Entretien

Last Train : “Nous sommes de plus en plus fusionnels”

08 avril 2022
Par Pauline Weiss
Last Train : “Nous sommes de plus en plus fusionnels”
©Christophe Crénel

Après une pause forcée de deux ans, le groupe de rock Last Train revient en beauté avec le single How Did We Get There ?, qu’ils ont eux-mêmes produit et réalisé. Le morceau de 18 minutes, accompagné d’un court-métrage, confirme les liens qui unissent les Alsaciens au cinéma. Rencontre.

L’histoire de Last Train a commencé il y a plus de dix ans, à Altkirch, près de Mulhouse. Depuis, le groupe de rock, désormais installé à Lyon, s’est construit avec l’exigence et l’amour de la scène comme mots d’ordre. Après deux EP et deux albums – Weathering (2017) et The Big Picture (2019) –, ils ont dévoilé en mars dernier un projet singulier. How Did We Get There ? est un morceau de 18 minutes accompagné d’un court-métrage en guise de clip, réalisé par le guitariste Julien Peultier et uniquement disponible sur leur site.

Plus que jamais indépendants, Jean-Noël Scherrer (guitare et chant), Julien Peultier (guitare), Timothée Gerard (basse) et Antoine Baschung (batterie) ont enfin foulé la scène de L’Olympia le 22 mars – le concert devait initialement avoir lieu fin 2020, mais a été reporté à deux reprises. Nous avons rencontré Jean-Noël Scherrer et Julien Peultier la veille de leur concert.

Revenons en arrière. En mars 2020, vous avez été stoppés en pleine tournée, alors que vous défendiez votre deuxième album. Comment l’avez-vous vécu et comment ça va aujourd’hui ?

Jean-Noël Scherrer : Avec le recul, nous ne l’avons pas si mal vécu. Le constat est plutôt positif. Nous avons essayé de prendre le contre-pied en gardant le positif, en se disant que c’était du temps pour nous, parce que nous n’en avons jamais. Nous en avons donc profité pour écrire et mettre en boîte une idée que nous avions depuis longtemps.

Depuis le début de la pandémie, il s’est passé pas mal de choses pour vous. Vous avez notamment quitté votre label. Quel est le fonctionnement de Last Train aujourd’hui ?

J.-N. S. : Nous sommes en indépendance totale. L’idée est de ne dépendre d’aucun financeur – dans la musique, ce sont surtout les maisons de disque, les producteurs de tournées et éventuellement les éditeurs – et, pour nous, il n’y a plus personne. Nous faisons tout seuls : les éditions, la production phonographique, la production de tournée…

Vous venez de sortir un morceau de 18 minutes, How Did We Get There ?. Pourquoi un tel choix à l’heure où il est d’usage de dire que plus personne n’a le temps de rien ?

J.-N. S. : C’est une invitation à prendre le temps, d’abord pour nous-mêmes, parce que nous avons toujours apprécié ce genre de format et le faisons naturellement. Le premier titre composé sur ce format-là était Fire (2015). Depuis le début, nous avons fait tout ce qu’il ne fallait pas faire pour potentiellement rencontrer un succès et là, nous l’avons compilé dans un seul et unique titre. Au-delà d’un acte militant, c’est un luxe que nous nous accordons parce que nous nous y sentons bien. Nous nous demandions si notre public pouvait aussi potentiellement s’y sentir bien. Et les retours sont très positifs, c’est un signe d’espoir. Certains médias et certaines plateformes de streaming nous mettent en avant. Cela veut dire que ce n’est pas si impossible de prendre le temps…

À l’écoute, on ressent un côté assez mystérieux, de multiples possibilités d’interprétation. Que souhaitiez-vous raconter dans How Did We Get There ? ?

J.-N. S. : L’écriture a eu lieu pendant le confinement. Je m’en rends compte grâce aux retours que nous avons, mais c’est vrai qu’il y a un côté plus dénonciateur et plus universel par rapport à ce qu’a été l’écriture de Last Train jusqu’à présent, qui était plus introspective et personnelle. Mais cela n’a rien à voir avec le confinement, c’est plutôt un constat de jeunes garçons qui ont grandi, découvrent d’autres aspects de la vie, la nuance et le recul. C’est aussi la première fois que j’ai aimé écrire une chanson. J’aime les mélodies, mais pas mettre des mots sur une chanson. Il n’y a pas de morale particulière, c’est une invitation à prendre le temps et à se poser une question.

Comment s’est construit le projet ? Avez-vous d’abord composé la musique avant de penser au court-métrage ?

J.-N. Scherrer : Nous sommes d’abord partis du titre. Je l’avais en tête depuis longtemps et cette pause imposée nous a donné l’opportunité de le faire. Il y a aussi ce qu’il s’est passé avec notre label [En décembre 2020, Last Train, comme d’autres groupes, a quitté le label strasbourgeois Deaf Rock, alors que son patron était mis en cause dans plusieurs affaires d’agressions sexuelles. Les plaintes ont été classées sans suite par le parquet de Strasbourg, fin 2021, ndlr]. Cela nous a permis de prendre notre indépendance et de le matérialiser. Il fallait produire quelque chose assez rapidement par nous-mêmes et prendre nos distances. Ensuite, nous nous sommes interrogés sur la manière dont les gens allaient recevoir le titre. Nous ne voulions pas de course aux likes, aux commentaires. Si tu veux voir le clip, c’est sur notre site, et nulle part ailleurs.

Et le cinéma nous parle beaucoup. L’idée était de faire une œuvre complète réunissant le son et l’image. Certains parlent de nouveau titre et de clip, d’autres d’un court-métrage avec une bande-son. Nous l’avons écrit tous les quatre. Avec les garçons, nous sommes de plus en plus fusionnels. Plus le temps passe, plus nous faisons les choses ensemble. Nous débutons toujours les projets à quatre, et ensuite, quand quelqu’un a plus d’affinité avec une discipline, il prend le lead.

Julien Peultier : En effet, c’est moi qui me suis emparé du projet du court-métrage. Beaucoup de choses se sont démêlées au moment du tournage, grâce à l’acteur Khaled Rahmouni. Il fallait un personnage principal auquel les gens puissent se rattacher, bien qu’il soit complètement fou.

Comment s’est passé le tournage ?

J.-N. S. : Chaotique ! [Rires] Parce que nous faisons tout seuls et donc, il y a eu des difficultés.

J. P. : J’ai fait une vingtaine de clips, donc je commence à avoir l’habitude des tournages. En général, je travaille seul avec ma petite caméra et beaucoup de choses me viennent pendant le tournage. Là, il y avait une équipe. C’était un entre-deux, avec des caméras de cinéma, un chef opérateur, une assistante réal… Mais il manquait un peu de monde et d’organisation. C’était une improvisation constante. Nous étions dépendants de la météo, parce que je voulais que le court-métrage se passe sur une journée. On a tourné en Alsace pendant environ une semaine. Quand j’y réfléchis, j’ai l’impression que c’était un rêve.

Julien réalise désormais tous les clips de Last Train. Il y a aussi eu un documentaire, sorti l’année dernière. Peut-on s’attendre à des projets plus cinématographiques ?

J. P. : J’ai toujours eu envie de faire du cinéma. Je me suis rendu compte que faire un court-métrage et travailler dans le cinéma demande autre chose que la réalisation d’un clip. How Did We Get There ? est une première pierre à l’édifice. Last Train tend de plus en plus à quelque chose de cinématographique à travers la musique.

J.-N. S. : Nous avons un nouveau projet en tête pour les années à venir, avec l’idée de renforcer le lien entre Last Train et le cinéma, mais pas forcément par l’image.

Quelle est votre dernière claque cinématographique ? Film ou série ?

J. P. : Les Olympiades, de Jacques Audiard ! J’aime beaucoup l’esthétique noir et blanc, qui apporte quelque chose de différent. J’ai été fasciné par l’œil d’Audiard sur cette génération. C’est très juste et très moderne.

J.-N. S. : Le dernier film que j’ai vu au cinéma est The Batman, que j’ai trouvé plutôt cool, mais avec une vingtaine de minutes en trop. Par contre, Michael Giacchino, qui fait la bande-son, offre une véritable leçon ! En décembre, j’ai découvert la série The Leftovers : une vraie claque. Là, j’ai commencé Euphoria, comme tout le monde en parle, et qui a l’air d’être une sacrée leçon de cinéma, de photo, de cadrage.

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