Avec The Bikeriders, Jeff Nichols s’appuie sur les travaux du photographe Danny Lyon pour poursuivre son exploration des marginaux en nous plongeant, cette fois-ci, dans un gang de motards des années 1960, aux États-Unis, entre désincarnation fascinante et manque de densité.
Huit ans après le film de science-fiction Midnight Special (2016), Jeff Nichols est de retour ce 19 juin avec The Bikeriders. Dans ce nouveau long-métrage, le réalisateur et scénariste américain décide de suivre une meute de motards dirigée par Johnny, un charismatique leader grâce auquel Tom Hardy retrouve un personnage brut de décoffrage, sombre, torturé – une aura qu’il cultive depuis ses débuts, que ce soit dans Bronson (2008), Warrior (2011) ou encore dans les séries Peaky Blinders (2013) et Taboo (2017).
Si, depuis quelques années, le comédien britannique s’essaie aux films de super-héros passant du terrible et fracassant Bane dans The Dark Knight Rises (2012) au peu convaincant Eddie Brock dans la saga Venom, il opère chez Jeff Nichols une résurrection bienvenue dans une performance habitée, virile, mais fragile. Devant la caméra du réalisateur américain, Tom Hardy donne le change à un partenaire de jeu tout aussi ténébreux en la personne d’Austin Butler (Elvis, Masters of the air, Dune, deuxième partie…). Le nouveau visage d’Hollywood incarne dans The Bikeriders Benny, une tête brûlée toujours fourrée sur sa bécane, qui va séduire Kathy (Jodie Comer), une femme au caractère bien trempé et à l’accent du Sud à couper au couteau.
Génération désincarnée
Ce trio et le gang de motards qui l’entoure évoluent tous devant l’appareil photo de Danny Lyon, célèbre photographe qui, dans les années 1960, a entrepris, dans le cadre d’un projet universitaire, de suivre sur la route les Vandals. C’est de son travail que Jeff Nichols s’est inspiré pour écrire The Bikeriders, car, à l’image de l’artiste, le réalisateur tire le portrait de ces héros américains entre fascination et peur.
Comme dans une succession de clichés assemblés dans un roman-photo, le metteur en scène construit des séquences comme des décors uniques et autonomes. On passe ainsi du bar QG à une convention de motards ou au parking d’un règlement de compte, sans véritable lien. Comme si Nichols voulait souligner la désincarnation de ses sujets.
Car c’est bien de cela qu’il est question ici. À travers son long-métrage, Jeff Nichols filme des Easy Rider désabusés, errant sur leurs motos comme des fantômes mécaniques à la fois glorieux et miteux, dans l’espoir de donner un sens à leur existence. Des laissés pour compte, des marginaux et des incompris, tel est là le sujet du nouveau film du réalisateur qui, grâce à ce projet, trouve une nouvelle manière d’interroger cette obsession fondatrice de son cinéma, mais surtout de dépeindre ces anti-héros modernes.
Ainsi, le destin des Vandals fait écho à celui de l’outlaw de Mud : sur les rives du Mississippi (2012), magistralement incarné par Matthew McConaughey, tandis que la sensibilité, la folie et la violence d’un Curtis LaForche (Michael Shannon) dans Take Shelter (2011) rappellent la galerie de personnages explorée dans The Bikeriders.
Perte de vitesse
À travers eux, Jeff Nichols interroge aussi l’Amérique dans ce qu’elle a de plus violent, d’extrême et de puritain. Ce dernier trait rappelle alors LA figure du motard au cinéma : Easy Rider. En effet, le film porté en 1969 par Peter Fonda et Dennis Hopper reflète, à travers le regard de Wyatt et Billy, l’Amérique traditionnelle. Or, à la différence d’Easy Rider, Jeff Nichols refuse de développer son film sous forme de fresque. Il préfère ainsi le cadre monotone de scènes déconnectées ; un choix artistiquement logique qui peine cependant à convaincre côté scénario.
En effet, le long-métrage piétine de par son histoire. L’impression de fresque aurait très certainement offert de la grandeur à ses personnages qui évoluent davantage ici dans une succession de clichés, entre virilisme ultradangereux et bad-boy sensible ; un symbolisme qui s’étiole tout au long du film, tout comme leurs liens.
Si le duo Tom Hardy et Austin Butler avait de quoi nous faire rêver, leur amour apparaît superficiel, tout comme celui censé être présent entre Benny et Kathy. Incarnée par Jodie Comer, celle-ci partage des scènes à la limite de l’absurde avec un Mike Faist que l’on aurait aimé davantage découvrir dans la peau du célèbre photographe.
Malgré un casting cinq étoiles, la puissance du long-métrage réside avant tout dans la poursuite des obsessions de Jeff Nichols et la manière dont le cinéaste parvient à s’approprier, sous un nouveau prisme, le destin tragique des laissés pour compte de l’Amérique profonde. En utilisant l’impact de la photographie comme élément de mise en scène désincarné, le réalisateur donne à réfléchir sur leur sort ; à l’heure où les États-Unis apparaissent de plus en plus fracturés.
Toutefois, le long-métrage ne réussira pas à nous embarquer aux côtés de ses motards-fantômes, entre codes sectaires et attitude badass. Si quelques instants d’émotion, dans lesquels les personnages masculins laissent éclater leurs larmes ou leur rage, sont de belles fulgurances, le film use davantage de clichés surfaits sur l’univers des grosses cylindrées plutôt que d’un esprit libertaire façon Easy Rider. The Bikeriders manque finalement de carburant et aurait dû faire le plein pour offrir un film plus dense et marquant.