Entretien

Le Forum des Lecteurs interview Anne-Sophie Moszkowicz

23 mai 2022
Par Anastasia
Le Forum des Lecteurs interview Anne-Sophie Moszkowicz

Sur le Forum des Lecteurs, Anne-Sophie Moszkowicz a répondu en direct aux questions des membres. Si la parution de son livre Maison libre, sans toit ni cloison a été un moteur de questionnement, sa présence a aussi été l’occasion de rentrer plus en profondeur dans l’élaboration d’un livre, de son écriture à sa diffusion. Une interview très riche !

Au cœur d’une Maison libre, sans toit ni cloison

Maison-libre-sans-toit-ni-cloison@Yza29 : Comment est né ce deuxième livre ?


Anne-Sophie Moszkowicz : « Merci beaucoup pour votre question. J’ai commencé à écrire il y a une douzaine d’années, à la mort de mon père que j’adorais.

Comme souvent, c’est à la mort de ceux qu’on aime qu’on se rend compte à quel point ils ont été inspirants. Mais hors de question d’écrire sa vie entière et totale. Il a fallu du temps pour prendre la distance nécessaire et injecter de la fiction en dose suffisante pour que le texte soit aussi lumineux et inspirant que le sujet le méritait.

« Il a fallu du temps pour prendre la distance nécessaire et injecter de la fiction en dose suffisante pour que le texte soit aussi lumineux et inspirant que le sujet le méritait. »

Le point de départ, c’est donc le lien père-fille fort, tendre, pudique, d’admiration réciproque que j’ai eu la chance de connaître et que j’ai voulu transmettre ici, en hommage. Mais au-delà, comme l’héroïne de mon roman, c’est aussi une carte postale trouvée dans ses affaires mentionnant le rêve fou qui l’a animé toute sa vie : construire une maison libre, sans toit ni cloison. Quelle idée formidable ! Quelle manière originale d’habiter le monde ! J’ai voulu explorer le lien entre la recherche de liberté et l’architecture. Le sujet m’a passionnée ! 

N-oublie-rien-en-chemin

@Kaem : Pourriez-vous dévoiler quelques détails sur le choix du titre ?

Le choix du titre est soit un casse-tête, soit une évidence. Pour mon premier roman, N’oublie rien en chemin, j’avais proposé plusieurs options : D’un automne à l’autre, Derrière les écrans de fumée… Mais Caroline Laurent, mon éditrice, pensait,à juste titre, que ces expressions étaient trop vagues. Pour finir, c’est elle qui a trouvé le titre, en puisant dans le texte : « N’oublie rien en chemin » est une phrase prononcée par la grand-mère de l’héroïne.

Pour ce roman, le titre s’est imposé très vite. Comme expliqué dans ma réponse à YZA29, c’est le point de départ de l’écriture du roman. Là aussi, l’expression « Maison libre sans toit ni cloison » figure dans le texte. C’est ce qui va guider l’héroïne tout au long du roman, le rêve fou de son père qui finira par prendre vie et inspirer plusieurs personnages. 

@Sarah : L’intrigue suit une jeune femme en quête de réponses sur son père, dont la jeunesse s’est faite dans les années 68. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez préféré montrer cette autre jeunesse ?

Excellente question ! Il se trouve que j’ai une sorte de nostalgie pour les années 60-70 sans pourtant les avoir vécues ! J’ai du mal à me l’expliquer mais tout m’intrigue et m’interpelle : la soif de liberté sur la jeunesse, la légèreté qui soufflait sur les chansons de l’époque, la désinvolture feinte, les impers et les cigarettes de Romy Schneider et Michel Piccoli dans les films de Claude Sautet, les pavés dans les rues de Paris, le charme des communications sans téléphones portables et sans internet, les rendez-vous qu’on se donnait par télégrammes ou pneumatiques, le temps que l’on ne semblait pas compter, les coupes de cheveux au carré, les yeux dessinés de noir…

Je pense aussi que la jeunesse de nos parents est un sujet absolument passionnant. Passionnant parce qu’il nous échappe !

« On ne connaîtra jamais ses parents au début de leur vie d’adulte, leurs inspirations, leurs rêves, les événements et les rencontres qui ont failli faire basculer leur trajectoire… »

On ne connaîtra jamais ses parents au début de leur vie d’adulte, leurs inspirations, leurs rêves, les événements et les rencontres qui ont failli faire basculer leur trajectoire… Et c’est quand les parents ne sont plus là que le besoin de retrouver le matériau de leur jeunesse devient impérieux. Pour comprendre qui ils ont été. Pour comprendre qui nous sommes. 

