Décryptage

Eminem, Beyoncé, Bowie : se créer un alter ego pour mieux exister ?

25 juillet 2024
Par Robin Negre
David Bowie avait pour alter ego Ziggy Stardust.
David Bowie avait pour alter ego Ziggy Stardust. ©Kraft74/Shutterstock

À l’occasion de la sortie du nouvel album d’Eminem, retour sur le phénomène du double musical, avec les plus célèbres alter egos de la musique.

Dans The Death of Slim Shady (Coup de Grâce), Eminem invoque à nouveau son double maléfique : Slim Shady. L’idée est simple : en confectionnant de toutes pièces un alter ego (ou en séparant sa personnalité en deux, c’est selon), l’artiste peut l’utiliser pour créer une distance entre lui et le reste du monde, afin d’y déverser des émotions qu’il ne pourrait assumer en son propre nom. L’alter ego en musique, la quintessence de l’introspection ? Retour sur quelques exemples célèbres.

Le trailer de The Death of Slim Shady (Coup de Grâce).

Si Eminem est au centre de l’actualité avec son nouvel album très réussi, Slim Shady apparaît pour la première fois en 1997, alors que le jeune rappeur de Détroit cherche à se faire un nom et, surtout, à expurger toute la violence qu’il a en lui avec des paroles chocs et dérangeantes, tout en désirant montrer sa distance avec de tels propos.

Slim Shady né de cette envie, et Eminem fait sensation avec The Slim Shady EP en 1997. Ce choix lance sa carrière avec fracas au point de faire de l’artiste, le rappeur le plus célèbre du monde.

Slim Shady lui aura permis ça, mais Eminem conserve une part de rejet et de dégoût envers cet alter ego qu’il tente de « tuer » ou d’étouffer à plusieurs reprises, avant que ce dernier ne revienne inlassablement, par nécessité pour le chanteur de dire des choses, ou de constater une évolution du monde qu’il ne conçoit pas. Avec The Death of Slim Shady (Coup de Grâce), la fin semble actée, Slim Shady doit disparaitre, mais même dans le coup de grâce, le double démoniaque d’Eminem lui fait comprendre que l’un ne peut exister sans l’autre.

Une relation éternelle, sans fin, offrant à l’artiste un collaborateur et un contradicteur privilégié. La mort de l’alter ego serait-elle une façon de passer à autre chose ? Si un chanteur a bien utilisé cette idée jusqu’au bout, c’est David Bowie.

Ziggy played guitar

La carrière de ce dernier est difficile à résumer. Il faut dire que Bowie était un artiste d’un autre niveau et d’une portée légendaire, qui a marqué pendant des décennies la Culture, ainsi que la musique par son intensité, son intelligence, son expérimentation sans limites ainsi que son imprévisibilité. Très vite dans sa carrière, David Bowie a joué avec son apparence, ses costumes, sa façon d’être, de se mouvoir et de chanter.

Se rapprochant autant du mime que du chanteur, il touche au théâtre et à l’interprétation, et crée Ziggy Stardust en 1972, messager venu des étoiles, icône du glam rock, personnage énigmatique mourant aux cheveux rouges et aux propos mystérieux. Le succès est immédiat et l’album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars fait son entrée au panthéon des disques les plus essentiels de la musique.

Mais David Bowie ne se contente jamais d’une situation et d’une consécration. À peine arrivé que Ziggy doit repartir. Le chanteur tue ainsi son alter ego sur scène, lors du dernier concert de sa tournée à Londres, en 1973.

Il annonce avec son groupe sous la stupeur du public qu’en plus d’être le dernier show de la tournée, il s’agit du dernier show qu’ils feront. Ziggy Stardust s’éteint sur le mythique Rock’n Roll Suicide pour ne plus réapparaitre. David Bowie, lui, est plus vivant que jamais.

La mort de Ziggy Stardust.

Par la suite, l’artiste se réinvente et crée de nouveaux alter egos. Aladdin Sane et son éclair sur le visage caractéristique, Halloween Jack lors de la tournée Diamond Dogs, ou encore le Prophète aveugle (Yeux-de-Boutons) dévoilé dans son dernier album, quelque temps avant sa mort en 2016 : Blackstar.

L’héritage de David Bowie est aussi immense que sa carrière. Sa capacité à se réinventer à travers et grâce à ses doubles sans jamais rester coincé dans le passé a d’ailleurs été source d’inspiration pour de nombreux artistes.

Mettre un masque sur scène et hors de scène

C’est le cas de Lady Gaga dans les années 2000 qui, dans un souci de provocation, jouera avec un aspect androgyne (comme Bowie en son temps), tout en créant selon ses différentes périodes artistiques plusieurs alter ego. Son double baptisé Jo Calderone est un homme et apparait pour la première fois lors des MTV Video Music Awards en août 2011 pour chanter ses titres. La chanteuse s’en sert comme d’un masque, porté aux moments opportuns, lui permettant de créer une distance avec ce qu’elle représente sur scène et en dehors. 

Une conception partagée par Beyoncé, mais de façon inverse. En 2003, la diva de la Pop crée sur le clip Crazy in Love Sasha Fierce, alter ego représentant la confiance, le talent et la dignité avec une touche d’arrogance et de sex-appeal. En 2008, l’album I Am… Sasha Fierce vient entériner le personnage et offre à Beyoncé la distance nécessaire sur scène pour interpréter ce qu’elle n’aurait pas pu faire en son nom. L’alter ego comme bouclier.

Le clip de Crazy in Love.

Ces quatre artistes ne sont pas les seuls à avoir fait usage d’alter egos dans la musique. Prince, Kool Keith, Madlib, Nicki Minaj, ou encore Garth Brooks ont tous utilisé l’idée pour s’émanciper d’une situation, ou pour explorer une nouvelle direction artistique.

Chez Eminem, l’alter ego sert à initier la confrontation avec lui-même. Chez David Bowie, le double permet d’ouvrir les perspectives de narration, de création et d’imagination. Chez Lady Gaga, l’alter ego est un moyen d’exister en dehors de la scène musicale, tel un masque porté en public, pour offrir son véritable visage seulement dans la pratique de son art. Chez Beyoncé, enfin, l’alter ego sert à supprimer la pudeur, ou le manque de confiance en soi pour se révéler pleinement.

Quatre façons de faire différentes, qui se rejoignent sur certains aspects et démontrent la richesse et le pouvoir de la création d’un alter ego. Une forme absolue de maîtrise artistique, permettant à chacun de redémarrer, comme sur une page blanche et d’écrire le destin de cette nouvelle vie selon ses propres désirs.

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