Critique

Gladiator II de Ridley Scott : gloire aux vainqueurs 

12 novembre 2024
Par Robin Negre
Paul Mescal dans “Gladiator II”.
Paul Mescal dans “Gladiator II”. ©Paramount Pictures

24 ans après le premier volet, Ridley Scott revient au péplum et s’intéresse à la déchéance de Rome dans un film ambitieux et dense, traitant de la filiation.

Gladiator II. Le titre même pourrait écorcher la langue tant une suite à un classique du genre du début des années 2000 semble incongrue. Dès sa sortie et lors des deux décennies suivantes, le film de Ridley Scott s’est imposé comme l’un des grands chefs-d’œuvre du cinéaste. Pour le grand public, il est devenu le long-métrage le plus emblématique du réalisateur, tout en dévoilant aux yeux du monde une star incontournable : Russell Crowe.

Vingt-quatre ans plus tard, Scott est de retour (sans Crowe) et offre une suite qui dépasse largement son statut de simple suite opportuniste pour développer un réel propos autour des personnages, autour de la filiation et autour de la déchéance d’une cité, sans jamais oublier le spectacle primaire divertissant, au sein de l’arène. Une réussite.

Gladiator II.©Paramount Pictures

Plusieurs décennies après la mort de Maximus et de Commode, Rome est désormais gouvernée par deux frères empereurs au tempérament tyrannique et imprévisible. La cité multiplie les conquêtes dans de lointaines contraintes, malgré le malaise et la misère qui règnent au sein de la ville. Le général Acacius (Pedro Pascal) revient victorieux d’un assaut et fait prisonnier plusieurs esclaves, destinés à devenir gladiateurs.

Parmi eux, un jeune guerrier au passé mystérieux (Paul Mescal) commence à se faire un nom, pour le plus grand plaisir de son maître (Denzel Washington). Entre les manigances, les trahisons et les exploits guerriers, le destin de Rome se joue autant dans l’arène que dans les rues. Le souvenir du rêve idyllique de Marc-Aurèle autour d’une Rome porteuse de tous les possibles est bien loin… 

Un regard nostalgique

Que représente Rome aujourd’hui, et que représentait-elle auparavant ? D’une certaine façon, Ridley Scott interroge le destin de la ville tout comme il interroge son propre film. Que représente Gladiator (2000) plus de 20 ans après sa sortie ? L’histoire est celle de la déchéance et de l’espoir, du regard tourné vers le passé ; de la tentative de survie des idéalistes et des rêveurs, malgré l’ambition et les jeux de pouvoir. Le statut culte de Gladiator – et le poids que cela représentent – plane constamment sur Gladiator II.

Tout le film est ainsi teinté de ce rapport au passé. Les personnages questionnent constamment « l’avant » et ne peuvent envisager le futur que par la continuation de ce qui a été ou, au contraire, par le rejet et l’opposition. L’héritage est au centre de tout, chaque génération devant évoluer avec les réussites et les échecs de leurs aïeuls.

Denzel Washington dans Gladiator II.©Paramount Pictures

En cela, le long-métrage est intéressant vis-à-vis de Ridley Scott lui-même. En 24 ans, le cinéaste a connu les succès, les échecs, les déconvenues, les consécrations. Il a affiné son style en tant que réalisateur et s’est construit une réputation solide autour de ses célèbres séquences d’action. Gladiator II est la somme de ce que le cinéaste est devenu et a fait. En conservant une maîtrise inégalable dans des décors authentiques, il est au sommet de son art. Cependant, le cinéaste se perd aussi dans quelques séquences chargées de CGI et d’effets visuels perfectibles.

Quand les hommes s’affrontent, par contre, Ridley Scott parvient à montrer la fureur et la violence comme personne d’autre.

Pedro Pascal dans Gladiator II.©Paramount Pictures

Au centre du récit, Paul Mescal et Denzel Washington évoluent dans une relation miroir. Quand le premier refuse de fait sa condition et même son rôle de protagoniste, le second fait tout pour montrer qu’il est le personnage principal de cette histoire et de la cité de Rome.