@Nicolebarbier : Comme dans votre premier roman, on voit des personnages qui enquêtent et qui sont hantés par leur passé. D’où vous vient cette envie de mettre en avant ces deux dimensions qui se complètent harmonieusement ? Merci et bravo !

Merci pour votre question. Héloïse d’Ormesson a trouvé cette merveilleuse formule pour parler de mon roman : « le passé comme matière à rêver ». Oui, je crois que le passé est une matière extraordinaire à explorer, une source inépuisable où puiser des réponses et des inspirations pour notre présent et notre futur.

J’écoutais il y a quelques jours Boris Cyrulnik dans l’émission « Boomerang » sur France Inter. Il expliquait que les souvenirs ne prennent pas uniquement leur source dans le passé, mais aussi dans le présent et le futur : si certains souvenirs refont surface à un moment de notre existence, c’est parce qu’ils ont été réactivés par des événements que nous sommes en train de vivre. Les souvenirs tissent une toile entre les 3 dimensions du temps.

Dans mon premier roman, l’héroïne Sandra enquêtait sur le passé de ses grands-parents pendant la deuxième guerre mondiale : ce retour aux sources s’imposait à elle car le passé de sa grand-mère Rivka ricochait sur sa vie présente. J’avais voulu montrer comment le passé de nos ancêtres laissait des traces sur les générations suivantes, et que, malgré les silences et les non-dits, l’histoire des anciens nous hante et nous habite, influe nos choix et nos sensibilités.

Dans mon deuxième roman, l’héroïne Claire enquête sur la jeunesse de son père pour trouver l’inspiration qu’elle ne peut plus puiser au quotidien. Elle est intriguée par ce vent de liberté qui a porté son père architecte tout au long de sa vie et ce va-et-vient avec le passé lui permettra de se ressourcer et de grandir.

Le passé est la fabrique du présent. En s’y plongeant, mes personnages trouvent des réponses pour réinventer leur existence. 

« Le passé est la fabrique du présent. En s’y plongeant, mes personnages trouvent des réponses pour réinventer leur existence. »

L’envers du décor : de l’écriture à la diffusion d’un livre

@Melice : Pour rebondir sur le titre : ça se choisit au début ou à la fin ? Ça change en cours de route ? Combien de fois ?

Anne-Sophie Moszkowicz : Je pense qu’il n’y a pas de méthode particulière pour choisir un titre. Parfois, il s’impose dès le début de l’écriture, parce que c’est ce qui motive l’écriture et que l’expression irrigue déjà le texte. C’est le cas pour ce roman. Maison libre, sans toit ni cloison : c’est le rêve fou de Boris, qui va inspirer plusieurs personnages. L’expression évoque donc aussi bien le lien entre liberté et architecture, que ce qui va transformer les deux héros du roman.

En revanche, pour mon premier roman, le titre a changé souvent, jusqu’à ce que mon éditrice trouve la solution.

« Plus il y a de thématiques différentes abordées, plus le choix se complique. On a envie de tout dire dans le titre et il est parfois difficile de trancher. »

Plus il y a de thématiques différentes abordées, plus le choix se complique. On a envie de tout dire dans le titre et il est parfois difficile de trancher. D’où, encore une fois et pour rebondir sur une question posée par un autre lecteur, le rôle crucial de l’éditeur. Son regard extérieur et affuté est précieux !

La couverture joue également un rôle primordial car elle va contribuer aussi à faire résonner le titre avec l’image proposée. J’espère que cette couverture vous plaît !

@Melice : Merci beaucoup pour votre réponse ! La couverture est très sympa, résonne avec son titre tout en laissant songeur sur le contenu du livre !

Anne-Sophie Moszkowicz : Je suis bien heureuse qu’elle vous plaise ! L’équipe de la maison d’édition a fait un travail formidable.

@Maud : Comment vous renseignez vous pour écrire une enquête palpitante ? Témoignages, recherches internet, archives… Je suis toujours époustouflée par la capacité des auteurs à imaginer tout ça.

