Critique

Les évasions particulières de Véronique Olmi : la révolution des femmes

27 juillet 2020
Par Anastasia
Les évasions particulières de Véronique Olmi : la révolution des femmes

C’est au sein d’un foyer catholique que nous découvrons les bouleversements de post mai 1968. Dans Les Évasions particulières, Véronique Olmi partage son roman en cinq voix, montrant avec talent et profondeur que les années 1970 n’ont pas seulement ébranlé la société française mais toutes ses familles. Un roman émouvant et humain.

« C’est peut-être pour cela qu’ils aimaient ces moments en famille, parce que la situation était fragile et éphémère, et que tous ensemble, ils étaient quelqu’un. »

Post mai 68 : une société française en pleine mutation

véronique olmiDans Les Évasions particulières, Véronique Olmi fait de son roman une véritable chronique sociale post mai 1968 dans une France qui doit réussir à composer entre anciennes conventions et nouvelles révolutions : celles des idées, de l’indépendance et de la liberté.

« Le manifeste disait que les femmes n’étaient pas libres de leur corps. Comme les esclaves. Que les femmes étaient forcées à la reproduction. Comme le bétail. Et il assimilait les catholiques aux fascistes. La brutalité de cet argument ajoutait au choc de la lecture, qui donnait le compte des femmes qui se faisaient avorter et de celles qui en mouraient. Tout était une question de ventre, il ne s’agissait que de cela, le ventre des femmes. À qui il appartenait. À qui il devait rendre compte et ce qu’elles avaient le droit d’en faire. »


Tandis qu’on y suit les aventures d’une famille catholique résidant à Aix-en-Provence, nous découvrons également, au fil des pages, les pensées de ce père dépassé par son siècle et limité par ce que lui a inculqué la religion ; celles d’une mère qui découvre dans les revendications du peuple féminin, les siennes, secrètes et bientôt trop fortes pour être tues ; celles de Sabine, l’aînée, qui porte des idées politiques fortes et rêve d’un Paris qui n’est que celui de ses illusions ; celles d’Hélène, la cadette, coincée entre Neuilly-sur-Seine chez son riche oncle et Aix, dans sa modeste famille aux mœurs tout autres ; et enfin, Mariette, la benjamine, fragilisée par son asthme, et vivant avec naïveté et emphase sa vie, pourvue de musique et de silence.

Un désir de vivre et un besoin de dire

Si l’on devait faire ressortir un des thèmes dominants du roman, nous parlerions certainement de l’émancipation : celle de la femme de la société et ses règles, celle des parents de leurs enfants, celles des enfants de leurs parents, et celle des deux êtres qui forment un couple.

« La faute était partout. Depuis la chambre à coucher jusque dans les films qu’on regardait, les livres et les journaux qu’on lisait, le nombre d’enfants qu’on avait et l’éducation qu’on leur donnait. »

Le tout étant de pouvoir s’émanciper en fuyant la faute, résidant partout, quoi que l’on fasse.

Hélène

Si Hélène a un père et une mère, elle est partagée entre deux familles. Très tôt, elle prend l’avion pour rejoindre son oncle et sa tante à Neuilly-sur-Seine où elle découvre les joies de la bourgeoisie et le Paris mondain. Cette distinction entre elle et ses sœurs, qui ne bénéficient pas du même privilège, l’éloignera parfois d’elles, créant aussi dans l’amour de ses parents, un trou et une blessure.

Très vite, sous la vue des rats brûlés par un jardinier et la mort de son chien Caprice, Hélène découvre la souffrance animale et l’abomination humaine. Marquée au plus profond d’elle-même par ces scènes, elle fera progressivement de sa lutte pour la cause animale un chemin de vie. Mais dans son parcours, Hélène se prendra beaucoup de murs et de silence.

« Elle n’avait pas besoin d’ouvrir les yeux pour savoir qu’elle était seule. Et comme souvent dans ces moments-là, il revenait. Silencieux. […] Ce chien qui l’avait aimée et guidée vers le monde animal, vers la souffrance dont les hommes revendiquent l’exclusivité. […] Il faut faire plus pensa-t-elle. »


Alors pour faire plus, Hélène tourne le dos aux adultes pour faire face aux enfants, l’avenir de l’humanité et chez qui il était encore possible de pouvoir trouver une oreille attentive, prête à se battre pour ses convictions.