D’un côté, Denzel Washington est flamboyant, dérobe chaque scène dans laquelle il apparaît et utilise aussi bien sa prestance naturelle que le jeu physique et corporel – entre toge et robe qui volent, et bagues omniprésentes aux doigts – pour signifier son importance et son besoin d’exister. De l’autre, Paul Mescal semble plus réservé, plus invisible, mais l’acteur fait exploser la rage et la fureur de son personnage lorsque c’est nécessaire. Le comédien hérite du rôle le plus complexe du film : automatiquement comparé à Maximus (et à Russell Crowe), il porte toutes les attentes.

Celles des spectateurs devant le film et celles des spectateurs dans le Colisée, qui voudraient qu’il soit tour à tour un barbare, un héros, un sauveur, un martyr, un gladiateur. Une multitude de visages impossibles à concilier, forçant Paul Mescal à créer son rôle dans la mesure et avec minutie et dans le détail. Par un regard, par un sourire, par une expression qui arrive à un moment imprévisible, il dévoile tout son talent et rappelle la profondeur si bien vue dans Aftersun (2022).

La démesure comme spectacle

En offrant une suite à Gladiator, Ridley Scott se confronte aussi aux autres films et séries ayant alimenté le genre du péplum depuis plus de 20 ans – tel que Spartacus, qui doit beaucoup à Gladiator. Dans Gladiator II, le cinéaste laisse libre cours à sa vision démesurée et propose des séquences inventives et variées, sans considération pour l’histoire ou pour le réalisme.

Combats maritimes au sein du Colisée, attaque de singes enragés et de rhinocéros, mises à mort brutales… Le sable de l’arène en devient, pour le personnage principal, un chemin initiatique vers l’acceptation et l’accomplissement. À ce titre, les personnages de Pedro Pascal et de Connie Nielsen ajoutent une ambiguïté et font le pont entre les deux films. Des personnages discrets, toutefois, qui auraient sans doute mérité un développement plus poussé.

Connie Nielsen dans Gladiator II.©Paramount Pictures

Gladiator II ne peut pas rivaliser avec Gladiator. Et Ridley Scott le sait très bien. Réalisant une suite en prenant en compte le piège qu’il s’est lui-même lancé, il change le prisme narratif en cassant les archétypes, tout en construisant un troisième acte généreux et satisfaisant.

Chaque personnage est cohérent vis-à-vis de ses enjeux. Si des fautes de goût entachent l’appréciation générale, la grandeur, l’ambition et la maîtrise permettent au film de fonctionner du début à la fin.

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Gladiator était poétique et émouvant, et offrait le portrait d’un héros noble aux motivations sincères dans une ville en pleine expansion. Gladiator II est plus pessimiste, en ce qu’il montre des hommes désabusés dans une ville proche de l’extinction. Entre les deux, seule une vérité existe : la loi implacable de l’arène, la force et l’honneur. Que l’on vienne pour la manigance de l’ombre, le spectacle violent ou un peu des deux, Gladiator II atteint le juste équilibre.

Si Ridley Scott mentionne régulièrement son envie de faire un troisième Gladiator (et la fin, qui retrouve une poésie familière, y invite), il tient déjà un diptyque qui sait se répondre sans forcément avoir besoin de l’autre pour exister.

Gladiator II.©Paramount Pictures

Ridley Scott réalise l’impossible. Offrir une suite à Gladiator en pleine conscience de ce que représente le film, en utilisant les attentes pour mieux les retourner contre le public, tout en continuant la réflexion autour de la filiation et de l’héritage. La ville idyllique de Rome encapsule tout le propos, dans l’arène et dans les rues.

Derrière le spectacle violent offert par l’arène, les jeux de pouvoir et la politique battent leur plein. Honneur et gloire aux vainqueurs et « vae victis », malheur aux vaincus. 

La bande-annonce de Gladiator II.

Gladiator II, de Ridley Scott, avec Paul Mescal, Pedro Pascal, Denzel Washington et Connie Nielsen, 2h30, au cinéma le 13 novembre 2024.

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