Critique

Pour l’amour du phở, de Loan Le : romance et résilience dans un bouillon feel-good

10 mars 2022
Par Stéphanie Chaptal
Pour l’amour du phở, de Loan Le : romance et résilience dans un bouillon feel-good
©DR

Dans un roman adolescent tendre et délicat, Loan Le aborde les sujets difficiles que sont le pardon et le juste équilibre à trouver entre histoire familiale et développement individuel.

Les amours adolescentes impossibles parce que prises entre deux familles rivales font les beaux jours de la littérature, au moins depuis Roméo et Juliette de William Shakespeare. Difficile, donc, de tenir un propos original sur ce thème. Et pourtant, Loan Le y parvient, dans un premier roman qui réchauffe le cœur autant qu’il satisfait l’estomac. S’inspirant de la communauté au sein de laquelle elle a grandi, elle raconte dans Pour l’amour du phở l’idylle naissante entre Bào et Linh, dont les parents tiennent deux restaurants vietnamiens l’un en face de l’autre. La détestation entre les deux familles va bien au-delà de la simple rivalité professionnelle, puisqu’elle remonte aux heures sombres qui les ont poussés à fuir le Vietnam, leur pays d’origine, au moment de l’arrivée au pouvoir des Viet-Cong.

Seconde difficulté pour les adolescents : ils n’envisagent pas du tout une carrière stable et financièrement aisée telle que celle à laquelle les destinent leurs parents, mais veulent embrasser la vie d’artiste. Linh se rêve depuis toujours peintre, tandis que Bào envisage de vivre de sa plume.

C’est fou. On a vraiment vécu des vies parallèles. Cette salle de stockage, ça peut paraître idiot, mais encore aujourd’hui, je m’y sens bien quand je vais y chercher quelque chose. Je me souviens de ces après-midi à dormir sur un matelas tandis qu’il faisait chaud dehors. Je n’étais pas encore à l’école. Un ventilateur rose, en bout de course, me lançait un peu d’air frais. Il y avait un petit dictionnaire, au cas où mes parents auraient eu besoin de vérifier un mot avec un client.

Loan Le
Pour l’amour du phở

Malgré son humour et son apparente légèreté, Loan Le aborde dans son texte une multitude de thèmes complexes. Au premier plan se trouve la vie des « secondes générations », c’est-à-dire des enfants d’immigrés ballotés entre deux cultures, et entre les exigences de leurs parents qui ont souvent eu un parcours difficile et leurs propres aspirations. Si l’autrice a choisi l’exemple de la diaspora vietnamienne – c’est celui qu’elle connaît le mieux –, des problématiques similaires se posent dans les mêmes termes dans de nombreuses autres communautés, y compris dans de menus détails, comme le fait que les enfants ne comprennent que très mal la langue natale de leurs parents, puisqu’ils baignent dans une autre langue au quotidien. Mais ils doivent tout de même souvent servir de traducteurs pour désamorcer des conflits potentiels, avec les clients ou avec l’administration.

Loan Le aborde aussi les questions du racisme, des différentes façons de surmonter les épreuves passées, du choix des souvenirs à transmettre – mais aussi de la gastronomie et de la création artistique. Sans jamais s’appesantir, et en mêlant harmonieusement ces différents éléments dans un récit à deux voix parfaitement maîtrisé, l’autrice livre un roman doux et léger – comme un premier amour.

Pour nous la tristesse fait partie de l’inspiration. Quand les autres préfèrent la garder sous clé pour ne la déverser qu’en certaines occasions, pour nous, elle devient un moyen d’expression. Et c’est la même chose avec toutes les émotions. On les sublime, et ainsi, on peut en accueillir de nouvelles.

Loan Le
Pour l’amour du phở
Pour l’amour du phở, de Loan Le. En librairie depuis le 3 février 2022.

Pour l’amour du phở, de Loan Le, trad. Diane Durocher, Akata, 347 p., 16,99 €. En librairie depuis le 3 février 2022.

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Article rédigé par
Stéphanie Chaptal
Stéphanie Chaptal
Journaliste
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