Critique

Immunité de Philip K. Dick : vers un avenir illusoire

21 février 2022
Par Anastasia
Immunité de Philip K. Dick : vers un avenir illusoire

Onze nouvelles de science-fiction. Voilà de quoi est fait le recueil de Philip K. Dick : Immunité et autres mirages futurs. Bienvenue dans une multitude de mondes désorganisés et équivoques où toute existence reste instable.

Immunite-et-autres-mirages-futursLe crâne

Dans le monde imaginé par K. Dick, la Prime Église fait foi. Né au XXe siècle, le Mouvement s’est nourri du sentiment général de futilité qui régnait. Les guerres engendraient d’autres guerres, un problème omniprésent auquel il fallait faire face. Alors le Mouvement a proposé une réponse simple : « sans préparatifs militaires – sans armes – il ne pouvait y avoir de guerre. Et sans machines, sans technocratie scientifique élaborée, il ne pouvait y avoir d’armes. » Les machines, les créations techniques, la science elle-même, tout était voué à échapper à l’homme. Pour le Fondateur du Mouvement, la doctrine, elle aussi, était simple : ne pas se battre, ne pas payer d’impôts qui servent à fabriquer des armes, ne pas faire de recherche autre que médicale, vivre tranquillement, cultiver son jardin, fuir les affaires publiques et s’occuper de ses propres affaires. Entre autres, il fallait aussi « rester obscur, inconnu, pauvre, donner la plus grande part de ses biens, quitter la ville. » Cet idéal a vite pris de l’ampleur. On proposait la paix, la fin des classes sociales et la tranquillité.

En quoi pouvait-on s’y opposer ? Là réside tout le problème : sur le long terme, la Prime Église empêche tout progrès social et sème la sédition. Et si les guerres ont bel et bien disparu… à quel prix ? Ces dernières, bien que violentes, permettaient selon les propres mots du Porte-Parole d’être en parfait accord avec l’enseignement de Darwin, de Mendel et des autres.

« En son absence, on laisse la masse des inutiles et des incompétents sans intelligence ni formation croître et se multiplier sans contrôle. La guerre permettait de réduire leur nombre ; comme les ouragans, les tremblements de terre et les grandes sécheresses. »


C’est pour éradiquer le Fondateur, mort depuis deux siècles, que le Conseil a fait appel au prisonnier Conger. La chasse, la traque, c’est quelque chose qu’il connaît bien. Trouver l’individu grâce à son crâne et ses ossements devrait être dans ses cordes.

Mais revenir dans le passé et y passer inaperçu n’est pas aussi facile. D’autant plus que ce qui attend Conger là-bas ne sera pas sans incidence…

Le Grand O

Depuis la Débâcle, des hommes sont envoyés sur le territoire du Grand O chaque année afin de poser trois questions. Cette fois, c’est au tour de Tim Meredith de faire le voyage et de les poser. Une mission d’envergure dont personne n’est jamais revenu. Tant que le Grand O saurait répondre aux trois questions, il se nourrirait du corps de l’homme venu les lui poser. Dans le cas contraire, il libérerait tous les Hommes.
Tim doutait très peu de lui et des questions fort réfléchies de sa Tribu. Impossible que le Grand O soit capable d’y répondre ! Mais vous vous en doutez bien, le Grand O est une sorte d’ordinateur aux connaissances quasi illimitées qui sera loin d’être déstabilisé par les questions posées…

« Je saurais répondre. Vous les trouvez difficiles. Vous autres êtres humains n’avez pas idée des questions qu’on me soumettait jadis. Avant la Débâcle, je résolvais des problèmes qui dépassent votre entendement. Il me fallait des jours entiers de calculs. Les hommes, eux, auraient mis des mois à parvenir au même résultat. »

 

James P. Crow

Imaginez un monde régit par les robots, où les humains seraient vus comme des parias, servant d’esclaves. C’est exactement ce qu’il se passe dans la nouvelle James P. Crow. Et dans ce monde, il y a les Listes. Seulement, aucun humain n’a jamais pu réussir l’examen, les exercices étant créés par des robots pour des cerveaux de robots.

