Critique

The Last Frontier : la rencontre divertissante entre Lost et Blacklist

10 octobre 2025
Par Marion Olité
“The Last Frontier”, le 10 octobre 2025 sur Apple TV+.
“The Last Frontier”, le 10 octobre 2025 sur Apple TV+. ©Apple TV+

Le créateur de Blacklist est de retour. Diffusé à compter du 10 octobre sur Apple TV+, ce nouveau thriller, aussi old school qu’efficace, bénéficie des sublimes décors naturels de l’Alaska.

Tout commence par un spectaculaire crash d’avion sur les landes arides de l’Alaska. À son bord, des dizaines de détenus violents se retrouvent soudain libérés dans la nature. Responsable de ces terres habituellement paisibles, le marshal Frank Remnick (Jason Clarke) doit protéger les habitants de cette région reculée. Il est rejoint par Sidney Scofield (Haley Bennett), une agente de la CIA retorse, avec laquelle il va faire équipe pour percer à jour le complot d’État qui se cache derrière ce crash.

Une série high concept et héritière de Lost

Créée par Jon Bokenkamp – à qui l’on doit les dix saisons de Blacklist – et Richard D’Ovidio, The Last Frontier repose sur un concept fort et rappelle suffisamment de hits récents pour que l’on soit intrigués. Le crash d’avion initial et tout son potentiel d’histoires avec les survivants évoquent l’inégalable Lost. D’autant que, dans la série culte, l’un des personnages principaux, Kate Austen, était une fugitive escortée d’un marshal.

Jason Clarke dans The Last Frontier.©Apple TV+

On pense aussi aux œuvres en milieu carcéral, comme Oz ou Orange is the New Black, centrées sur les évolutions de leurs prisonniers et prisonnières. Plus récemment, la série Yellowjackets a aussi mis en scène un crash d’avion, dans la nature canadienne cette fois, avec à son bord une équipe de foot féminine prête à tout pour survivre.

C’est donc avec toutes ces références de shows « high concept » (dont l’attrait premier repose sur son pitch accrocheur) en tête que l’on visionne les premiers épisodes de The Last Frontier, qui en compte dix. Il faut aussi y ajouter celle de Blacklist, le thriller précédent de Jon Bokenkamp, dans lequel un prisonnier charismatique (James Spader) collabore avec une profileuse.

Jason Clarke et Haley Bennett dans The Last Frontier.©Apple TV+

On retrouve une mécanique proche dans The Last Frontier, avec l’alliance cette fois de deux représentants des forces de l’ordre (Franck et Sidney) face à un prisonnier particulièrement insaisissable, incarné par Dominic Cooper. Chargé d’arrêter les détenus survivants du crash, le marshal Frank Remnick réalise vite qu’il se trouve au cœur d’une machination qui le dépasse. Sydney en sait plus qu’elle ne le dit à propos de l’un des prisonniers, Havlock, qui se livre bientôt à un jeu du chat et de la souris avec les flics.

Un thriller efficace aux décors somptueux…

Entre les vies personnelles de Frank, dont le mariage avec sa femme Sarah (Simone Kessell, vue dans Yellowjackets) bat de l’aile, et de Sidney, les prisonniers lâchés aux quatre coins du territoire et le complot qui se joue au plus haut niveau de l’État, on n’a pas le temps de s’ennuyer devant The Last Frontier.

The Last Frontier.©Apple TV+

Les personnages principaux comme secondaires (les proches, les collaborateurs) et tertiaires (les prisonniers) bénéficient de caractérisations précises et chaque interprète de cette série chorale joue sa partition au diapason du trio de tête incarné par les impeccables Jason Clarke, Haley Bennett et Dominic Cooper.

Le tournage du show a eu lieu aux alentours de Montréal et pas en Alaska. On repassera pour l’authenticité, mais la réalisation a su tirer le meilleur de ces fantastiques décors naturels, de jour comme de nuit.

