À l’occasion d’Halloween et de la sortie de L’Exorciste – Dévotion, revenons sur la production du tout premier film d’horreur de la saga, réalisé par William Friedkin en 1973.
Il y a des films qui entrent dans la légende autant pour leur réussite cinématographique que pour leur production chaotique ou, au moins, étrange. L’Exorciste (1973), film d’horreur essentiel et fondateur du cinéma fantastique, rentre sans mal dans ces deux catégories.
Avec son tournage difficile marqué par de nombreux accidents, le film de William Friedkin (décédé en août 2023) s’est créé une belle réputation de production compliquée, en plus d’avoir révolutionné le cinéma d’horreur. Les plans iconiques, les scènes marquantes, la musique culte terrifiante… Tout, dans L’Exorciste, fait du film une œuvre à redécouvrir, même 50 ans après sa sortie originale.
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À l’origine, un livre inspiré d’une histoire vraie ?
Tout démarre avec un livre, écrit par William Peter Blatty en 1971 et intitulé L’Exorciste. Inspiré d’une supposée « réelle » possession démoniaque dont il aurait attendu parler dans les années 1950, l’histoire suit le destin de la jeune fille Reagan, possédée et exorcisée par deux prêtres. Le livre connaît un beau succès dès sa sortie et les critiques, en plus de vanter l’aspect horrifique du roman, saluent la plume incisive de Blatty.
Rapidement, le cinéma se tourne vers l’œuvre et les droits sont achetés par Warner Bros. Pictures, qui propose le projet à différents cinéastes (dont Stanley Kubrick). William Peter Blatty a néanmoins une condition : il veut produire le film et se charger de l’écriture du scénario. Il soumet également un nom au studio, William Friedkin, couronné du récent succès de French Connection (1971). Warner Bros. Pictures accepte, et la production du film est lancée.
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Que Blatty obtienne le poste de scénariste n’est pas anodin et se ressent dans le résultat final. L’Exorciste, par de nombreux aspects, a cette dimension de l’œuvre littéraire transposée sur grand écran. Entre les différents personnages qui vivent tous leurs propres arcs narratifs avant de se rassembler dans l’intrigue principale et les scènes du quotidien qui s’enchaînent, le film dicte nettement qu’il adapte un roman.
Cet élément n’enlève rien aux qualités de L’Exorciste, mais le film crie par moment sa frustration. Celle d’un auteur obligé de trahir sa propre œuvre pour en concevoir une nouvelle. Heureusement, la réalisation habitée de William Friedkin apporte l’équilibre nécessaire pour donner au long-métrage ses lettres de noblesse.
Retournons au tournage de Friedkin justement : d’août 1972 à juillet 1973, l’équipe qu’il dirige s’attelle à la création de l’un des plus terrifiants films d’horreur du cinéma. En dehors de la fiction, le plateau est également en proie à différents épisodes traumatisants. Plusieurs personnes proches de l’équipe de production décèdent pendant le tournage, dont un des acteurs, Jack MacGowran, juste après avoir terminé ses scènes. Moins dramatique après coup, mais dangereux sur le moment, un incendie inexpliqué se déclare et retarde la sortie du film de plusieurs semaines.
La méthode de William Friedkin alimente également la légende du « film maudit ». Pour obtenir le meilleur de ses acteurs et actrices, il n’hésite pas à les terrifier, voire à les brutaliser. Un prêtre acteur non professionnel n’est pas assez convaincant lors d’une scène émotive ? Le réalisateur le gifle et obtient les larmes convoitées. Les actrices ne sont pas assez effrayées ? William Friedkin n’hésite pas à tirer de véritables coups de feu sur le plateau pour surprendre et saisir des moments authentiques de sursaut.
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Une intensité cinématographique
Comme pour chaque film culte, les légendes autour de sa conception amplifient parfois les faits et, si d’autres rumeurs persistent sans fond véridique – un membre de l’équipe serait devenu un tueur en série –, L’Exorciste a un tournage particulièrement intense. Une intensité que l’on retrouve en réalité dans le résultat final.
