Décryptage

Alien : comment la saga d’horreur est devenue féministe

12 août 2025
Par Thomas Ducres
Alien : Earth.
Alien : Earth. ©FX/Disney+

Après 46 ans et sept films, FX nous offre enfin une série dédiée au xénomorphe imaginé par Ridley Scott. Préquel en huit épisodes, Alien: Earth est encore une fois mené par une jeune héroïne. De la doyenne Sigourney Weaver à la très jeune Sydney Chandler, la saga qui fait trembler les genoux a surtout monstrueusement aidé la cause féminine.

« Ripley est simultanément le produit de la deuxième vague du féminisme radical des années 1960 et une femme-mère victime de la société patriarcale ; c’est aussi cette “autre” qui, en refusant d’être soumise à la compagnie qui l’emploie et à l’alien qui la traque, affirme son pouvoir sexuel et s’émancipe des contraintes de rôles genrés standards de son époque. »

La bande-annonce Alien: Earth.

Cette phrase n’est pas tirée d’un manifeste féministe, mais d’un ouvrage universitaire publié en 2010 par Cambridge Scholars : Meanings of Ripley: Alien and Gender. Il y a 15 ans, cette compilation d’essais croisait psychanalyse, sociologie, études de genre et histoire du cinéma pour décrypter la portée symbolique de l’héroïne de la saga Alien. Verdict ? Ripley, véritable anomalie dans le paysage cinématographique de la fin des années 1970, reste un objet d’étude toujours d’actualité.

Alien vs. femme augmentée

Difficile de savoir si le showrunner d’Alien: Earth, Noah Hawley (déjà repéré sur l’excellente adaptation de Fargo en série), Ridley Scott (producteur exécutif) et les dirigeants de chez Disney+ ont parcouru l’ouvrage susnommé, mais le fait est que cette nouvelle production prolonge avec talent le voyage initié en 1979 avec Alien : le huitième passager. Son pitch ? Plus rapide qu’un déchiquetage dans l’espace : nous sommes en 2120 à bord d’un vaisseau spatial avec une équipe scientifique et une cargaison d’œufs d’aliens.

Sigourney Weaver dans la saga Alien.©Brandywine Productions, 20th Century Fox

Jusque-là, bâillements : ça ressemble comme deux gouttes d’eau aux deux premiers films de Ridley Scott. Sauf que ledit vaisseau s’écrase sur la planète Terre gouvernée par cinq ultra milliardaires dont Boy Kavalier (Samuel Blenkin, sosie de Timothée Chalamet). Et c’est ici que la série emprunte un sentier inédit : il n’est plus tant question des xénomorphes assoiffés de sang que de la trouvaille technologique de cet Elon Musk du futur.

Ce dernier vient, en effet, de créer une nouvelle espèce d’humains augmentés nommés les hybrides et dont l’âme d’enfants malades (et condamnés) a été transférée dans des corps synthétiques immortels. La première à voir le jour se nomme Wendy et, bingo, c’est l’héroïne principale de cette œuvre censée se dérouler deux ans avant Alien : le huitième passager.

Sydney Chandler, petite-fille de Sigourney Weaver ?

Dans ce qui s’apparente à un mélange entre les premiers aliens et la saga Dune de Denis Villeneuve, Wendy est donc cette héroïne post-moderne qui bande l’arc narratif, comme Millie Bobby Brown dans Stranger Things ou Ryan Kiera Armstrong dans Skeleton Crew.

©FX / Disney+

À la différence qu’Alien: Earth est une succession de grandes premières : première série consacrée aux méchants aliens, première série où l’héroïne est une femme augmentée et première fois que le lieutenant Ellen Ripley trouve une descendante digne de ce nom en la personne de Sydney Chandler, découverte dans Pistol – un programme sur les Pretenders.

Bonne nouvelle : le budget pharaonique de cette création (250 millions de dollars) ne gâche en rien l’intrigue historique de la saga. Qu’on soit sur Terre ou dans l’espace, il faut toujours une femme pour réparer les erreurs commises par des hommes.

Sigourney Weaver, l’anti Wonder Woman

Pour mieux comprendre, il faut remonter au premier Alien en 1979. Ripley n’a alors rien d’un fantasme hollywoodien. Contrairement à la série Wonder Woman (sortie trois ans plus tôt), elle n’a pas de pouvoir particulier, ni charme mis en avant. À aucun moment son genre ne dicte son comportement, sa survie ou ses décisions.

Elle conteste le capitaine, elle sauve le chat, elle garde son calme quand tous paniquent. Le xénomorphe, à l’inverse, prend une forme profondément sexuée. Il « viole » les corps par la bouche, féconde des hôtes humains de force puis les fait exploser.

Extrait d’Aliens.

Pour la théoricienne Barbara Creed (The Monstrous-Feminine, 1993), l’alien symbolise l’angoisse masculine liée à la maternité, à la pénétration inversée, à la castration. L’horreur ici n’est pas tant dans l’espace que dans l’organique. Et Ripley est la seule à comprendre toutes ces implications. Y compris quand il est question de tuer la reine des aliens dans la version de James Cameron.

La fameuse réplique « Fous le camp d’ici, salope » est depuis longtemps entrée dans l’histoire du cinéma comme l’acte de naissance d’un nouveau type d’héroïne : protectrice, mais sans faiblesse. Une « vision visionnaire » aurait-on presque envie d’écrire, alors que les femmes sont encore trop souvent reléguées aux rôles de pots de fleur prêts à se casser au premier clap.

Alien: Earth n’est pas un « Replay »

Là où la version de Noah Hawley diffère de celle des films historiques, c’est qu’ici la violence (un concept très masculin) n’est plus centrale. En débarquant sur Terre, la série prend le parti d’une grande réflexion sur notre propre futur (les conflits entre milliardaires, la domination des intelligences artificielles, la victoire du métal contre la nature) et, en quelque sorte, démonétise les monstres.

©FX / Disney+

Il y a moins d’actions, mais encore des meurtres. Et la grande différence entre Ripley et Wendy, c’est que cette dernière renverse à son tour la notion d’héroïsme. Elle n’est pas une survivante, mais une conscience transplantée, tiraillée entre ses émotions humaines et son corps artificiel. Plus que de l’empowerment, c’est surtout la question de genre qui est abordée avec cette belle idée que Wendy parvient à dominer l’entourage très masculin sans même avoir à se battre contre un monstre à grandes dents.

Sur Rotten Tomatoes, c’est déjà un succès : l’œuvre obtient l’une des meilleures notes de toute la franchise derrière les deux premiers volets historiques. On taira ce qu’il advient des aliens dans cette série plus psychologique que sanglante, mais on peut déjà affirmer que les masculinistes ne sortiront pas grandis de ce préquel. Et Dieu merci, dans l’espace, personne ne les entendra crier.

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