Le photographe et cinéaste Raymond Depardon expose jusqu’au 24 avril 2022 au Pavillon Populaire de Montpellier. Communes met en lumière les villes occitanes qui s’étaient opposées, il y a dix ans, à l’autorisation d’exploitation du gaz de schiste dans leur sol. Pour Depardon, c’est à nouveau l’art au service de la ruralité.
Certains artistes représentent une campagne misérable, infantilisée, pittoresque. Mais il y a Raymond Depardon. La Fondation Cartier vient de publier une série de 80 photos reprises pour l’exposition Communes qui se tient actuellement au Pavillon populaire de Montpellier. Elle retrace le passage de l’artiste dans dix villes occitanes en proie à l’exploitation gazière. En 2010, le ministère de la Transition écologique accorde à une entreprise texane le droit d’exploiter les sols de plus de 280 communes et de leur demi-million d’habitants : le « Permis de Nant ». Mais les mouvements citoyens de gauche et écologistes ont raison de l’industrie américaine : le projet est abrogé.
À l’issue du premier confinement, au printemps 2020, le photographe et fils d’agriculteur Raymond Depardon décide de reprendre la route de la campagne pour immortaliser dans un essai photographique dix communes parmi les 280 concernées.
Photographe sur la pointe des pieds
Raymond Depardon déploie ainsi dans le pavillon montpellierain une série de 80 clichés noir et blanc. De l’Hérault au Gard en passant par l’Aveyron, une ligne de tranquillité se dessine au travers des photographies, dépourvues de sujets. Pas même l’ombre d’un chat. L’artiste est parvenu à rendre en images le silence de ces villages. Ici, du linge qui pend sur un fil, là une camionnette arrêtée depuis une éternité. Plus loin, la devanture d’une boulangerie fermée. Raymond Depardon donne à voir un pays apaisé où l’on peine à imaginer que la colère a grondé à en faire déguerpir une entreprise américaine.
Entre les photos, le matériel de l’artiste est exposé, lui aussi. On découvre ses carnets de notes, des cartes de France épinglées, une vieille sacoche en cuir pour transporter son appareil. Raymond Depardon semble avoir travaillé sur la pointe des pieds, dans le respect des lieux photographiés et de leurs habitants.
Retour sur terre(s)
Ce travail sur la ruralité confirme la tendresse que le photographe éprouve pour ces territoires. Figer la campagne n’est pas un exercice nouveau pour lui. Avant Communes, Raymond Depardon s’était déjà illustré avec Profils Paysans (I et II) mais aussi dans l’incroyable film documentaire La Vie moderne, qui s’immisce dans les cuisines des agriculteurs pour en montrer le quotidien dur, amer, désenchanté.
Mais le photojournaliste mettra du temps à retourner sur les lieux de son enfance : la campagne. Ce fils d’agriculteurs a grandi à la ferme du Garet à Villefranche-sur-Saône, avant de parcourir le monde pour couvrir autant d’événements que la guerre du Vietnam ou l’indépendance algérienne. Il découvre la ruralité par le travail de Walter Evans et Dorothea Lange, incontournables du courant humaniste de la photographie. Dans une interview diffusée au Pavillon Populaire et réalisée par la Fondation Cartier, le photographe raconte cette transition : « J’ai appris à faire des photos pour moi, et non pas pour des journaux. »
Dans les années 1990, la curiosité le pousse des Ardennes jusqu’au Massif central pour faire un film. Convaincu qu’il existe encore une ruralité, il découvre « des gens incroyables ». Il écoute, observe, s’imprègne. « On ne rentre pas dans une ferme n’importe comment », se souvient-il. À force de persévérance, il passe par le facteur, le maire, le voisin et finit par pénétrer le quotidien paysan. Il a « beau raconter que j’étais fils d’agriculteurs », la méfiance est au rendez-vous chez les habitants de Dordogne, de Lozère ou encore d’Ariège. Lentement, l’artiste les habitue à sa présence et à celle de son appareil photo, dont il tirera des instantanés bouleversants d’intimité et de pudeur.
La photographie politique
Ce travail donnera lieu à trois documentaires, Profils paysans I et II, puis La Vie moderne. Cette attitude sur le temps long, ce respect de l’autre, ce regard amoureux pour la ruralité se retrouvent aussi bien dans ces films que dans les essais Communes (Fondation Cartier, 2021) ou encore Rural, livre de photographies paru en 2020.
Les retrouvailles avec la campagne secouent l’artiste. Il se rappelle les discussions avec les paysans qui tiraient la sonnette d’alarme… dès 1990. « Ils disaient, on va dans le mur là », raconte-t-il. Pour eux, il était déjà question de décroissance et d’écologie, des concepts qui mettront pourtant des années à remonter jusque dans les grandes villes.
Par son travail, Raymond Depardon démontre l’intelligence de la vie rurale, l’avant-gardisme écologique et l’humilité de cette France-là. Il honore la promesse d’une photographie touchante sans être niaise, une photographie intime et extrêmement politique.