Critique

Dans un Paris insurgé, Hervé Le Corre nous glisse dans l’ombre du brasier

12 février 2019
Par Sébastien Thomas-Calleja
Dans un Paris insurgé, Hervé Le Corre nous glisse dans l’ombre du brasier

En 1871, la Commune fait feu de tous les espoirs pour les laissés-pour-compte de Paris. Du jeudi 18 au dimanche 28 mai, c’est une galerie de personnages enflammés d’une révolte exaltée que nous suivrons dans ce roman passionnant, relatant avec une acuité romanesque rare les dernières braises de ces journées d’espérance.

La flambée révolutionnaire 

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Après sa défaite contre l’Empire allemand, la France est à bout de souffle. La chute du Second Empire ne suffisant pas, c’est un Paris assiégé qui sort de ce conflit humiliant. Affamée et blessée au cœur, il suffira d’une étincelle de subversion pour raviver la capitale française à la lumière des espoirs des plus démunis. Le gouvernement officiel s’exile à Versailles, protégé derrière les luxes du palais. 

Avec de nombreuses expériences politiques à l’appui – socialistes, communistes, ou anarchistes – Paris s’enflamme à la lueur de nouvelles espérances. La Commune de Paris est instituée le 18 mars 1871. L’organisation municipale est centralisée autour du Comité de Salut public. La Garde nationale en sera le bras armé. Nicolas Bellec du 105e régiment sera le héros de cette épopée. Caroline, sa fiancée, est ambulancière, et les blessés affluent dans la capitale isolée entre l’armée prussienne, à l’Est, et le gouvernement légaliste, à l’Ouest. L’artillerie versaillaise canarde et souffle sur les braises d’une répression qui s’annonce incendiaire. 

C’est dans cette ville révoltée que se met en place l’intrigue du nouveau roman d’Hervé Le Corre, maître du roman noir français, qui nous offre ici un polar historique saisissant par son intense vérité. 

L’ardeur de la passion 

Dans ce Paris insurgé, les espoirs les plus fous peuvent se libérer, mais les instincts les plus vils, aussi, se déchaîner. 

La photographie n’en est encore qu’à ses balbutiements, son intérêt artistique étant à peine esquissé, elle se résume pour l’instant à une fonction utilitaire voire commerciale : un marché de l’information s’organise en effet autour de prises de vue sensationnalistes visant à remplacer peu à peu les gravures illustrant les quotidiens de l’époque, mais aussi un marché des vices destiné aux bourgeois suffisamment fortunés pour se payer des clichés pornographiques vendus à prix d’or. 

Dans ce Paris mouvementé, des filles disparaissent pour être exploitées. Droguées au laudanum, elles deviennent les pantins des perversions de certains.  

Car ce roman noir est aussi le théâtre d’une véritable enquête policière : Antoine Roques à sa tête, élu « délégué à la sûreté », poste nouvellement institué par la Commune, dans le dédale des rues bombardées par les canons de Versailles, entre deux immenses barricades, montées le plus souvent à la hâte, sans logique véritable. 

Caroline a disparue. On l’a vue se faire enlever à bord d’un fiacre, dans l’indifférence générale et l’impunité de ces tortionnaires, livrée comme les autres filles à la torture et à leurs plus bas instincts. 

Car si l’ardeur des sentiments de Nicolas pour sa promise est intacte, entre la menace versaillaise qui se fait de plus en plus pesante et les agissements pervers de rapaces qui profitent de la situation, la fatalité envahit les rues de Paris et le cœur de ses habitants. 

La flamme de l’espoir 

« Ce n’est pas le courage qui manque, mais quelques ordres logiques et un peu d’organisation ». On a beau entonner « La Marseillaise », ce chant révolutionnaire avant d’être hymne national, face à une armée de métier disciplinée, la population sait que ces « barricades de carton-pâte » ne tiendront guère de temps, une fois libéré le torrent « de fer et de feu » qui ne manquera de l’emporter. 

Ils ont fait un rêve et voulu le réaliser. Un rêve d’émancipation pour tous les laissés-pour-compte de l’humanité, pour les travailleurs, pour toutes les femmes, avec notamment le rôle prépondérant de Louise Michel que l’on aperçoit dans ce récit enlevé : « Balayer les vieilles servitudes » et « sentir battre le cœur de toutes les espérances ». 

Mais quand le brasier s’enflamme, les « heures volées à la fatigue et au désespoir » partent en fumée. Cette « parenthèse inespérée » se colore alors d’un rouge qui n’est plus celui de la révolte mais celui du sang. 

La « Semaine sanglante » – c’est ainsi que l’Histoire la nommera – opposera 130 000 versaillais à 30 000 communards en arme. La répression de ce qui fut pour certains « cette grande espérance » fera des dizaines de milliers de morts du côté des insurgés. 

C’est le cadre historique de ce roman noir et rouge que nous offre ici l’auteur, dans la même veine que L’homme aux lèvres de saphir, dont on retrouve ici un personnage. Après Prendre les loups pour des chiens ou Après la guerre, Hervé Le Corre s’impose comme un des plus talentueux de nos écrivains contemporains. Il réussit avec brio la gageure de réunir esprit romanesque et idéaux d’espérance, le tout dans un contexte historique parfaitement reconstitué.  

À lire ardemment et passionnément ! 

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Parution le 2 janvier 2019 – 491 pages 

Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre (Rivages) sur Fnac.com 

Photo d’illustration © ractapopulous 

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Article rédigé par
Sébastien Thomas-Calleja
Sébastien Thomas-Calleja
Libraire à Fnac Bercy
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