Critique

Les Vedettes, absurde et satirique quête de lumière

10 février 2022
Par Thomas Laborde
Les Vedettes, absurde et satirique quête de lumière
©2022 Légende Films/BlagBuster/Gaumont/TF1 Films Prod./C2M Prod.

Pour leur retour sur grand écran, Grégoire Ludig et David Marsais incarnent un chanteur raté et un manager frustré qui s’allient pour gagner de l’argent : potache et mélancolique.

Daniel porte un vieux blouson en cuir, des santiags, une chaîne à la taille, une autre au cou, un anneau à l’oreille et un bouc ; des mèches de cheveux, raie au milieu, tombent sur le coin de ses yeux. C’est un chanteur raté, incrusté dans le canapé de sa mère décédée, en slip et peignoir façon Big Lebowski, bol de céréales à la main. Il navigue d’un CDD à l’autre derrière le comptoir du service après-vente d’un magasin d’électro-ménager. Daniel a tout du ringard, du loser ; et il a arrêté depuis longtemps de se rêver sur scène.

Cette vie résignée et morne risque néanmoins d’être bouleversée par la nécessité de vendre sa maison – à moins de trouver quelque 20 000 euros. Au travail, il côtoie justement, non sans tension, l’agaçant Stéphane, polo orange et cheveux plaqués, petit chef autoproclamé sans charisme ni amis, accro au matériel qu’il vend, fayot et fier employé du mois. Et surendetté. Un type sans relief, mais à la mémoire étonnante, qui connaît par cœur le prix de tous les objets de tous les catalogues de vente… Ce qui pousse Daniel à lui proposer, sans trop lui laisser le choix, de participer ensemble à l’émission de télévision Le Prix à tout prix, présenté par le superficiel Fred Costa, dont il est fan. En route vers ce qui s’approche le plus de la gloire pour le duo ; et Stéphane de découvrir l’incroyable talent de chanteur de Daniel et de vouloir l’aider à percer.

Hérauts de l’amateurisme professionnel

Après leurs rôles chez le génie de l’absurde Quentin Dupieux, après La Folle Histoire de Max et Léon (2016), leur vision décalée de la Seconde Guerre mondiale un peu trop Grande Vadrouille (1966), David Marsais et Grégoire Ludig – soit le Palmashow – reviennent sur grand écran avec la folle histoire de Daniel et Stéphane, où ils décryptent avec humour les mécanismes actuels de la célébrité. Un film plus intimiste, plus personnel et plus radical que leur super-production historique – qui était plus soutenue par une galerie de guests nécessaires que par une ambition scénaristique détonnante.

Les Vedettes, avant tout propos social, pose une question artistique : à force de jouer les ringards, ne finit-on pas par le devenir ? Entre la satire et la parodie, le film pousse tous les curseurs au maximum. Tout y est exagéré pour construire un univers à la marge – naze, c’est voulu, mais aussi chargé d’esthétisme pop, dans les tenues, les accents, les comportements, les lieux. C’est bien grâce à cette démarche que le Palmashow s’est fait connaître dans des sketchs qui tapaient avec appétit sur bon nombre de stéréotypes. David Marsais et Grégoire Ludig ont en effet prouvé leur savoir-faire : ils savent caricaturer et ne sont jamais aussi bon que dans la parodie affirmée. C’est le cas lorsque Les Vedettes présente un clip que les deux protagonistes ont réalisé pour convaincre un producteur, évidemment arrogant, profiteur, manipulateur et snob, de participer à l’équivalent de N’oubliez pas les paroles, l’émission de Nagui qui oppose des chanteurs amateurs.

C’est dans ces moments que brille le Palmashow : restituer avec professionnalisme une forme exagérée d’amateurisme. Daniel porte ainsi un chapeau de cowboy et joue le vieux crooner maudit pendant que Stéphane le filme, fondus mal opérés et grands zooms vertigineux à l’appui. Cette marque artisanale habite l’ensemble du film réalisé par le grand ami et collaborateur du duo depuis plus de 15 ans, Jonathan Barré.

©2022 LÉGENDE FILMS/BLAGBUSTER/GAUMONT/TF1 FILMS PRODUCTION/C2M PRODUCTIONS

Un message social qui se perd

L’ensemble porte le sceau de différentes influences et héritages. Quentin Dupieux, évidemment, pour la création d’un univers inséré dans le monde réel, mais en décalage, comme une dimension alternative. Kervern et Délépine aussi, un rythme à l’américaine en plus, pour les deux anti-héros losers et une tentative de propos, en creux, assez social. Du Weber enfin, pour le duo complémentaire – Grégoire Ludig est grand et épais comme le serait un Depardieu, David Marsais, frêle et maladroit à l’image d’un Pierre Richard. Comment, en plus, ne pas trouver un peu de l’excellent Jean-Philippe (2006) avec Johnny et Fabrice Lucchini dans la conviction, la folie et la détermination de ces deux types ?

Oui, la franchouillardise – étincellante déjà dans le titre – et le gag, le Palmashow sait faire. Ils n’ont pas peur du ringard, qu’ils manient à la baguette. Mais Les Vedettes se perd néanmoins dans la transmission d’un message plus sérieux : l’obsession de l’image, l’addiction aux réseaux sociaux, l’envers du décor télévisuel… Des propos déjà largement abordés et traités qui confèrent malheureusement au film un caractère dépassé.

Rien de déplaisant, pourtant, dans Les Vedettes. David Marsais et Grégoire Ludig ont toujours assumé le potache, le déguisement, l’exagération, le débile, jusqu’à savoir y insérer une forme de mélancolie attendrissante. Un sentiment qui porte le film et en fait un moment agréable empreint d’affection.

Les Vedettes, de Jonathan Barré, avec Grégoire Ludig et David Marsais. En salles depuis le 09 février 2022.

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Article rédigé par
Thomas Laborde
Thomas Laborde
Journaliste
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