Décryptage

Revival des séries cultes des années 2000 : l’industrie de la nostalgie déferle sur les millennials

01 avril 2022
Par Héloïse Decarre
Les sorcières de la série “Charmed” ont marqué les spectateurs des années 2000 durant huit saisons.
Les sorcières de la série “Charmed” ont marqué les spectateurs des années 2000 durant huit saisons. ©The WB

À grand coups de reboots et autres remakes, l’univers des séries n’en finit plus de se tourner vers le passé. Ces dernières années, c’est la génération des années 1990-2000 qui retrouve ses programmes cultes sur les écrans. Et même si le sujet a tendance à diviser les fans, une chose est certaine : la nostalgie, ça fait vendre.

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures. Un adage qui fonctionne peut-être en matière de cuisine, mais qui reste à prouver quand on l’applique aux séries. Charmed, Les Nouvelles Aventures de Sabrina, How I Met Your Father… Depuis quelques années, les séries des années 1990 et 2000 font leur retour les unes après les autres, avec plus ou moins de réussite. Et ce n’est pas fini. Bientôt, c’est la très culte Un, Dos, Tres, originellement diffusée entre 2002 et 2005, qui devrait réinvestir les écrans, avec quelques changements.

Des productions plus ou moins fidèles aux programmes d’origine

Parce qu’en effet, le principe du reboot, c’est qu’il prend de la liberté avec la série originale. C’est peut-être pour ça qu’il est préféré au remake, qui reprend la même histoire. C’est le cas de Skins US (2011), qui calque le scénario de la série britannique Skins (2007). L’histoire est identique, on suit la vie d’une bande de jeunes. Seule différence : ils ne sont plus britanniques, mais américains. Là où le remake apporte peu de nouveautés, « le reboot essaie de repartir de zéro, ce qui permet d’avoir plus de marge de manœuvre et de créativité », explique Mehdi Achouche, maître de conférences en études cinématographiques anglophones à l’université Sorbonne Paris Nord.

En partant d’un univers connu et reconnu, les showrunners peuvent ainsi justifier son retour par des changements plus ou moins prononcés. Dans certains reboots, les évolutions sont surtout narratives : l’époque est différente, des personnages sont modifiés ou ajoutés… Par exemple, le reboot de Charmed (2018) débute alors que les sœurs-sorcières viennent de perdre leur mère, là où elles ont vécu sans elle depuis leur enfance dans la série originale de 1998. Autre changement notable : les sœurs du reboot sont afro-hispaniques, alors que les sœurs Halliwell étaient blanches. « Mais il y aussi [des] séries qui sont qualifiées de reboot parce qu’on a changé le style suffisamment pour avoir l’impression que c’est autre chose », complète Mehdi Achouche.

Dans le reboot de Charmed en 2018, les trois sœurs, encore plus féministes que leurs alter ego de 1998 ne sont plus caucasiennes mais afro-hispaniques.©CW

Dans Les Nouvelles Aventures de Sabrina (2018), l’apprentie sorcière évolue en effet dans un univers à l’esthétique beaucoup plus sombre et gothique que celui de Sabrina, l’apprentie sorcière (1996). Des références sexuelles (on y voit rien de moins qu’une scène de plaisir charnel collectif lors de la fête des Lupercales, la Saint-Valentin des sorcières) et sataniques (statuts et prières à Baphomet) y sont légion. La série originale, déjà adaptée du comic du même nom, restait fidèle à cette veine moins horrifique. Dans la bande dessinée, par exemple, Sabrina a été créée par ses deux tantes, Hilda et Zelda, qui ont fait une erreur en mettant au point une potion. Dans la série de 2018, elle est le fruit d’un amour interdit et fatal entre un sorcier et une humaine.

Produire plus, risquer moins

Reboots ou remakes, les changements sont bien présents, mais souvent loin d’être drastiques. Alors, comment expliquer cette multiplication des revivals ? Scénaristes et réalisateurs sont-ils devenus paresseux ? Manquent-ils d’imagination ?

Pour Mehdi Achouche, l’explication est d’abord économique : « Maintenant qu’il y a beaucoup de plateformes de streaming, les producteurs ont besoin de produire encore et toujours… Et évidemment, cela coûte beaucoup d’argent », résume-t-il. La solution des professionnels de la série : puiser dans leurs propres catalogues et miser sur des projets dont ils ont déjà les droits.

La Sabrina Spellman en 1996 évoluait dans un environnement beaucoup moins sombre et gothique que la Sabrina Spellman de 2018.©Hartbreak Productions - Viacom Productions / Netflix

Des économies sur les droits donc, mais pas seulement. Le budget publicitaire, lui aussi, rapetisse. « La prise de risque est forcément moindre lorsque l’on utilise une franchise qui est déjà connue et reconnue du grand public, ajoute le professeur. Ça simplifie grandement les choses, surtout en termes de marketing ! » Sur Internet et les réseaux sociaux, les communautés de fans deviennent des « marketeurs gratuits », selon les termes de l’universitaire, et communiquent activement sur le retour de leurs personnages préférés.

La nostalgie, un business qui a de l’avenir

Cet intérêt prononcé du fandome est une valeur sûre pour les producteurs. Les fans pourraient se contenter de regarder en boucle les séries d’origine. Mais un autre facteur entre en jeu : celui de la nostalgie. Citant la théorie du post-modernisme, Mehdi Achouche explique que le public a « une passion pour ce qui se faisait avant, parce qu’[il] a l’impression que c’est plus authentique [par rapport] au monde un peu faux » d’aujourd’hui.

