Avec Les Linceuls, présenté en compétition officielle au 77e Festival de Cannes, David Cronenberg offre une réflexion poussée, personnelle et parfois (trop) dense sur le deuil. Critique.
David Cronenberg et le Festival de Cannes, c’est une grande histoire d’amour. Après avoir présenté Les crimes du futur (2022), il y a deux ans, le réalisateur canadien est de retour pour cette 77ᵉ édition avec Les Linceuls. Porté par Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce, et Sandrine Holt, le film suit Karsh, un homme d’affaires de 50 ans inconsolable depuis la mort de sa femme. Pour pallier ce terrible manque, il a mis au point une technologie capable de voir à travers les tombes des défunts. Grâce à cette technique, éditée par sa société, GraveTech, il reconnecte avec sa femme, Becca, depuis son linceul.
Avec The Shrouds (titre original), David Cronenberg offre une œuvre dans la continuité d’une filmographie inimitable. Le réalisateur scrute une nouvelle fois les corps via le prisme des technologies et des faux-semblants. À travers un imaginaire bien à lui dans lesquels les doubles se confondent et se confrontent, le réalisateur, aujourd’hui âgé de 81 ans, présente une nouvelle fois un univers loin d’être manichéen.
Cependant, ce qui distingue Les Linceuls de ses précédentes créations, c’est avant tout son aspect autobiographique. S’il a pour habitude d’infuser dans son cinéma ses obsessions intimes, son point de vue acerbe sur l’évolution de notre monde ainsi que ses craintes pour l’avenir, David Cronenberg s’est ici inspiré d’un événement tragique pour servir son nouveau film : le décès de sa femme. Il en ressort une création profondément autobiographique, peut-être la plus personnelle et introspective du cinéaste à ce jour.
Un œuvre autobiographique
Cronenberg ausculte ainsi le deuil et ses conséquences dans un film où la nature et les besoins humains s’opposent à l’omniprésence technologique. Car si le personnage de Vincent Cassel — sorte de Cronenberg fictionnel et magnétique — trouve le réconfort en consultant le linceul de sa femme, dès que la tombe de cette dernière est vandalisée, l’attaque va remettre en question la manière qu’il a de faire son deuil tout en le confrontant aux problématiques que cela implique.
Le dilemme de rencontrer quelqu’un et de bâtir une nouvelle relation conjugale, la culpabilité qui l’accompagne, la pression de la performance sexuelle, ainsi que la poursuite des liens familiaux sont autant de questions évoquées dans Les Linceuls. Mais qui dit Cronenberg, dit forcément métaphore alambiquée autour d’un monde toujours plus connecté, symbolisme ultra-poussé, et vision acerbe — pour ne pas dire parfois ridicule — de la situation sécuritaire mondiale.
Le deuil 2.0
Malgré un propos sous-jacent passionnant — les technologies nous poursuivront-elles jusque dans la tombe ? — le film s’alourdit sous les visions géopolitiques autour de la surveillance mondiale que le réalisateur tente tant bien que mal d’intégrer dans son long-métrage. Il ne semble ne pas vouloir faire de choix dans son propos, et multiplie les théories. Pourtant, on sent, tout au long du film, une intention de questionner le deuil à son échelle, et à sa façon. Selon lui, les corps seront avant tout des outils de surveillance, et les subterfuges complotistes investiront les cimetières. Passionnant. Terrifiant.
Pourtant, la chose la plus effrayante ne réside pas dans cette vision fatidique et trop cryptique dressée par le réalisateur, mais davantage dans le portrait de la condition humaine qu’il dresse via la mise en scène des corps tour à tour opérés, charcutés, décomposés, et même dépourvus de sens. Une violence à laquelle on peut s’identifier, que l’on peut sentir et presque toucher grâce aux mouvements de caméra de l’artiste.
Ainsi, la vision des tombes nous pousse constamment à nous interroger sur la forme de notre propre mort, sur la décomposition de notre propre chair. C’est peut-être en cela que réside le véritable génie du film. Dépouillé de dialogues alambiqués, et d’une densité de thématiques parfois confuse, Les Linceuls aurait pu davantage convaincre grâce à un propos plus efficace autour des doubles (un thème intéressant déjà traité par The Substance), du manichéisme de ses personnages à travers un passé qu’ils cherchent constamment à revivre, mais aussi de la différence entre nature humaine et technique, le tout sur fond d’enquête policière. David Cronenberg se serait-il pris les pieds dans son propre linceul ? Possible.