Dans une courte websérie, en ligne le 14 février, deux artistes décryptent à l’aide de spécialistes et de nombreux extraits l’impact de la pop culture sur nos sexualités. Aussi édifiant et nécessaire que pop et ludique.
Vous aimeriez, vous, qu’on vienne vous pécho alors que vous êtes en pleine sieste ? Certes, repos prolongé type coma. Mais la Belle au bois dormant, elle, a-t-elle vraiment kiffé qu’un type de passage l’embrasse sans lui demander son avis ? Combien de scènes de baisers fermement refusés avant d’y succomber, les bras serrés par les mains d’un homme ? Elle en pense quoi Princesse Leia à qui Han Solo n’a pas vraiment laissé le choix ? Une femme doit-elle avoir été violée pour devenir une guerrière badass, comme Daenerys et Sansa dans Game of Thrones ? Pourquoi les méchants de Disney, Jafar, Scar, Ursula, ou ailleurs, comme Loki, le frère maléfique de Thor dans Marvel, sont-ils maquillés, brushés, théâtraux, ont la voix haut-perché, le ton un brin snob et dessinent une mauvaise caricature queer ?
Pourquoi toutes les scènes de sexe se ressemblent-elles ? Un couple hétéro bien foutu, un furtif baiser sur la bouche, une pénétration nerveuse et une éjaculation rapide pour conclure, tant pis pour la meuf ? Pourquoi deux femmes, qui n’ont d’ailleurs pas toujours de nom, ne parlent-elles que d’hommes ? Et enfin, la question à mille dollars, pourquoi, dans Buffy contre les vampires, l’un des seuls protagonistes qui meurt est Tara, le personnage lesbien ? En somme, pourquoi la pop culture, populaire et grand public dans son essence supposée, est-elle faite pour des hommes hétéros blancs et pressés ?
Quelqu’un ? Non… Ah, si ! Les artistes-réalisateur·rices Édith Caron et Léo Favier et, surtout, toute une tripotée d’intervenants venus du monde académique et universitaire, des médias, de la culture, du terrain. Leurs réponses à ces questions, c’est la pétillante et lumineuse websérie Arte Culbute, nos sexualités sous influences.
Avec une question globale : comment, sans que l’on s’en aperçoive, les images et récits produits par le cinéma, les séries, les jeux vidéos ou la pornographie influencent-ils nos désirs, mais aussi la manière dont on les exprime et les assouvit ?
Les scénarios de nos vies intimes
« On croit que la sexualité, le coït, c’est hyper naturel, introduit l’illustratrice Édith Caron. Mais, si on se dit qu’on ne fait plus du sexe pour faire des bébés, il faut se demander pourquoi on le fait comme ça, quels sont les scénarios de nos vies intimes et en quoi ça répond à ce qu’on voit, ce qu’on lit. »
« Nos idées ne sont pas que nos idées, nos désirs ne sont pas que nos désirs, continue Léo Favier. Tout un champ de choses nous travaillent, nous influencent. Les films ne nous influencent pas directement, mais ils jouent un rôle. Ils sont le reflet de la société et donc nous permettent de décrypter les grands stéréotypes, les grandes représentations que l’on imite dans nos intimités. »
Dans Culbute, le duo mêle entretiens avec 18 experts de tout horizon et une centaine d’extraits pour déconstruire les clichés reproduits à l’envi par la pop culture. Pas facile de remettre en cause des modèles solidement ancrés dans nos imaginaires : les Disney, Indiana Jones, Buffy, American Pie, Star Wars, les univers de Tarantino…
Mais c’est bel et bien un éclairage nécessaire qu’apportent les journalistes Iris Brey et Rokhaya Diallo, les sociologues Éric Fassin et Sam Bourcier, la créatrice du compte Instagram Jouissance Club Jüne Plã, la philosophe Olivia Gazalé, le comédien et réalisateur Océan, le travailleur du sexe Christian Schmacht, la performeuse et metteuse en scène Rebecca Chaillon, parmi d’autres. Tous abordent des sujets graves dont les origines et symptômes gangrènent nos sociétés depuis des siècles : culture du viol, consentement, érotisation du corps féminin, orgasme, inégalités sexuelles…
Le salut dans les séries
On vous voit venir : « Oh non, complexe et rébarbatif. » Pas du tout. D’abord parce que Culbute offre une grille de lecture nécessaire. Ensuite, parce que personne ne cherche à supprimer quoi que ce soit. « C’est un patrimoine qui constitue notre histoire et il faut vivre avec, estime sans détour Léo Favier. Évidemment, on n’aura plus envie de regarder certains films et on en redécouvrira d’autres. Il y a des créations dont on dira qu’elles racontent quelque chose de la génération de nos parents, comment ils ont grandi, comment ils ont été enfermés dans ces mythologies-là. On en verra peut-être moins certaines, mais ce n’est pas grave, ça laissera de la place pour d’autres. »
« Le problème, c’est la répétition, dit Iris Brey dans la série, souligne Édith Caron. Et l’important, c’est la diversité des regards. » Enfin, la websérie, portée par une musique électro-pop joviale, se veut grand public et ludique. Le tout grâce aux illustrations animées colorées et espiègles d’Édith Caron qui ponctuent le propos, aussi sérieux soit-il.
Mais, alors, pourquoi continue-t-on de reproduire ces clichés toxiques ? Léo Favier l’a partiellement compris lors d’une année de formation au scénario à la Fémis : « On doit faire rentrer beaucoup dans 90 minutes, donc on s’appuie sur des choses qui ont déjà été faites. Et c’est très difficile de se poser et de se dire : “Qu’est-ce qu’il y a dans mon scénario ? En fait, c’est horrible”… C’est peu discuté, peu interrogé. »
« C’est pour ça que plein de réalisatrices se sont engouffrées dans les séries, rebondit sa co-autrice. C’est un temps plus long qui permet de développer plus. » À l’image de Sex Education ou des formidables créations drôles, touchantes, esthétiques, perturbantes, anxiogènes, vertigineuses de Michaela Coel, Chewing Gum ou I May Destroy You (qui a fait sensation aux Emmy Awards 2021).
Mais, avant de dévorer d’autres séries, la clé de l’émancipation et du plaisir est dans la délicieuse Culbute, une appellation judicieuse et taquine à double sens : avoir la tête en bas, inverser les pôles, les repères ou tout simplement, entre nous, ensemble, avec consentement, écoute et bienveillance, s’offrir un bon moment.
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