Oui, l’imagination doit être « aidée » par du matériel plus tangible, vous avez raison ! Pour ma part, j’ai beaucoup puisé dans les livres et les films. Les éditions Arléa ont une collection d’entretiens avec des architectes absolument passionnante ! Par ailleurs, les films des années 60-70 m’ont aussi beaucoup inspirée : Claude Sautet en premier, Les Choses de la vie, Une histoire simple. C’est un excellent moyen de plonger dans l’ambiance d’une époque qu’on n’a pas vécue !

@Finskan : Est-ce qu’il y a de grands « remaniements » entre le moment où vous soumettez un roman à un éditeur et sa publication ? Est-ce que vous pouvez refuser les modifications que l’on vous propose ?

Je vous remercie pour votre question car elle porte sur un aspect de l’écriture qui me tient particulièrement à cœur. En fait, tout dépend de l’éditeur d’une part, de l’énergie qu’il souhaite consacrer à faire progresser son auteur, à le pousser plus haut, et d’autre part de l’aptitude de l’auteur à accepter les modifications, car il faut savoir recevoir les critiques. Les remises en question nécessitent une bonne dose d’humilité et de courage !

Pour ma part, OUI, il y a eu beaucoup de travail entre la première version remise à mon éditrice Caroline Laurent et la dernière que vous pourrez découvrir le 5 mai. Tout simplement parce que l’une comme l’autre nous ADORONS ce travail de co-création. Ce n’est pas toujours facile mais ô combien nécessaire !

Pour la naissance d’un petit humain, la sage-femme aide la mère. Pour la naissance d’un texte, l’éditeur aide l’auteur à accoucher du meilleur de sa plume. Sans être directif ni imposer une orientation du récit, l’éditeur est, pour moi, le garde-fou aux intrigues qui dysfonctionnent, aux invraisemblances, à la facilité, aux maladresses… Être à l’écoute de Caroline m’a permis de progresser depuis mon premier roman. L’auteur livre un matériau brut. L’éditeur pointe du doigt les endroits à polir. Il faut parfois accepter de tout casser pour tout recommencer.

« L’auteur livre un matériau brut. L’éditeur pointe du doigt les endroits à polir. Il faut parfois accepter de tout casser pour tout recommencer. »

Quand le regard de l’éditeur est bienveillant, la remise en question est salvatrice !

J’en profite également pour remercier Alexandra Calmes, éditrice chez Héloïse d’Ormesson, qui a effectué la dernière relecture : les coquilles, les erreurs de dates, les répétitions, les placements de virgule, les expressions maladroites… 

@Melice : Je rebondis sur votre réponse : Avez-vous remis le nez dans la première version de votre manuscrit et le trouvez-vous « mauvais » après avoir fait tout ce travail ?

Oui je « remets régulièrement le nez » dans les précédentes versions du manuscrit. Cela permet de mesurer tout le chemin parcouru ! J’aime bien aussi voir ce que mon éditrice avait rayé, ses commentaires, ses remarques positives également ! Finalement, le travail d’écriture n’est rien d’autre qu’un travail d’artisan. On travaille une matière, le maître est là pour inspirer, orienter la main et aider à trouver sa voie et sa voix. Car c’est bien là tout l’intérêt et la finalité ! 

@Koko : Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder le thème du devoir de mémoire dans vos romans ?

Bonjour et merci pour votre question. Ce thème est en effet très important pour moi. Je crois profondément que rien ne peut pousser sur une tabula rasa. L’Histoire avec un grand H et l’histoire des générations précédentes est l’engrais sur lequel nous tentons de pousser. Nous avons beau l’ignorer, le passé est là, sous nos pieds, nous y prenons racine. Peu importent aussi les silences et les non-dits, le passé infuse notre présent et notre futur.

Le devoir de mémoire est une nécessité absolue, qu’il soit pour honorer une histoire familiale marquée par des sujets graves, comme la guerre, la spoliation, le génocide, le racisme, que pour raviver des souvenirs plus légers mais tout aussi importants, qui façonnent les légendes que nous trouvons tous au sein de nos familles et qui nous construisent notre avenir. Mes deux romans abordent ce thème, que j’ai puisé dans ma propre histoire familiale. Le premier était inspiré du destin tragique de mes grands-parents pendant la guerre. Le deuxième au destin original et libre de mon père, l’architecte au rêve fou, osant une maison sans toit ni cloison, osant épouser une femme d’une autre religion que lui, osant une existence simple et modeste.

