Critique

Enquête sur un scandale d’État : le touché-coulé de Thierry de Peretti

11 février 2022
Par Félix Tardieu
Roschdy Zem joue l'ex-agent infiltré Huber Avoine dans "Enquête sur un scandale d'Etat"
Roschdy Zem joue l'ex-agent infiltré Huber Avoine dans "Enquête sur un scandale d'Etat" ©Les Films Velvet

Après Les Apaches (2013) et Une vie violente (2017), deux films tournés dans sa Corse natale, Thierry de Peretti élargit la focale en relatant les dessous d’une enquête pour le moins stupéfiante, impliquant les plus hautes sphères de l’État.

Enquête sur un scandale d’État retrace l’enquête du journaliste à Libération Emmanuel Fausten (ici renommé Stéphane Vilner), contacté par l’indic Hubert Avoine (Huber Antoine dans le film), qui s’estimant trahi par le patron de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, Jacques Billard (Vincent Lindon), cherche à lever le voile sur un vaste trafic dans lequel serait directement impliqué son ancien supérieur. Son témoignage donnera notamment naissance à un livre, L’Infiltré (Robert Laffont, 2017). Hubert Avoine décédera quelques mois plus tard des suites d’une longue maladie.

Vincent Lindon (Jacques Billard), leader de la lutte anti-stups dans la tourmente ©Les Films Velvet

À l’image d’une scène d’ouverture virtuose où la tension se distille plan après plan, digne d’un film de Michael Mann ou de Sicario de Denis Villeneuve, Thierry de Peretti déroule une mise en scène méthodique et hypnotique, impériale mais jamais trop reluisante (grâce au travail magistral de la directrice de la photographie Claire Mathon), dans un format carré 1:33 malléable lui permettant à la fois d’être au plus près des personnages avant d’élargir le cadre dans un seul et même mouvement.

Le réalisateur procède à très peu de coupes : les face-à-face entre les différents interlocuteurs – d’indic à flic, de témoin à journaliste, de flic à procureur, etc. – misent plutôt sur le va-et-vient de la caméra que sur un dispositif classique de champ-contrechamp mettant dos à dos les personnages. Car ce qui intéresse le réalisateur, c’est moins le dévoilement d’une vérité éclatante, à l’instar des grands films de journalisme (Les Hommes du président, Pentagon Papers, Spotlight ou encore Dark Waters), que les relations complexes entre les personnages, ainsi que la circulation de la parole et la lente digestion de l’information à travers les différents types de discours.

Roschdy Zem et Pio Marmaï dans Enquête sur un scandale d’Etat ©Les Films Velvet

Absence concrète d’images chocs, de scènes d’action, d’effusions de sang, de documents accablants ou de monologues triomphants : le film est moins engagé par l’action que par la parole et ce que celle-ci devient une fois remontée au sein de la rédaction (d’où le réalisme des scènes filmées dans les locaux de Libé). Enquête sur un scandale d’État échappe subtilement aux codes attendus du genre et travaille plutôt à capter l’ambiguïté du personnage d’Hubert Antoine, interprété par Roschdy Zem, et son rapport complexe à la hiérarchie, à l’amitié, notamment à travers sa relation avec Stéphane (Pio Marmaï), mais aussi à l’amour, à l’argent. Était-il animé par un profond sens moral, ou a-t-il abusé de la confiance de Stéphane pour se venger de son ancien patron ? Quoiqu’éprouvant sur la durée, le film n’en demeure pas moins captivant dans sa manière de situer les joueurs de cette immense partie d’échecs, dont les intentions demeureront à jamais masquées. 

Enquête sur un scandale d’Etat de Thierry de Peretti – avec Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon, Julie Moulier, Alexis Manenti – 2h03 – En salles le 9 février 2022

À lire aussi

Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste