Critique

En même temps : les opposés « satire »

06 avril 2022
Par Lisa Muratore
Jonathan Cohen et Vincent Macaigne dans En même temps.
Jonathan Cohen et Vincent Macaigne dans En même temps. ©Chloe Carbonel

Après avoir dénoncé l’impact des nouvelles technologies dans Effacer l’historique (2020), Gustave Kervern et Benoît Delépine sont de retour avec En même temps, une comédie décapante portée par Jonathan Cohen et Vincent Macaigne.

Et si les clivages politiques pouvaient se régler à coup de glu ? C’est sur cette surprenante interrogation que s’ouvre la dernière création de Gustave Kervern et Benoît Delépine, En même temps. Pour leur 10e collaboration, les cinéastes dévoilés dans l’émission Groland (Canal+) ont en effet choisi de raconter l’histoire absurde d’un maire de droite – décomplexée ! – et de son confrère écologiste, collés l’un derrière l’autre contre leur gré, après une soirée un peu trop arrosée.

Des personnages grotesques

Un pitch à l’image de ses co-scénaristes, donc, qui signent après Mammuth (2010), I Feel Good (2018) ou plus récemment Effacer l’Historique (2020), un long-métrage lourd de sens. Pour se glisser dans la peau de ces deux figures politiques, les réalisateurs ont choisi Jonathan Cohen et Vincent Macaigne. Le premier enfile le costume taillé sur mesure de Didier Bequet, personnification d’une droite raciste et corrompue, tandis que le second incarne Pascal Molitor, qui catalyse les clichés d’une gauche moralisatrice.

Et si tout oppose ces personnages, l’alchimie entre leurs interprètes est en revanche très convaincante. Habitué aux comédies loufoques, Jonathan Cohen se glisse avec conviction dans son rôle, sans toutefois tomber dans le piège du surdosage qu’on lui reprochait dans La Flamme (Canal +, 2020) ou dans la dernière saison de Family Business (Netflix, 2021). Quant à Vincent Macaigne, il parvient à séduire grâce à une sensibilité naïve, et à un manque de charisme ultra-grotesque.

Mais le véritable grain de folie d’En même temps repose surtout sur le trio d’activistes composé d’India Hair, de l’humoriste Doully et de Jehnny Beth. Les trois femmes incarnent un groupe féministe attachant et bourré d’énergie, qui donne au film un souffle véritable.

India Hair et Doully font partie du groupe « néo-féministe » dans En même temps. ©Chloe Carbonel

À travers le destin croisé de ces personnages, le film se fait farce et tacle avec cynisme la société contemporaine et ses acteurs. On reconnaît quelques clins d’oeil à Nicolas Sarkozy, Lionel Jospin ou encore au FMI – devenu ici l’acronyme d’un bar à hôtesses – mais En même temps ne se contente pas de s’en prendre aux politiciens. Le long-métrage attaque aussi bien le féminismes et ses contradictions, la bien-pensance écologiste, le racisme, la police, et même les sophrologues. Un seul mot d’ordre réunit cette joyeuse pagaille : l’excès. Sous forme de sketchs – dont le plus hilarant est celui de François Damiens, reconverti pour l’occasion en gérant de diner américain trumpiste au beau milieu de l’Occitanie – Gustave Kervern et Benoît Delépine cherchent à dénoncer l’omniprésence des extrêmes.

L’humour avant tout

À chaque instant, c’est l’humour qui prime – avec une forte appétence pour le comique de répétition, comme le montre l’utilisation à rallonge du langage inclusif par les féministes, l’entêtement écologiste de Pascal Molitor ou encore l’obsession de Didier pour l’insécurité et le fameux « grand remplacement ». Si les cinéastes montrent qu’ils ont de l’esprit, l’humour potache façon Groland reste ainsi constitutif de leur identité et de leur mise en scène.

Loin d’être manichéen et d’opposer un gentil écologiste à une brute de droite, le long-métrage charge au contraire dans tous les sens. Il moque l’envie de satisfaire tout le monde et l’impossibilité qui en résulte de faire des choix politiques décisifs. En même temps prend ainsi la forme d’une fuite en avant de ses personnages – une fuite qui a des airs de road trip, et qui fait écho à la filmographie des deux réalisateurs.

Si on apprécie la fraîcheur du ton, la magie du duo formé par Jonathan Cohen et Vincent Macaigne, et l’énergie des militantes féministes, le film s’embourbe parfois dans ses longueurs et se laisse aller à quelques confusions dommageables, à quelques jours du premier tour des élections présidentielles.

En même temps, de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Avec Jonathan Cohen, Vincent Macaigne et India Hair. 1h48. En salle le 06/04/2022.

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Lisa Muratore
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