Au début il courait pour échapper aux vigiles, et il s’est rendu compte qu’il courait vite, très vite. Tellement vite qu’il est devenu adepte des pistes d’athlétisme et champion de France du 400 m. Pourtant il passera plus de temps en prison que dans les stades. Mathieu Palain a rencontré Toumany Coulibaly, athlète et cambrioleur, qui questionne nos certitudes sur la notion même de talent avec au centre l’addiction et le déterminisme social. C’est quoi d’ailleurs être un champion ?
En direct de la Fnac Parly 2, mon magasin :
Il n’y a pas que la rentrée littéraire dans le rayon des romans au mois de septembre. Le monde continue à tourner, parfois de façon incontrôlée, mais la littérature peut illustrer l’actualité pour mieux la comprendre ou accompagner nos réflexions. C’est en tous cas le but de ma rubrique « Lisons plus loin » que vous pouvez retrouver dans mon magasin.
Ce mois-ci le thème de l’Afghanistan me paraissait évident, avec une sélection entre polars d’action ou géopolitique et des romans aux intrigues plus dramatiques.
Mon coup de cœur de libraire :
Ne t’arrête pas de courir, de Mathieu Palain aux éditions L’Iconoclaste.
Ce livre est l’histoire d’une rencontre. Au détour d’un article lu dans un quotidien, Mathieu Palain découvre l’histoire pour le moins atypique de ce champion de France mis sous les barreaux pour cambriolage aggravé et multirécidiviste. Ce portrait l’intrigue et il essaiera de contacter ce fameux champion délinquant.
Toumany Coulibaly lui répondra au bout d’un an seulement, d’une manière touchante, presque infantile : « Merci pour votre lettre. Je la relis souvent. », comme s’il avait du mal à croire que l’on puisse s’intéresser à son histoire, que son parcours de vie soit digne d’intérêt.
S’ensuivra alors une série de parloirs hebdomadaires, durant lesquels les deux hommes vont apprendre à se connaître et faire naître une forme de complicité qui les lie sûrement encore plus que ce livre ne peut le restituer.
Est-ce la honte qui gêne Toumany dans sa première approche ou l’impossibilité pour lui-même d’expliquer pourquoi il en est venu à s’entraîner dans une de prison alors qu’il devrait être avec les meilleurs à faire des tours de piste et battre des records.
Les deux hommes ont le même âge et viennent tous deux d’Essonne. Ils auraient pu se rencontrer depuis longtemps et devenir amis, mais quand l’un fait des études de journalisme après avoir abandonné à contre cœur une carrière de footballeur, l’autre occupe déjà une cellule de Fleury-Mérogis.
Au fond, il n’a jamais cessé de voler. Au départ, par simple motivation personnelle, celle de satisfaire une envie inaccessible, selon une devise claire « ce qui est convoité mérite d’être volé ». Puis pour revendre des biens, ou posséder un peu plus d’argent, ou encore pour donner, offrir. Mais qu’est-ce-qui fait courir le champion ? L’adrénaline ? La frustration ? L’acide lactique qui tétanise votre corps ? Ce besoin irrépressible de se mettre en danger, de se sentir défaillir, de défier la société et tous ceux qui viennent l’admirer sur la piste, qui mesurent au centième près ses performances hors du commun ?
« … mais c’est ce talent incroyable qu’il a, un talent qui touche une personne sur dix millions peut-être, et encore… et qu’il le gâche pour des conneries. C’est comme s’il avait gagné au loto et qu’il refusait de valider son ticket. Voyez, si vous êtes championne de France, de n’importe quoi, d’échecs, de curling, de fléchettes, le soir même vous allez au restaurant, vous buvez un coup, vous fêtez l’événement. Lui, il cambriole une boutique de téléphones portables. Il doit y avoir une raison. Je la cherche. J’aimerais comprendre. Si je comprends, il comprendra aussi, et peut-être qu’il évitera la rechute. »
Une énigme ce Toumany Coulibaly, qui avait un champ de médailles olympiques devant lui mais qui ne peut s’empêcher de l’assécher en le brûlant de toute sa colère intérieure.
Cinquième d’une famille d’origine malienne de dix-huit enfants, il veut faire de son talent un passeport pour la liberté, au risque de se retrouver en prison. Alors pourquoi ? Pour obtenir tout ce qu’il désire, posséder plus encore, et voler pour le simple plaisir de dérober, pour faire la nique envers et contre tout, parce qu’il ne peut s’en empêcher accro à cette sensation de puissance et de revanche associée ?
Le sport et la performance ; l’univers carcéral et la condition du condamné ; les origines de la délinquance, tant de sujets abordés de front par Mathieu Palain qui double son talent de biographe remarqué dans la revue XXI en donnant une ampleur sociologique à ce portrait réaliste et inspiré de cet athlète hors norme. À chaque page, il nous amène petit à petit dans un récit de plus en plus tendre et juste pour nous enrôler de plus en plus vite. Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain est un exercice de style non-fiction impressionnant, à lire le cœur battant.
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Parution le 19 août 2021 – 422 pages
Ne t’arrête pas de courir, Mathieu Palain (L’Iconoclaste) sur Fnac.com
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*Sébastien est libraire à la Fnac de Parly 2 rayon fiction, spécialisé en littérature française. Il participe depuis plusieurs années au prix du Roman Fnac et écrit des chroniques sur son blog Fnac.com