Grande voix de la littérature afro-américaine, Toni Morrison, Prix Nobel de littérature 1993, s’est éteinte hier à l’âge de 88 ans. Universitaire devenue femme de lettres engagée, elle aura tout autant marqué l’histoire de son art que la société grâce à ses romans mais aussi ses essais.
Un grand esprit
De son vrai nom Chloe Anthony Wofford, Toni Morrison naît à Lorain dans l’Ohio en 1931, et grandit dans le contexte de la ségrégation raciale. Elle fait ses études de lettres dans l’université Howard, surnommée « black Harvard », à Washington, avant de rejoindre l’université Cornell, où elle soutint sa thèse sur le thème du suicide chez Virginia Woolf et William Faulkner. Spécialiste en littérature afro-américaine, elle a notamment travaillé pour l’éditeur Random House, menant en parallèle une carrière d’enseignante. Son premier roman, L’Œil le plus bleu, paraît en 1970. Toni Morrison y dépeint le parcours d’une petite fille noire abusée et le rapport compliqué de la communauté afro-américaine vis-à-vis de l’identité. Cette problématique va dès lors traverser son œuvre, dans des récits poignants comme Sula ou Home.
Une aura internationale
C’est à la charnière des années 1970-1980 que Toni Morrison rencontre le succès, d’abord avec Le Chant de Salomon puis Tar Baby, deux livres dans lesquelles les personnages partent en quête de leurs racines culturelles africaines pour contrer les violences racistes de leurs milieux. En 1987 paraît Beloved, récompensé du prix Pulitzer, qui sera ensuite adapté au cinéma. Cette histoire d’une esclave noire ayant tué ses enfants pour ne pas les voir eux aussi exploités et qui constate le retour de l’un d’entre eux fait définitivement entrer le style Morrison dans la culture américaine. Oralité, réalisme magique et interrogation profonde marquent un roman auquel succède Jazz, roman historique situé à Harlem. Elle réalise en parallèle un travail de sociologie (elle s’est d’ailleurs entretenue avec Pierre Bourdieu pour la revue Vacarme) dans les essais Playing in the Dark ou Race in Justice, en analysant avec toujours plus d’acuité comment l’histoire et la mémoire du peuple noir ont généré une construction sociale et des représentations très particulières. Prix Nobel de littérature en 1993 pour son « art romanesque » qui « brosse un tableau vivant d’une face essentielle de la réalité américaine », comme le déclare l’académie suédoise, elle a continué jusqu’à la fin de sa vie à se servir de fictions expressives et imaginatives pour défendre son esthétique, comme le prouvent Délivrances, Love ou Un don.
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