« Un jour peut-être, humains et robots vivront ensemble sur un pied d’égalités. Il existe un Part Egalitaire chez les robots. Il a dix sièges au Congrès. »

Mais ne soyons pas si catégorique car, justement, James P. Crow est le seul homme à avoir réussi l’examen des Listes, un « banal réparateur, un mécanicien qui entretenait les machines et dessinait des circuits. »  Mais le dessein de James P. Crow est plus grand. En réussissant les différents paliers de l’examen des Listes, c’est toute l’histoire du monde qui risque d’être bouleversée. Les humains et les robots ne seront jamais égaux : les uns sont des êtres sensibles dotés de perceptions et de capacités affectives développées, les autres sont fait d’intellect pur. Impossible de se leurrer. Et là où le bâs blesse sera lorsque James dévoilera toutes les modifications historiques réalisées par les robots pour faire croire aux hommes leur aliénation de toujours…

Service avant achat

Des pubs. Partout. Toujours. Encore plus. Ed Morris est éreinté. Ce jour-là, en regagnant la Terre après une dure journée de travail et un trajet encombré par les voix qui ne cessent de vous vendre tout et n’importe quoi, il est au bord de craquage.

« Il y avait partout des robots représentants gesticulants, suppliants, piaillants. »

Son dernier espoir, il le posa sous les yeux de sa femme, Sally : un fragment minuscule de papier métallique sur lequel on parlait d’un monde nouveau, loin du système solaire. Vingt planètes où les gens vivent comme au XXe siècle, avec « des toilettes à chasse d’eau, des baignoires primitives, des voitures à essence… […] Tu ne crois pas que tu aimerais ça ? Plus de pubs, plus de robots vendeurs… Des voitures qui roulent à quatre-vingt-dix kilomètres heure au lieu de quatre-vingt-dix millions. » Mais si Sally comprend le désarroi de Ed, ce n’est pas au point de partir vivre dans un monde « sous-développé ».

Le titre « Service avant achat » prend tout son sens après le coup de sonnette, quand un robot gigantesque sonne à leur porte pour vendre un arcad. Quand on en possède un, on n’a plus rien à craindre : il répare tout, vous protège de tout et peut même prendre votre place au travail pendant quelques jours ! C’est peut-être très bien, mais ça, Ed, n’en a strictement rien à faire. Tout ce qu’il souhaite en ce moment, c’est que le robot s’en aille. C’est d’ailleurs ce qu’il lui dit, mais le robot ne veut pas : « Vous n’avez pas d’ordres à me donner. […] Je resterai là. Vous finirez par m’acheter. » 

À partir de ce moment-là, les choses prennent un tournant irrémédiable…

Le tour de roue

Dans Le tour de roue, focus sur les cultes. Point noir de la société, les croyances déviantes contaminent les castes inférieures et menacent de renverser les valeurs établies. Envoyé en mission dans la région de Detroit par le barde Chaï, Sung-Wu sera confronté à des êtres complètement différents que ce qu’il côtoie d’ordinaire à son rang élevé. Tout d’abord, ceux-ci n’ont pas la connaissance de la catéchèse qui vise à faire de l’homme un fragment du dessein cosmique en quête de gravir les échelons aux cours de ses différentes vies. Ensuite, ces gens vivent au jour le jour, sans s’inquiéter du lendemain, abusant du péché de chair. Très vite, Sung-Wu comprend que si l’Age d’Hérésie est relégué au passé, les Temps de Folie menacent de revenir sous l’ampleur du culte présent dans la région de Detroit. Néanmoins, de là-bas, il en reviendra changé… Eh oui, la vie n’a pas de prix…

