Critique

Festival de Cannes 2024 : pourquoi faut-il voir Emilia Perez de Jacques Audiard ?

26 mai 2024
Par Lisa Muratore
Zoe Saldaña dans “Emilia Perez”.
Zoe Saldaña dans “Emilia Perez”. ©PAGE 114 – WHY NOT PRODUCTIONS – PATHÉ FILMS - FRANCE 2 CINÉMA - SAINT LAURENT PRODUCTIONS - Shanna Besson

Présenté comme l’un des favoris à la Palme d’or de la 77e édition du Festival de Cannes, Émilia Perez signe le retour en force de Jacques Audiard avec une proposition cinématographique aussi dense que surprenante. Le film a reçu le Prix du Jury pour son réalisateur tandis que le Prix d’interprétation féminine est revenu à ses trois interprètes collectivement.

C’est peut-être la seule chose sur laquelle critiques et cinéphiles s’accordaient depuis le début de la compétition officielle : Emilia Perez, comédie musicale réalisée par Jacques Audiard, était un sérieux prétendant à la Palme d’or. En effet, le long-métrage porté par Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón et Selena Gomez a très largement marqué la Croisette durant la première quinzaine du Festival de Cannes, cumulant d’ailleurs la note de 6.8 selon le Palmomètre SensCritique. Avec de pareils retours, L’Éclaireur se devait donc d’assister à l’une de ses repasses, cette semaine, afin de voir si la rumeur disait vrai.

Inventif, politique et émouvant, Emilia Perez est un objet cinématographique difficile à identifier au départ. Avant la projection, on écoute les bruits de couloirs et les interrogations respectives. On a forcément entendu parler de Zoe Saldaña et de Selena Gomez, un duo d’actrices pour le moins étonnant dans le cinéma d’Audiard. Certains murmurent qu’il s’agit d’une comédie musicale autour de la transidentité, d’autres que ce mystérieux projet prend pour décor celui des cartels mexicains. Comment un réalisateur français peut-il faire exister toutes ces thématiques dans un seul film ? Surtout, comment parvient-il à offrir un long-métrage qui fonctionne ?

Karla Sofía Gascón dans Emilia Perez.©PAGE 114 – WHY NOT PRODUCTIONS – PATHÉ FILMS - FRANCE 2 CINÉMA - SAINT LAURENT PRODUCTIONS - Shanna Besson

Le dispositif ne tarde pas à se mettre en place. Dès les premières minutes, le cinéaste pose le cadre de son intrigue. On suit ainsi Rita (Zoe Saldaña), une avocate mexicaine surqualifiée et surexploitée, qui va aider le chef d’un cartel à se retirer discrètement des affaires et à réaliser le rêve qui l’habite depuis toujours : devenir une femme. Pour cela, Manitas doit faire croire à sa mort, renier sa famille, et disparaître à l’étranger. Cependant, la séparation s’avérera plus difficile que prévu pour celle qui se fait désormais appeler Emilia Perez.

L’onirisme de la comédie musicale

Incarnée par la sublime et magnétique Karla Sofía Gascón, l’héroïne est l’un des piliers majeurs du film. Aussi puissant que touchant, le personnage inonde la pellicule par sa sensibilité incandescente et une confiance en elle inspirante, presque poétique. Le film de Jacques Audiard multiplie d’ailleurs les élans lyriques, notamment grâce à une mise en scène en forme de comédie musicale dans laquelle les airs pop et latino se mélangent. Outre le genre, qui apporte une vague de fraîcheur bienvenue dans la compétition officielle, le musical permet de saisir autrement les enjeux narratifs du film et de s’écarter du drame purement larmoyant ou social.

Selena Gomez dans Emilia Perez.©PAGE 114 – WHY NOT PRODUCTIONS – PATHÉ FILMS - FRANCE 2 CINÉMA - SAINT LAURENT PRODUCTIONS - Shanna Besson

L’aspect pop de la comédie musicale offre un romantisme certain au film qui malgré l’onirisme des scènes dansées et chantées — quant à elles particulièrement bien orchestrées — témoigne d’une très forte réalité. Emilia Perez est aussi lumineux que sombre. L’imaginaire que convoque la comédie musicale se confronte à la réalité des personnages ainsi qu’à leur manichéisme.

Ce procédé rappelle ainsi à nos mémoires, de par son romantisme, mais aussi sa manière de dynamiter le genre, le musical Roméo et Juliette de Baz Luhrmann (1996). Dans la dramaturgie de leurs personnages et l’audace de leur mise en scène pop, les deux réalisateurs trouvent, d’une certaine manière, un écho dans leur œuvre.

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La noirceur d’Emilia Perez

La fatalité qui entoure les protagonistes pourrait être un autre élément reliant les deux réalisateurs. En effet, Emilia Perez transpire une noirceur inévitable vis-à-vis des thématiques que le film aborde.

D’un côté, il se veut éminemment politique, n’hésitant pas à aborder frontalement la corruption de l’administration mexicaine, la violence à laquelle s’adonnent les cartels, ou encore l’omniprésente des féminicides en Amérique Centrale ; un sujet ô combien répandu dans la société mexicaine actuelle. De l’autre, le long-métrage de Jacques Audiard interroge à une autre échelle — plus intime — le dilemme de la transidentité, le secret, ainsi que la sororité.

Zoe Saldaña et Karla Sofía Gascón dans Émilia Perez.©Saint-Laurent Productions

Ces thématiques sont amenées avec une grande subtilité tout au long du film, mais surtout, elles offrent plusieurs niveaux de lecture, faisant ainsi d’Emilia Perez une œuvre aussi riche dans le fond que dans la forme.

Enfin, le film ne serait rien sans ses actrices. Pour son retour en force, Jacques Audiard a pu compter sur un trio flamboyant pour porter cette œuvre surprenante. Zoe Saldaña trouve ici son meilleur rôle, Selena Gomez est d’une rare tendresse, tandis que Karla Sofía Gascón crève tout simplement l’écran. Ensemble, elles forment un cocktail explosif et portent sur leurs épaules une œuvre engagée, mélancolique, musicale et féministe. La combinaison parfaite pour séduire la Présidente du Jury Greta Gerwig en somme.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste