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Akane Torikai, l’art de sublimer l’horreur de la condition féminine

16 février 2022
Par Stéphanie Chaptal
Akane Torikai, l’art de sublimer l’horreur de la condition féminine
©Akane TORIKAI/SHOGAKUKAN

Ses deux derniers titres, Saturn Return et Sans Préambule, sont récemment sortis en France. Mais qui est Akane Torikai ? Une mangaka au trait lumineux qui dépeint à la perfection le mal-être des femmes et des couples dans une société misogyne où la pression sociale est forte.

Que ce soit pour des nouvelles comme Sans préambule (son nouveau recueil sur le quotidien de lycéennes qui s’interrogent sur leur avenir), des histoires au long cours comme En proie au silence (récit coup de poing sur le viol et la façon dont la misogynie détruit les femmes, mais également les hommes), ou encore des histoires plus intimes comme Saturn Return, Akane Torikai est une mangaka qui ne laisse personne indifférent.

Née en 1981 à Osaka, ville du sud du Japon très commerçante, elle vient sur le tard au dessin en publiant ses premiers textes en 2004, des histoires courtes pour la plupart. Sa renommée explose avec la parution en 2013 des premiers chapitres de sa série En proie au silence.

Sans préambule.©Akata

Sous un trait très doux et avec des personnages fins, des cases très claires et lumineuses, elle raconte de façon extrêmement crue une histoire dure qui prend aux tripes, dans laquelle on suit la destinée de Misuzu, une professeure effacée d’un lycée. Elle doit se remettre d’un viol et reprendre confiance en elle et en sa capacité au bonheur, tout en affrontant son entourage et ses élèves, qu’elle veut aider malgré leur mépris.

La cause des femmes, sans concessions

Cette série en huit tomes est un condensé de ses thématiques favorites jeté à la face de ses lecteurs et de la société dans laquelle elle vit. Misogynie, culte du paraître, besoin d’entrer dans la norme dès le plus jeune âge, incitation à fonder une famille coûte que coûte, violences sexuelles, mal-être adolescent… Tout y passe. Et le succès a été au rendez-vous, puisqu’elle a vendu près d’un million d’exemplaires au Japon. Depuis, elle enchaîne les séries et les publications, alternant entre magazines de prépublication manga et magazines culturels plus généralistes. Un peu comme si une bédéaste française comme Pénélope Bagieu prépubliait ses albums dans Métal hurlant ou Pilote d’un côté et dans Lire, XXI ou Télérama de l’autre.

Surtout, elle ne se contente pas de tourner toujours autour des mêmes thématiques. En multipliant les formats – nouvelles, longues séries, chansons mises en image – et les genres, elle explore à chaque fois de nouvelles facettes.

Multiplication des genres et des styles

Ainsi, Le Siège des exilées est une dystopie de science-fiction où elle imagine une dictature de femmes devenues peu à peu stériles dans laquelle les hommes et les femmes fertiles sont une denrée rare à exploiter. Certains sont prêts à se cacher dans les bas-fonds pour gagner un peu de liberté. Sa dernière série publiée en France, Saturn Return, reprend les codes du polar pour aborder les regrets et les errances d’une écrivaine et femme au foyer confrontée aux angoisses de la page blanche et à la pression de son conjoint pour avoir un enfant. Graphiquement parlant, même si le style Akane Torikai se reconnaît immédiatement aux courbes d’un visage ou aux placements d’une main, la mangaka s’astreint à toujours varier les techniques.

En proie au silence, tome 7.©Akata

Sans préambule se distingue par un côté moins lisse, presque brouillon. Elle a dessiné l’intégralité des planches au crayon de papier, sans encrage par la suite. Une technique qui donne un côté esquisse, et qui correspond parfaitement aux incertitudes des lycéennes dont elle parle dans ses nouvelles, qui s’imbriquent les unes aux autres.

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Article rédigé par
Stéphanie Chaptal
Stéphanie Chaptal
Journaliste
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