Reconstitution historique

Il vous est certainement déjà arrivé de penser au passé avec envie ? Vivre les Années Folles, vous trémousser sur les nouveaux tubes des années 80 ou, plus loin, parler philosophie avec Socrate ? Alors il est tout à fait possible que nos descendants rêvassent de la même manière à l’idée de vivre à notre époque. C’est le cas de Miller, homme du XXIIe siècle, en charge de la reconstitution du XXe siècle au Centre Historique. Fervent admirateur de notre pan de l’histoire, il en vient à s’habiller de la même façon que les hommes des années 50 et à parler leur langage. Imaginez donc son plaisir lorsqu’il est transporté dans le passé auprès de sa femme d’alors, Marjorie, et de ses deux enfants. « C’est un endroit où il fait bon vivre. Evidemment, ma situation est supérieure à la moyenne. Je vais vous la décrire. J’ai une épouse séduisante – car en ces temps, le mariage est non seulement permis, mais même valorisé. J’ai deux beaux enfants – des garçons – qui partent camper le week-end prochain au bord de la Russian River. Ils habitent chez nous – nous en avons la pleine et entière garde. L’Etat ne s’en mêle pas – pas encore. »

Mais est-ce que Miller est vraiment entré dans une faille temporelle ? 

L’immunité

Dans L’Immunité, on reprend une figure chère à l’auteur : les télépathes ! Dans un monde où les gens sont sondés par une bande de T.P., il n’est permis de ne rien cacher. Quiconque est surpris en train de porter un capuchon, alliage empêchant d’être sondé, sera traqué par la Franchisse.

Et le dessein des T.P n’est pas aussi net qu’il en a l’air…

Là où il y a de l’hygiène

La société est scindée en deux partis. D’un côté, les Naturalistes qui revendiquent leur odeur corporelle et la liberté totale de leur hygiène. De l’autre, les Puristes qui exigent des dents blanches, une chevelure garnie et soignée, l’absence de toute odeur. Parmi ce fatras, il y a Walsh. Walsh qui ne désire pas choisir l’un ou l’autre, trouvant absurde cette guerre politique sans queue ni tête. Pourtant, quand le parti Puriste gagne les élections, il doit faire un choix : entrer dans le rang et ainsi accepter cette société, ou refuser les nouveaux diktats mais mettre sa vie en péril.

Expédition en surface

Une expédition est prévue en surface. En effet, le département d’Ed Boynton doit se procurer des saps. Autrement dit, des sauvages, des êtres humains revenus à leur état le plus primitif, tentant de survivre sur une terre désolée et non fertile. Mais vous vous en doutez bien, les choses ne vont pas se passer comme prévu.

Si les Hommes des souterrains voient dans les Hommes de surface des bêtes, ce que pensent ces derniers n’est pas bien différent non plus envers eux…

Consultation externe

Dans Consultation externe, retour dans un monde détruit après une guerre sans merci. D’un côté, il y a les Hommes qui tentent reformer une communauté encadrée par des généraux, de l’autre il y a les membres de la Guilde, aux pouvoirs psioniques. Rien ne devrait faire se rencontrer ces deux communautés, et pourtant, la première devra faire le choix ultime : partir définitivement ou rester.

Au service du maître

Avant la guerre, les Hommes vivaient dans des villes, jouissant de ce que la Terre pouvait leur offrir. Ils passèrent des années à expérimenter des tas de choses et parmi elles, la construction de robots, du plus simple au plus sophistiqué. Puis la guerre fit rage, et avec elle la destruction : celle de la plupart des êtres humains, mais aussi de tous les robots. Seules survécus les Compagnies, qui bénéficiaient alors d’une certaine protection. Les dirigeants formèrent un gouvernement, interdirent la création d’êtres de métal et enfermèrent, dans une sorte d’esclavage, les Hommes.

« Nous sommes écrasés de travail. Des esclaves dans des abris souterrains, voilà ce que nous sommes. […] Les êtres humains vont devenir des robots. »

Mais Applequist n’a pas accès à toutes les informations. En effet, les membres de son niveau n’ont pas le droit aux connaissances théoriques et n’ont également pas le droit de poser des questions qui vont dans ce sens. Mais l’ignorance peut mener à bien des désordres…

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Parution le 6 janvier 2022 – 256 pages

Immunité et autres mirages futurs, Philip K. Dick (Gallimard) sur Fnac.com

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