Le film de William Friedkin n’a pas volé son statut de film culte. Avec minutie et délicatesse (le terme pourrait sembler inadéquat, mais c’est bien de ça qu’il s’agit : une mise en scène délicate, « élégante », malgré l’horreur visuelle, le dégoût et le gore), le cinéaste pose les bases de son intrigue pour rendre le dénouement plus impactant. Il crée en fait une chose toute simple : de l’attachement pour ses personnages. Ils sont humains, authentiques et ne se limitent pas à des archétypes narratifs. Quand l’horreur leur tombe dessus, le spectateur y croit et se désole pour eux.
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Ils sont nombreux, par la suite, les films sur des exorcismes à ne pas comprendre l’importance de poser, avant même la possession, un cadre humain et crédible. Avec cette écriture soignée en amont qui s’intéresse aux protagonistes, le film de William Friedkin décuple l’émotion et l’effroi quand le démon se manifeste. Une manifestation réalisée au départ par de simples images subliminales. Terrifiantes, tout simplement. Puis le gore et la violence s’installent. Vomi à outrance, mutilation sanglante avec un crucifix, tête retournée…
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Quand le film sort, il déchaîne les passions. Viscéral, choquant, vulgaire, « blasphématoire » pour certains, L’Exorciste ne transige à aucun moment sur son identité visuelle et son jusqu’au-boutisme assumé. Le destin de la petite Reagan est difficile à voir, son agonie (médicale et démoniaque), interminable.
Quand la scène culte de l’exorcisme arrive enfin, c’est à la fois un soulagement et une nouvelle épreuve macabre. Très souvent imité, le film de William Friedkin demeure incontestablement le maître du genre. Et si le succès s’explique autant par le propos, la direction artistique, la violence, la surprise et le casting du film (Max von Sydow est mémorable en vieux prêtre, tout comme la jeune Linda Blair, dans un rôle ô combien difficile d’enfant possédée), un élément termine de faire entrer L’Exorciste dans la légende : sa musique.
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Un thème musical iconique
À l’origine, le compositeur Lalo Schifrin est engagé pour la bande originale du film. Production chaotique oblige, William Friedkin, en découvrant les enregistrements, est mécontent. Il n’aime pas le résultat final, ne voit pas comment ces sons peuvent correspondre à son film. Sans aucune autre forme de procès, il rejette la composition de Lalo Schifrin et se tourne vers des musiques préexistantes pour illustrer L’Exorciste – qui se révèle être assez avare en morceaux, finalement.
La meilleure trouvaille réside dans un thème entendu quelques secondes à peine, alors que le personnage joué par Ellen Burstyn rentre chez elle. Les premières notes de Tubular Bells, composé par Mike Oldfield, résonnent et donnent au film son thème culte, son identité musicale reconnaissable et l’un des morceaux les plus connus du cinéma d’horreur. Comment le film se serait-il maintenu dans le temps avec la participation de Lalo Schifrin ? Impossible de le savoir. Mais avec Mike Oldfield, L’Exorciste gagne le dernier ingrédient rendant sa renommée intemporelle et universelle.
Le succès de L’Exorciste est absolu : plus de 440 millions de dollars aux box-office mondial, huit nominations aux Oscars et deux statuettes remportées (pour le mixage sonore et le scénario adapté), et une popularité grandissante à mesure que de nouvelles générations découvrent le film. Parfois, ces nouvelles générations lancent l’œuvre avec un certain apriori, persuadées que cette production vieillissante des années 1970 ne fera pas vraiment peur face aux nouvelles de formes de l’horreur. Puis L’Exorciste rattrape tout le monde : sa dramaturgie visuelle et son audace continuent de marquer les esprits, même 50 ans après.
Naturellement, plusieurs suites voient le jour – dont L’Exorciste – Dévotion, qui rappelle l’actrice du premier film Ellen Burstyn et se présente comme une suite directe, début d’une trilogie devant « conclure » la saga –, tout comme les dizaines de films avec le mot « exorcisme » dans leur titre, partageant avec l’œuvre de William Friedkin une thématique commune, mais pas les mêmes qualités cinématographiques ou le même accomplissement. S’il ne devait y avoir qu’un exorcisme à suivre, c’est bien celui-ci…
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Le sujet aurait été tout autre si le tournage de L’Exorciste n’avait pas fait l’objet d’autant de mystères et de légendes. Des légendes qui gagnent en ampleur à mesure que les années passent… Mais ce qui reste réellement, alors que l’on fête les 50 ans du film, c’est que L’Exorciste est un chef-d’œuvre du cinéma d’horreur et du cinéma tout court.