Mais si sa vie semble toute tracée et qu’elle profite d’un amour simple avec Arthur ainsi que d’un studio tout payé, Hélène est chamboulée par de nouveaux sentiments, loin de ce que les conventions d’alors peuvent accepter…

Sabine

« Elle resta seule avec cette explosion qui ouvrait tant de brèches. »

Sabine se rend compte très tôt de l’espace resserré dans lequel l’enferment sa famille et la religion. Au tout début de l’année 1971, elle découvre par hasard que l’amour n’est pas « exclusivement conjugal, béni par les prêtres, autorisé par la loi. ». Et c’est alors tout son monde qui se voit ébranlé.

« Elle lut l’histoire que ne lui avaient pas racontée ses parents […] Après avoir lu cet article, Sabine se cacha pour pleurer. Pleurer l’envie qu’elle avait d’aimer et la honte qu’elle en éprouvait, cette salissure possiblement liée au sentiment, au couple, à la sexualité. L’amour était un scandale, et elle voulait que ça lui arrive. »

Sabine se met alors à rêver plus fortement de Paris, à ses rues pavées, à ses métros et ses théâtres. Mais plus tard, que lui restera-t-il de ce rendez-vous vespéral alors qu’elle connaît la rupture avec ses parents, et les déboires d’une vie faite de difficultés et de désillusions ?

Mariette

Mariette est une jeune fille fragile et asmathique qui voit dans les silences la plus belle des musiques. Lorsque ses sœurs partent pour Paris, elle souffre de ce départ mais également des fissures qui se creusent de plus en plus dans le couple que forme ses parents. Le monde qu’elle avait alors imaginé dans son « cahier des bonheurs » se transforme en « cahiers des malheurs ». Dès lors, il lui faudra apprendre à composer entre ses rêves et la réalité.

Mariette est un rayon de soleil qui traverse le livre de toute part.

Agnès


« Quelque chose en elle venait de se réveiller, qu’elle n’avait plus ressenti depuis son adolescence. Une envie de vivre si violente qu’elle en avait mal au cœur. »

Comme après plusieurs décennies passées dans le coma, c’est en écoutant Simone Veil qu’Agnès se réveille. L’ère où la femme restait à la maison pour s’occuper des enfants est terminée : aujourd’hui, Agnès allait travailler.

« Elle rit lorsque Bruno lui dit qu’il y a dix ans il aurait fait jouer ses droits de mari et le lui aurait interdit, et elle enfonça le clou : elle allait ouvrir un compte en banque à son nom. »


Mais elle n’est pas seulement cette mère qui commence à vivre sa jeunesse à quarante et un ans, elle est avant tout cette femme lourde de secrets qui, jamais partagés, l’empoisonneront petit à petit.

Agnès est un personnage très fort, ce cri de femme et de maman seule, abandonnée, incomprise, perdue et qui ne sait comment demander de l’aide. L’histoire d’une femme qui avoue sa vie vaincue par la religion mais qui ne lui laissera pas le dernier mot.

« Les slogans, les revendications, les pavés lancés et les poings levés, Bruno les avait condamnés, mais Agnès les avait parfois compris. Cette envie de voir plus loin et par soi-même. Elle sentait courir le sang dans ses veines, elle sentait monter jusqu’à sa poitrine ce rythme sourd, cette invitation à se délester de tous ces tabous qui étaient depuis toujours les ornières si lourdes de son existence. »

Pour cette rentrée littéraire 2020, Véronique Olmi sort une très belle chronique familiale sur la place des femmes, chamboulée par la société et ses mutations. À ne pas rater !

« Ils étaient restés tous les trois à se regarder, comme s’ils se découvraient. Quelque chose venait de les prendre ensemble, brutalement, de les réunir. Ainsi, ils avaient beau s’éviter, il y avait en eux la mémoire de l’autre, père, mère, sœur, fille, c’était inscrit, et il suffisait que le téléphone sonne et qu’il y ait une annonce pour qu’à leur insu chacun soit projeté dans une famille dont il se croyait affranchi. »

Parution le 19 août 2020 – 512 pages

Les Évasions particulières, Véronique Olmi (Albin Michel) sur Fnac.com

Copyright visuel : photographie de Marianne Rosenstiehl

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