Je pense que la littérature est aussi faite pour ça : donner à voir plus loin, plus loin dans l’échelle du temps et des cultures, afin d’inspirer le lecteur et de le pousser à faire cette recherche pour lui-même dans sa propre histoire.

@Melice : Une nouvelle question : Lorsque votre livre est envoyé aux journalistes et autres pour les prix, la communication avant la sortie officielle, lisez-vous toutes les chroniques à son propos ? Êtes-vous sur Babelio etc. pour regarder le ressentit des gens ?

Oui tout à fait : ça fait partie du jeu. Le travail d’écriture est d’abord très solitaire, et puis tout d’un coup c’est le saut dans le vide ! L’adrénaline monte. L’envie irrépressible que mes mots, mûrement choisis et agencés, puissent toucher les autres.

Les remarques constructives prennent part au processus d’amélioration permanente qui prend aux tripes, pour aller encore plus loin, la prochaine fois.

Babelio est une plateforme très intéressante, d’autant qu’elle permet aussi le partage de phrases ou de paragraphes que les lecteurs ont appréciés.

@aliceread : Quel a été votre parcours pour intégrer le monde de la diffusion du livre et surtout comment avez-vous passé le cap des coulisses à la scène, de la diffusion des livres des autres à la création de vos univers ? Merci pour ce roman, j’ai hâte de le lire, la 4eme de couverture est très inspirante.

Bonjour et merci pour votre enthousiasme !

J’ai intégré l’école de commerce EMLyon en 2003 après une classe prépa au lycée Masséna à Nice, mais j’ai très vite eu besoin de trouver un sens à ces études commerciales. Le monde des livres me paraissait alors le milieu idéal pour m’épanouir professionnellement. Quelque chose me dit que je ne me suis pas trompée…

Après des premières expériences chez Albin Michel, puis au sein des librairies Decitre à Lyon et enfin chez Bayard-Milan Bruxelles, qui m’ont permis d’esquisser un panorama complet de la chaîne du livre, j’ai été embauchée, fraîchement diplômée, chez Interforum au sein du service marketing-études.

La branche « diffusion » est moins connue que l’édition, et sans doute moins recherchée par les étudiants. Elle permet pourtant d’avoir une vision large du marché, en particulier en accompagnant des éditeurs très différents auprès de clients également très variés. Les fonctions y sont denses et passionnantes !

J’ai eu la chance de pouvoir évoluer régulièrement dans cette entreprise. Aujourd’hui, je suis responsable comptes-clés, c’est-à-dire que je vends les nouveautés et je développe l’activité de plusieurs éditeurs dans les grandes chaînes de librairies.

En 2016, après avoir terminé l’écriture de mon premier manuscrit, j’ai commencé, comme tous les jeunes auteurs en herbe, par envoyer mon texte aux maisons dont j’appréciais les parutions. Démarche classique avec son lot de lettres de refus. Puis, j’ai entendu qu’une nouvelle éditrice arrivait aux Escales pour développer le domaine français. J’ai tenté ma chance en envoyant mon texte. Caroline Laurent m’a tout de suite répondu, nous nous sommes rencontrées, elle m’a fait retravailler certains aspects du texte et, la collaboration entre nous étant fluide et productive, nous avons signé ! Un coup de chance, une rencontre, deux projets qui se croisent et font sens ensemble. 

@aliceread : merci beaucoup pour vos réponses si riches ! La diffusion semble en effet un chemin méconnu a exploré. Quant à votre rencontre avec Escales, c’est ce qui s’appelle être au bon endroit, au bon moment, avec le bon talent.

Anne-Sophie Moszkowicz : Je trouve cet exercice d’échange absolument passionnant ! Merci beaucoup de le permettre. Cela me permet de réfléchir à tout un tas de sujets.

Et oui, être au bon endroit au bon moment, c’est souvent la clé ! C’est tellement difficile de parvenir à être publié et accompagné dans le travail d’écriture. J’ai beaucoup de gratitude envers celles qui me l’auront permis : Caroline Laurent, mon éditrice sur les 2 romans, et Héloïse d’Ormesson, qui m’a accueillie avec une telle bienveillance dans sa « maison ». »

Parution le 5 mai 2022 – 251 pages

Maison livre, sans toit ni cloison, Anne-Sophie Moszkowicz (Héloïse d’Ormession) sur Fnac.com

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Anastasia
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