The Last Frontier.©Apple TV+

Avec sa structure claire comme de l’eau de roche – un épisode consacré à un prisonnier à attraper, tandis qu’en toile de fond, l’intrigue fil rouge autour de Havlock avance –, ses scènes d’action bien troussées et ses cliffhangers infaillibles, The Last Frontier suit à la lettre le petit manuel du thriller grand public. On sent que l’œuvre a été écrite par des vétérans du genre. Les épisodes sont plus ou moins réussis selon le profil du « prisonnier de la semaine » : un paranoïaque, une arnaqueuse de haut vol, un tueur en série

… mais une série très old school

La recette de The Last Frontier fleure bon les thrillers du milieu des années 2010. Mais le monde a évolué depuis et le public est devenu plus exigeant. Il repère les incohérences flagrantes (par exemple, pourquoi un prisonnier miraculeusement libéré s’embêterait-il à prendre des personnes en otage, plutôt que d’essayer de fuir le plus loin possible ?) et les comportements trop peu crédibles des personnages.

Simone Kessell et Jason Clarke dans The Last Frontier.©Apple TV+

Le coup du fil rouge centré sur une grande machination est vu et revu. On s’en désintéresse assez vite, la force de la série reposant davantage sur les arcs autour des prisonniers errants dans la toundra de l’Alaska. Dans le rôle de Bradford, la boss opportuniste de Sidney, l’actrice Alfre Woodard a très peu de choses à défendre.

Les protagonistes flirtent avec les clichés, entre le flic ronchon qui jure comme un charretier (comptez à peu près trois « son of a bitch » par épisode), l’agente de la CIA alcoolique (on ne nous explique pas comment ni pourquoi) et l’antagoniste mystérieux à la Jason Bourne, capable d’à peu près tout, jusqu’à faire atterrir un avion. Si vous vous demandez pourquoi une majorité d’hommes pensent être capables de faire atterrir un avion sans aucune compétence en la matière, regardez les héros masculins dans les séries, de MacGyver à Havlock.

Dallas Goldtooth dans The Last Frontier.©Apple TV+

De fait, cette nouvelle production possède un sérieux biais genré, avec des personnages féminins constamment ramenés à leurs amours ou à leur devoir maternel et de soins (la femme de Franck est évidemment infirmière), et qui ne sont jamais moteurs de l’action. Même Sidney, l’agente de la CIA censée être du côté de l’action, passe la plus grande partie de son temps à gérer les colères de Franck ou les monologues de « Monsieur je sais tout » de Havlock. Les personnages masculins, jusqu’au fils adolescent de Franck et Sarah, tiennent quant à eux des rôles agissants. Le tout sur fond de musique folk américaine, parfois légèrement trop enjouée au vu du ton sombre de la série.

Une rencontre ratée avec l’Alaska

Le monde de The Last Frontier repose aussi sur une binarité morale : les prisonniers sont très méchants, les civils très gentils, et les flics ont une ou deux faiblesses bien pardonnables au vu de leur mission. Dans le même esprit, le show tient un discours convenu sur le clivage entre les gens de la ville et de la campagne.

Sam Hargrave dans The Last Frontier.©Apple TV+

Sidney représente le cliché de la femme indépendante, mais malheureuse, qui ne peut compter sur personne dans sa grande ville anonyme, tandis que Franck symbolise la solidarité supposément plus forte des petites villes où l’on se serre les coudes au quotidien.

En gommant les différences de profil des habitants pour appuyer un discours simpliste, la production passe complètement à côté des dynamiques sociales et raciales à l’œuvre dans l’État de l’Alaska. Les différents peuples autochtones du territoire font tapisserie en arrière-plan et sont représentés par un seul personnage secondaire, Hutch (Dallas Goldtooth, vu dans Reservation Dogs), le collègue et la « bonne conscience » de Franck.

Simone Kessell et Dominic Cooper dans The Last Frontier.©Apple TV+

Impossible de ne pas penser à un autre thriller récent qui se déroulait dans le même décor, mais allait plus loin que l’image de carte postale : la saison 4 de True Detective, autrement plus intense. Les deux séries n’ont certainement pas bénéficié des mêmes moyens et ne possèdent pas les mêmes ambitions. Reste que l’une a véritablement ancré son intrigue dans le territoire de l’Alaska et ses réalités sociales, quand l’autre ne fait qu’utiliser ses décors au profit d’un divertissement pas désagréable, mais oubliable.

69,99€
87€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par