Faire du neuf avec du vieux, ce n’est pas une formule nouvelle. Mais elle continue de fonctionner en s’adaptant aux nouvelles générations qui entrent dans l’âge adulte. « Ça existe depuis des années, confirme le professeur. On voit cette “rétromanie” […] depuis les années 1960 ! Il y a un intérêt pour le passé [qui émerge] à mesure que l’avenir se fait moins désirable », observe-t-il. « Autrefois » est souvent mieux et rassurant lorsque l’on atteint l’âge adulte.

Bientôt, le public pourra retrouver certains acteurs de la série originale dans le reboot d’Un,Dos, Tres, UPA Next.©Atresmedia

C’est sans doute pour cela qu’un reboot d’Un, dos, tres est sur le point de naître. Dans UPA Next, les adolescents d’hier pourront retrouver certains visages de la série d’antan, comme Miguel Angel Munoz (Roberto), Monica Cruz (Silvia) et Beatriz Luengo (Lola). Des personnages centraux de la version des années 2000, qui vont forcément faire battre le coeur de fan, qui, comme eux, ont pris quelques années.

La nostalgie des spectateurs et spectatrices est en fait moins dirigée vers la série que pour la vie qu’ils et elles avaient à l’époque de sa diffusion. Et c’est pour cette raison que les séries des années 1990 et 2000 reviennent en force en ce moment. « On arrive 25 ans plus tard, donc [les créateurs] espèrent que les personnes qui sont maintenant adultes vont regarder cette série qu’ils [aimaient] quand ils étaient enfants ou adolescents », assure Mehdi Achouche.

Éviter les foudres des inconditionnels de la première heure tout en attirant de nouvelles générations de fans

Des fans devenus adultes et, pour certains, parents. Les revivals sont donc suivis en famille. L’occasion pour les studios de production d’attirer un nouveau public, qui s’intéressera ensuite aux séries originales. « L’idée, selon Mehdi Achouche, c’est de mettre à jour l’ancien, d’en faire quelque chose de moderne » pour gagner les faveurs des plus jeunes. Un équilibre complexe à trouver, car il faut réussir à réinventer l’univers sans perdre le public d’origine. Un public qui ne laissera pas l’héritage de sa série fétiche être remodelé à la légère. « Il y a des puristes conservateurs, des “ayatollah” de la série d’origine, qui étaient là dès le début et estiment être les plus grands experts », s’amuse Mehdi Achouche.

Et c’est parfois même chez les stars des anciennes versions que la pilule à du mal à passer. Ainsi, Holly Marie Combs, l’actrice incarnant Piper Halliwell dans le premier Charmed, a toujours exprimé sa réticence quant au retour de la série qui l’a rendue célèbre. En réponse au communiqué de la production présentant le reboot comme une version « intense, drôle et féministe de la série originale », elle a répondu qu’elle « ne [comprendrait] jamais ce qu’il y a d’intense, de drôle ou de féministe dans le fait de créer une série qui dit que les actrices originales sont trop âgées pour faire un travail qu’elles faisaient il y a 12 ans ». Ambiance.

Holly Marie Combs était contre un reboot de Charmed.©The WB

De son côté, Rose McGowan, à l’époque dans le rôle de Paige, a dans un premier temps jugé que les actrices de Charmed étaient « irremplaçables », avant de se raviser. Un avis que partagent beaucoup de fans, déçus par la série. L’absence du casting originel semble affecter la magie du reboot, jugé peu dynamique et parfois incohérent. Délicat, donc, pour les producteurs de décider ce qu’il faut changer, ou pas.

Malgré tout, le revival doit avoir une raison d’être. Impossible de justifier son existence si c’est un copier-coller de la série d’antan. « La caractéristique qui revient, note Mehdi Achouche, c’est de faire quelque chose d’un peu moins léger, d’un peu plus adulte, de plus mature et réfléchi pour correspondre aux goûts du public qui a grandi. »

Un risque d’appauvrissement de l’offre culturelle

Qu’ils soient enthousiastes ou pas, les fans seront de toute façon présents, ne serait-ce que dans une démarche critique, assure Mehdi Achouche. « Les gens ont beaucoup d’affection pour les anciennes versions, donc c’est sûr que beaucoup d’entre eux vont au moins, par curiosité, aller voir ce qu’il se passe. » Si le public est présent, ce sera au moins pour le premier épisode.

Dans How I Met Your Father, les rôles changent : ce n’est plus un père qui raconte à ses enfants comment il a rencontré leur mère, mais l’inverse.©Hulu

C’est ainsi qu’aux États-Unis, les audiences de la première saison du reboot de Charmed ont atteint 1,57 million de spectateurs pour ensuite dégringoler à 850 000 lors de la diffusion du dernier épisode. Parce qu’à force, les pratiques narratives se répètent et donnent aux créations un arrière-goût de réchauffé. « Il y a des choses qui commencent à être un peu éculées, un peu trop connues, regrette Mehdi Achouche. Comme changer le genre ou la couleur de peau d’un personnage… Ça arrive très souvent et ça devient banal. »

Trop de reboots tuent le reboot. Et ça aboutit à un appauvrissement de l’offre culturelle, qui pourrait, à terme, manquer de créations originales. « Il faut espérer que Netflix et compagnie [prendront] des risques », conclut Mehdi Achouche.

En tout cas, pour le moment, aucun revival ne permet vraiment de redonner ses lettres de noblesse aux séries des années 1990-2000. Peut-être bientôt ? Les rumeurs se multiplient quant à un possible retour de Buffy contre les vampires, LA série des millenials.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste