Critique

On a vu L’amour ouf au Festival de Cannes et on a eu un coup de foudre

24 mai 2024
Par Agathe Renac
“L'amour ouf” sortira le 16 octobre au cinéma.
“L'amour ouf” sortira le 16 octobre au cinéma. ©Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal / Cédric Bertrand

Gilles Lellouche fait son retour sur la Croisette six ans après Le grand bain avec un film qui mêle les genres et dissèque l’amour. Une proposition ambitieuse et portée, notamment, par Adèle Exarchopoulos, François Civil, Raphaël Quenard et deux jeunes acteurs très prometteurs.

« Le cœur bat 100 000 fois en un jour. (…) Ça fait quatre milliards de fois dans une vie. » Soit 18 000 durant les presque trois heures de L’amour ouf. Ce film, c’est l’histoire d’un amour vrai, passionné, explosif, qui dure une dizaine d’années. Une relation complexe, dépeinte par l’acteur et réalisateur Gilles Lellouche. Ovationné pour Le grand bain en 2018, il revient sur la Croisette avec un long-métrage ambitieux et généreux, retenu dans la Compétition officielle. Un projet sincère et audacieux, qui a nécessité un budget de 35,7 millions d’euros – soit l’un des films français les plus chers de 2024. Au point de mériter une Palme d’or ?

Erreur de débutant

Le film parvient à nous surprendre dès les premières minutes. On s’attend à des coups de foudre, on nous donne des coups de feu. L’amour ouf commence fort. C’est sombre, violent, déstabilisant. On entend des tirs, on voit du sang. Et on se dit que cette œuvre n’est pas une comédie romantique comme les autres. La scène d’ouverture, particulièrement marquante, capte tout de suite notre attention et nous projette instantanément dans son histoire. Un récit qui se déroule dans les années 1980 et capture avec brio son ambiance électrique avec une bande-son exceptionnelle et des décors et costumes géniaux.

©Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal / Cédric Bertrand

Si Gilles Lellouche a un don pour nous faire (re)vivre cette époque des Cures, des vinyles, des perfectos couverts de pin’s et des boums, son scénario est beaucoup moins convaincant. Une ado brillante et téméraire qui tombe amoureuse du badboy du lycée ? Il y a comme un air de déjà-vu. De plus, on peine à s’attacher à ces personnages qui tombent parfois dans le cliché, enchaînent les mauvais choix et deviennent rapidement détestables.

Cependant, les relations qui lient ces protagonistes sont bien plus justes et parviennent à nous toucher. On adore les scènes père-fille portées par Alain Chabat (La cité de la peur) et la jeune (et excellente) Mallory Wanecque (Les Pires), et on ne peut que se reconnaître dans la romance passionnée et adolescente entre Jackie et Clotaire (incarné par un Malik Frikah tout aussi brillant que sa partenaire).

©Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal / Cédric Bertrand

Certes, le pari n’est pas risqué – on a tous un amour de jeunesse qui nous a laissé de nombreux souvenirs – mais on doit admettre que la manière dont le réalisateur le raconte est très réussie. On (re)vit cette idylle maladroite et stimulante, ces eye contact qui manquent de discrétion, ces petits sourires en coin, cette excitation à la première sonnerie du téléphone, les balades à moto, les baignades l’été et cette sensation de goûter pour la toute première fois à la liberté.

Élève sérieuse, Jackie fait les 400 coups avec son nouveau petit ami. Mais petit à petit, Clotaire ne se contente plus de sécher les cours et tombe dans la délinquance. Il fait des braquages. Apprend à utiliser des armes. Se fait de l’argent facile. Et la violence monte d’un cran… jusqu’au coup de trop. Condamné à 12 ans de réclusion pour un meurtre qu’il n’a pas commis, l’adolescent tombe dans une lente descente aux enfers et entraîne, malgré lui, sa copine dans sa chute. À sa sortie de prison, le jeune homme (désormais interprété par François Civil) compte rattraper tout le temps perdu avec son amour de jeunesse (incarnée par Adèle Exarchopoulos) qui est maintenant mariée.

Quand La La Land rencontre Reservoir Dogs

Si L’amour ouf souffre d’un manque d’originalité dans son écriture, il parvient à se rattraper sur de nombreux aspects. Premièrement, le casting est aussi ambitieux qu’exceptionnel. Qu’il s’agisse des premiers ou seconds rôles, on retrouve de nombreux visages familiers du cinéma français dont Adèle Exarchopoulos (révélée à Cannes avec La vie d’Adèle en 2013 et récompensée cette année d’un César pour Je verrai toujours vos visages), François Civil (BAC Nord), le récemment césarisé Raphaël Quenard (Chien de la casse), Karim Leklou (Vincent doit mourir), Vincent Lacoste (qui a reçu le César du meilleur acteur dans un second rôle en 2022 pour Illusions perdues), Jean-Pascal Zadi (César du meilleur espoir masculin en 2020 pour Tout simplement noir) ou encore Élodie Bouchez (doublement césarisée, en 1995 et 1998). Et on ne peut que saluer la performance de deux jeunes acteurs très prometteurs : Mallory Wanecque et Malik Frikah.

©Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal / Cédric Bertrand

Derrière la caméra, Gilles Lellouche est tout aussi impliqué que ses acteurs. Il enchaîne des propositions intéressantes, des passages à l’esthétique léchée dignes d’un clip à des gros plans sensoriels et pleins de poésie. Il s’amuse aussi en cassant constamment le rythme, comme pour renforcer cette opposition entre l’amour et la violence, qui semblent ici intrinsèquement liés.

Le cinéaste mélange les genres, passant tour à tour de la comédie romantique au cinéma d’action et au film de gangsters – oubliant, néanmoins, sa promesse de comédie musicale annoncée il y a quelques mois. C’est comme si La La Land rencontrait Reservoir Dogs. N’est pas Damien Chazelle ou Quentin Tarantino qui veut, mais le réalisateur français ose et propose.

©Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal / Cédric Bertrand

On relève des maladresses, mais on prend plaisir à découvrir un film rempli de sincérité. Lellouche nous livre une œuvre très intime, parvenant même à retranscrire à l’écran des scénarios que l’on s’est maintes et maintes fois imaginés dans notre tête. Malgré une durée de presque trois heures, L’amour ouf nous captive du début à la fin, alternant entre des séquences drôles, sombres, violentes et touchantes.

On doute fortement qu’il obtienne la Palme d’or – ses concurrents ayant proposé des œuvres plus matures et originales – mais c’est un film puissant et singulier. Quand le générique de fin apparaît, nous n’avons qu’une envie : foncer à la prochaine séance pour (re)vivre ces montagnes russes émotionnelles.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste