise tout entière, tout au long de sa carrière, au service d’une vision profondément universelle et humaniste de la musique. À travers elle, le pianiste et chef d’orchestre ne souhaite pas conquérir le monde mais l’unifier. Musique moderne, classique ou populaire, Lenny veut tout jouer, tout embrasser, tout rassembler. Il se plaît tout autant à célébrer l’art de ses contemporains qu’à revisiter les merveilles des grands compositeurs baroques, romantiques ou symphoniques. Leonard Bernstein défend ainsi avec autant d’enthousiasme la musique d’un Beethoven ou d’un Mahler – qu’il aura d’ailleurs œuvré à réinscrire au répertoire des orchestres internationaux – que celle des Beatles – qu’il aurait qualifiés de « Schubert de notre temps ».
De la joie à la liberté
Cette approche syncrétique et humaniste de la musique amènera naturellement et régulièrement Leonard Bernstein à prendre ouvertement position à l’occasion de rendez-vous historiques. Ainsi, au cœur de la guerre froide, emmène-t-il son New York Philharmonic à Moscou en 1958 interpréter devant un parterre russe la Symphonie n°7 de Dmitri Chostakovitch. Dans la salle, Chostakovitch himself ! En 1989, il célèbre la chute du mur de Berlin en dirigeant la Neuvième Symphonie de Beethoven de part et d’autre du mur : à la Philharmonie de Berlin Ouest le 23 décembre, à celle de Berlin Est le 25 décembre 1989. Et la célèbre Ode à la joie de devenir l’Ode à la liberté, Leonard Bernstein ayant choisi de remplacer le terme « Freude » par celui de « Freiheit »…
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Interprète et chef d’orchestre exalté, Leonard Bernstein était aussi un insatiable compositeur qui laisse derrière lui une œuvre à son image. Sensible, éclectique et généreuse, d’une incroyable richesse et inscrite dans son époque. Des comédies musicales, au premier rang desquelles West Side Story bien sûr, fascinante relecture new-yorkaise de la tragédie shakespearienne Roméo et Juliette et véritable tournant dans le théâtre musical américain. Mais aussi des opéras et opérettes à l’instar de son Candide, des ballets et des symphonies, telles que sa Symphonie n°3Kaddish. Une multitude d’œuvres pour piano, de la musique de chambre et de la musique sacrée… Au final, une œuvre aussi pléthorique que protéiforme.
Le passeur musical
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Jazz, blues, pop, chant choral, gospel… Sur ses partitions, Bernstein se joue des genres pour mieux faire sortir la musique de cadres qu’il estime parfois trop rigides. Il dirige des œuvres tantôt classiques tantôt populaires. Et derrière cet éclectisme revendiqué, le désir brûlant de transmettre. « J’aime les gens, explique-t-il, j’ai un besoin impérieux de partager avec eux mes sentiments, mon savoir, mes réflexions. […] Je possède un instinct quasi rabbinique pour l’enseignement, l’explication, la verbalisation. »* C’est ainsi en éminent pédagogue que Leonard Bernstein aura passé sa vie à diffuser à tour de bras toute la musique qui lui traversait la tête ou lui passait entre les doigts. Il donne des cours, tient des conférences, organise des concerts éducatifs, anime des émissions télé (Omnibus, Young People’s Concerts, Young Performers). Son objectif, sa mission : toucher le public le plus large possible, initier notamment les plus jeunes aux secrets de la musique sous toutes ses formes et en démocratiser les codes.
Son dernier concert, Leonard Bernstein le donne le 19 août 1990 à la tête de l’Orchestre symphonique de Boston, à Tanglewood, là où tout a commencé, dans son Massachusetts natal.
*Leonard Bernstein – Portrait d’un chef d’orchestre, film documentaire de Peter Rosen