Avec Les Amazones, Jim Fergus achève sa trilogie Mille femmes blanches. Rencontre avec l’auteur américain, invité du Salon Fnac Livres 2019. Où l’on parle premiers écrits, visions de la littérature, lectures de chevet et routine d’écriture. Une entrevue qui souligne les différences entre la réception littéraire en Europe et l’accueil des écrivains aux États-Unis.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
Jim Fergus : J’écris depuis toujours, depuis que je suis enfant. J’écrivais sur des personnes que je connaissais, sur des amis, sur ma famille qui était un peu difficile et j’en faisais des nouvelles. Tout jeune, je savais que je voulais être écrivain et puis, à 15 ans, j’ai écrit mon premier roman qui n’a jamais été publié… heureusement car il était bon pour le feu !
Quel souvenir gardez-vous de votre première publication ?
Mon premier livre est Espaces sauvages, un peu dans la tradition du American Road Book. J’ai fait un voyage à travers les États-Unis pendant 5 mois, dans une sorte de camping-car où je chassais avec des amis et mon labrador. Tous les soirs, j’écrivais ce qui se passait pendant la journée et en rentrant dans mon petit chalet dans le Colorado du Nord, en février, le bouquin s’est écrit. C’était une expérience que je n’avais jamais eu et après ça je me suis dis « ce n’est pas si difficile après tout ! Maintenant je vais écrire un roman. » Je recherche toujours à revivre cette expérience, mais je ne la trouve jamais. La sortie de ce premier livre, c’était une expérience magique.
Comment germe l’idée d’un roman ? Comment l’idée arrive-t-elle ?
Je n’ai pas de bonne réponse parce que parfois ça arrive au milieu de la nuit. On a une idée, un rêve ou quelque chose qui se passe dans notre vie, qui nous frappe et on se dit « ça c’est une bonne idée ! » J’ai eu l’idée de mon premier roman publié, Mille femmes blanches, alors que j’étais en train de faire des recherches sur le grand chef Little Wolf pour une biographie et je suis tombé sur ce petit fait historique. Je ne pouvais pas laisser de côté cette idée, c’était dans ma tête et j’ai abandonné la biographie pour commencer à écrire le roman. Pour moi, c’est un peu par hasard que ça arrive.
Quelle est, selon vous, la place de la littérature dans la société d’aujourd’hui ?
Les écrivains aux États-Unis ont autrefois eu une voix forte. De nos jours, la littérature diminue dans l’estime des américains. On a beaucoup moins de lecteurs et de lectrices maintenant. Ce sont les lectrices qui gardent un peu le feu. C’est à 85 % elles qui achètent des bouquins, que se soit pour elle ou pour leur mari. À mon avis, la littérature et les écrivains n’ont pas une grande position dans la société américaine. Moi, par exemple, je suis complètement inconnu aux États-Unis et ça me va parce que je suis un homme assez solitaire. Je ne reçois jamais de critiques dans les journaux et les magazines. Mille femmes blanches s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, au bout de 20 ans. En France, c’est différent, c’est une réalité différente. Je trouve un peu bizarre de venir ici, mais je dois dire que je suis très reconnaissant aux Français et surtout aux lectrices qui me soutiennent.
Quel est votre premier souvenir de lecture ?
C’est difficile à dire… Je dirais que c’est le roman L’Appel de la forêt de Jack London que j’ai lu très jeune. Je n’étais pas un très bon élève, mais j’étais un peu précoce avec la lecture. Ma mère était alcoolique et s’est suicidée quand j’avais 16 ans : quand j’étais petit, j’ai trouvé dans les livres et surtout dans les romans un moyen d’échapper un peu à la vie. Je lisais sous ma couverture ou dans ma petite cave avec ma chienne et une torche. J’ai adoré Jack London, il était pour moi un apaisement dans mon enfance un peu difficile.
Si vous pouviez être un personnage de roman, qui seriez-vous ?
Je n’ai jamais eu envie d’être quelqu’un d’autre que moi-même.
Quel est votre auteur culte ?
Je dirais que c’est mon ami de longue date, Jim Harrison. Il est décédé il y a trois ans maintenant… J’adorais Jim, on était très amis, c’était un génie. Certes, à la fin de sa vie, ses livres n’étaient pas comme autrefois mais c’était un grand écrivain avec un très grand esprit. J’ai beaucoup appris de lui.
Avez-vous un conseil de lecture pour quelqu’un qui ne lit pas du tout ?
Mon conseil c’est de commencer à lire ! J’ai conscience des gens qui disent qu’ils n’aiment pas lire et on ne peut pas vraiment leur donner des conseils. On peut simplement leur dire « essaie de lire quelque chose ». Mais les jeunes ont la tête dans la télévision, dans les portables, c’est là où ils écrivent et lisent. Les phrases et les tweets, ce n’est pas comme un roman. Et maintenant on a un président qui gère toute la nation avec ses tweets… C’est affreux, c’est terrifiant !
Avez-vous une citation préférée ? Une phrase qui vous reste en tête ?
J’ai toujours eu une citation de Flaubert à côté de mon bureau. Elle vient d’une lettre qu’il a écrit : « N’importe, bien ou mal, c’est une délicieuse chose que d’écrire, que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. Aujourd’hui, par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt par une après-midi d’automne sous des feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’on se disait et le soleil rouge qui faisait s’entre-fermer leurs paupières noyées d’amour. »
Pour moi, c’est ça l’écriture, une façon de s’échapper dans un monde qui est celui que vous avez créé et avec des personnages qui deviennent plus réels que n’importe qui. J’aime bien me plonger dans mes livres, devenir ces personnages et vivre avec eux quotidiennement. C’est notamment pour cela que j’essaie d’éviter le monde moderne quand je suis en train d’écrire un roman, je ne veux pas être pris dans l’actualité et les nouvelles politiques. Je veux être en pleine nature, tout seul avec mes chiens et mon livre, c’est pourquoi je prends souvent ma caravane pour aller dans un endroit un peu perdu pour écrire. L’écriture dure deux/trois ans mais c’est là où j’aime bien vivre…. je ne suis pas de très bonne compagnie, je dois dire.
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Photo : Stephen Collector