Critique

Resurrection : le Chinese dream de Bi-Gan

10 décembre 2025
Par Pablo Patarin
“Resurrection”, en salle le 10 décembre 2025.
“Resurrection”, en salle le 10 décembre 2025. ©Films du Losange

Érigé en prodige du cinéma d’auteur, le Chinois Bi Gan confirme avec Resurrection, Prix spécial du jury à Cannes, sa place à part dans le paysage cinématographique international. Une œuvre radicale, déroutante, aussi virtuose que décevante. Critique.

Le film était sans doute l’un des chocs de Cannes 2025. Film de 2h40 à la narration totalement hors cadre, Resurrection a déstabilisé autant qu’il a fasciné, divisant le Festival comme rarement : d’aucuns s’enthousiasmaient devant une démonstration visuelle captivante, quand d’autres dénonçaient une œuvre prétentieuse, épuisante, dont l’ambition tournerait à vide.

Derrière ce long-métrage clivant, un nom déjà culte : Bi Gan. Véritable ovni du cinéma chinois, souvent cité parmi les cinéastes les plus prometteurs de sa génération, il est apparu presque de nulle part. Issu de la minorité Miao et né dans le Guizhou – province pauvre du sud-ouest de la Chine –, il n’avait réalisé que des films de mariage avant de s’embarquer, avec quelques amis, dans Kaili Blues (2015), un road movie entièrement autofinancé. Suivra Un grand voyage vers la nuit (2018), sélectionné à Un certain regard à Cannes en 2018, dans lequel il raconte l’errance d’un homme cherchant une femme rencontrée, aimée et peut-être rêvée 20 ans plus tôt. Un film étrange aux partis pris déjà radicaux.

Resurrection.©Films du Losange

Son ascension fulgurante l’a mené, à seulement 36 ans, à être présenté comme un sérieux prétendant à la Palme d’or avec Resurrection. Si le film a finalement reçu le Prix spécial, sorte de lot de consolation récompensant l’originalité de l’œuvre, la belle histoire ne s’arrête pas là. Porté par la présence de la superstar Jackson Yee, chanteur-acteur adoré autant par la critique que par le public chinois, Resurrection a dépassé les 100 millions de yens (environ 14 millions de dollars) de préventes. De quoi en faire, avant même sa sortie, l’un des plus gros succès récents du cinéma indépendant chinois.

Quand l’ambition étouffe l’émotion

Bien audacieux qui se risquerait à résumer Resurrection, sorte d’objet hybride traversant les époques, en des termes intelligibles. Le récit se déroule dans un monde où « les humains ne savent plus rêver » et où un être singulier, le « Rêvoleur », ne distingue plus l’illusion du réel et se réincarne dans six périodes différentes. 

Resurrection. ©Films du Losange

Derrière ce pitch mystérieux se cache un film qui ne l’est pas moins. Tant par sa structure narrative, éclatée en plusieurs époques, que par sa dimension expérimentale et allégorique ou sa densité visuelle. Chacun des segments renvoie à un sens, glisse d’un genre à l’autre – thriller, fantastique, romance – et compose un vaste labyrinthe. Le film se lit aussi comme un hommage au cinéma, une traversée de son histoire nourrie de multiples références (cinéma muet, Méliès, Hitchcock…). Une fresque portée par les obsessions techniques – dont le long plan-séquence final, signature de Bi Gan – et thématiques (le 7e art, le rêve…) de son auteur.

Malgré ses immenses ambitions et sans être complètement dénué de poésie, Resurrection peine pourtant à vibrer. Derrière la beauté plastique, la grande maîtrise formelle et la bande originale très réussie signée par le compositeur français M83, le film sonne étonnamment creux. Là où l’onirisme de David Lynch désoriente pour mieux faire ressentir, celui de Bi Gan provoque parfois plus la somnolence que la rêverie, tant il se referme dans une froideur conceptuelle.

Trailer de Resurrection.

Saturé de métaphores, de symboles et de dispositifs techniques, le film laisse peu d’espace au spectateur pour éprouver quoi que ce soit. L’originalité narrative et la volonté de bousculer les codes auraient pu séduire ; elles finissent surtout par apparaître comme un agencement au seul service de la forme. Avec une histoire volontairement abstraite, poussée jusqu’à l’opacité, ces 2h40 ne parviennent même pas à laisser affleurer la dimension romanesque en filigrane.

Technique, audacieux, singulier, Resurrection laisse un goût amer : celui d’un film dont le geste semble se résumer à l’autoréférence au monde du cinéma, un exercice particulièrement en vogue ces dernières années. Sous la virtuosité indéniable de Bi Gan demeure l’impression d’un rêve aussi spectaculaire que vide de sens, auquel on peine à trouver la moindre symbolique et dont espère finalement se réveiller.

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